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Pourquoi, après un incendie de forêt, le sol n’arrive plus à absorber l’eau malgré des précipitations abondantes ?

François Rodrigue

Parce qu’en brûlant, les feuilles peuvent perdre leur cire puis créer une couche imperméable sur le sol.

« La combustion des feuilles et des feuilles en décomposition sur le sol peut, dans certaines conditions, produire des composés hydrophobes qui repoussent l’eau », explique Jorge Mataix Solera, de l’Université Miguel Hernandez à Alicante, en Espagne, qui a publié plusieurs études sur le sujet.

Si l’eau ne pénètre pas les sols, la repousse de la végétation peut être retardée, ce qui pose des problèmes d’érosion, particulièrement dans les régions en pente comme les montagnes. L’eau peut également dévaler une pente, même faible, vers des cours d’eau, au lieu de pénétrer dans le sol. Cela peut causer des inondations à cause du débit plus important de ces cours d’eau lors de pluies importantes.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ MIGUEL HERNANDEZ

Jorge Mataix Solera, de l’Université Miguel Hernandez à Alicante, en Espagne

« L’absence de végétation après un incendie de forêt peut aussi accentuer les inondations, comme on l’a vu en Australie en 2020-2021 et en Colombie-Britannique après les incendies de forêt en 2021 », souligne Sylvain Jutras, spécialiste d’hydrologie forestière à l’Université Laval. « Et ça amène beaucoup de sédiments dans les cours d’eau, ce qui peut nuire aux écosystèmes et aux poissons. »

La formation de ces composés dépend notamment de la température. Une formation maximale survient vers 200 à 250 degrés Celsius, selon M. Mataix Solera, qui a publié l’an dernier dans la revue Science of the Total Environment une analyse moléculaire de ces composés hydrophobes. Dans certains cas, comme pour les pinèdes avec des sols sablonneux, la production de ces composés est particulièrement importante.

Les premières études sur le sujet ont eu lieu dans les années 1970 en Californie. « La recherche a vraiment décollé avec l’augmentation du nombre d’incendies en Méditerranée et dans l’Ouest américain au milieu des années 1990, dit M. Mataix Solera. Ça a donné une vague de publications depuis l’an 2000. »

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’USDA

Peter Robichaud

La recherche a permis de mieux caractériser le degré d’imperméabilisation des sols. À un centre de recherche du département américain de l’Agriculture en Idaho (USDA), Peter Robichaud a mis au point un appareil pour mieux prédire l’imperméabilisation après un incendie de forêt.

« Avant, on calculait le temps que mettait une goutte d’eau pour traverser la surface du sol, explique-t-il. C’est une information utile pour la prédiction des inondations. Par exemple, des autorités pourraient décider d’élargir un ponceau sous une route. »

Selon M. Jutras, la formation d’une telle couche hydrophobe pourrait se produire sur la Côte-Nord, où il pourrait y avoir des inondations dans les années à venir pour cette raison.

PHOTO FOURNIE PAR PETER ROBICHAUD

Épandage de paillis d’hydro-ensemencement après un incendie de forêt aux États-Unis

Des travaux ont aussi été menés sur la lutte contre cette hydrophobie post-incendie. « Dans certains cas, du paillis peut aider, dit M. Robichaud. On utilise du paillis d’hydro-ensemencement, qu’on répand par épandage à partir d’un camion ou par hélicoptère. Il y a aussi des recherches sur la dégradation microbienne de la couche hydrophobe, mais c’est plus embryonnaire. »

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En savoir plus
  • 7,5 millions d’hectares
    Superficie des incendies de forêt au Canada en 1989, le record supérieur depuis 1980
    Sources : Base nationale de données sur les incendies de forêt du Canada, Centre interservices des incendies de forêt du Canada
    0,2 million d’hectares
    Superficie des incendies de forêt au Canada en 2020, le record inférieur depuis 1980
    Sources : Base nationale de données sur les incendies de forêt du Canada, Centre interservices des incendies de forêt du Canada
  • 4,3 millions d’hectares
    Superficie des incendies de forêt au Canada en 2021
    Sources : Base nationale de données sur les incendies de forêt du Canada, Centre interservices des incendies de forêt du Canada
    1,7 million d’hectares
    Superficie des incendies de forêt au Canada en 2022
    Sources : Base nationale de données sur les incendies de forêt du Canada, Centre interservices des incendies de forêt du Canada
  • 5,2 millions d’hectares
    Superficie des incendies de forêt en 2023 (au 13 juin)
    Sources : Base nationale de données sur les incendies de forêt du Canada, Centre interservices des incendies de forêt du Canada