Un acide aminé présent notamment dans des boissons énergétiques, la taurine, pourrait rallonger l’espérance de vie. C’est du moins ce qu’avance un aréopage de spécialistes du vieillissement, dans une étude publiée jeudi.

Les preuves

Une cinquantaine d’experts des quatre coins du monde ont participé à l’étude publiée dans la revue savante Science. Ils ont montré que chez la levure, le ver nématode, la souris, le singe et l’humain, la concentration de taurine dans le corps diminue au fil de la vie, de 80 % entre l’enfance et la vieillesse chez l’humain. Un taux plus élevé de taurine est aussi associé à une meilleure santé, selon des analyses de biomarqueurs. Enfin, des souris à qui on a donné de la taurine ont eu un allongement de 10 % de leur vie, par rapport à des souris contrôles. « C’est une étude solide, mais il y a d’autres molécules anti-vieillissement qui font l’objet d’études, et on sait aussi que de bonnes habitudes de vie ralentissent le vieillissement », note Martin Juneau, cardiologue à l’Institut de cardiologie, qui a publié récemment un billet sur les recherches sur plusieurs molécules anti-vieillissement.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le Dr Martin Juneau, cardiologue à l’Institut de cardiologie

Une découverte chez les chats

Les chercheurs planchent sur la taurine depuis 2012. « La taurine a été découverte il y a 200 ans, mais il a fallu attendre les années 1970 pour qu’on réalise ses effets sur la santé », a expliqué mardi en téléconférence de presse l’auteur principal de l’étude, Vijay Yadav, de l’Université Columbia à New York. « Les chats ne produisent pas naturellement de la taurine, contrairement à l’humain. Alors s’ils n’en mangent pas assez, ils deviennent aveugles. Une épidémie de cécité a permis de faire cette découverte. Ensuite, on a vu que les chats qui manquent de taurine ont des problèmes cardiaques. Ça a suscité des recherches sur les humains. » La taurine a été découverte en 1827 par les biologistes allemands Leopold Gmelin et Friedrich Tiedemann, qui étudiaient les composants de la bile de taureau, ce qui a donné son nom à cet acide aminé.

Les difficultés

L’étape suivante est de faire une étude à long terme sur les humains. « Le problème, c’est de financer une telle étude, dit M. Yadav. Le secteur privé ne s’y intéresse pas parce que la taurine n’est pas brevetable. » Le même problème affecte une autre molécule antivieillissement, la metformine, un vieux médicament antidiabète. « Avant la pandémie, nous avons obtenu de la FDA une confirmation que la metformine sera approuvée contre le vieillissement si nous réussissons à montrer qu’elle retarde l’apparition d’un groupe de maladies chroniques », dit Michael Pollak, un chercheur de l’Université McGill qui travaille sur le sujet. « Mais nous n’avons toujours pas réussi à boucler le financement parce que la metformine sera bientôt hors brevet. » Le DPollak fait partie du consortium nord-américain Viser le vieillissement avec la metformine (TAME) qui vise à mettre sur pied l’étude sur la metformine. Selon le DJuneau, une étude de ce genre nécessitera un suivi de dix ans de plusieurs milliers de personnes, pour un coût entre 200 et 400 millions.

L’exercice et l’alimentation

Les taux de taurine du corps humain augmentent quand on fait de l’exercice. « On a validé cela chez des grands sportifs, un champion de 400 m, et chez des sédentaires [couch potatoes] », a expliqué mardi un autre auteur de l’étude, Henning Wackerhage, de l’Université technique de Munich. « Mais on ne sait pas si c’est une production accrue de taurine par le foie ou une extraction plus grande de la taurine présente dans le foie. Alors on pense que des suppléments seront nécessaires. » La taurine est seulement présente chez les animaux, particulièrement les crustacés. Pour compliquer le tout, les souris qui ont pris des suppléments de taurine ont perdu du poids, même si elles n’ont pas moins mangé. Un commentaire publié dans Science avec l’étude notait que cela pourrait expliquer les effets bénéfiques de la taurine.

Sécurité

Le grand avantage de la taurine est sa sécurité, selon le DWackerhage. « Ça fait 50 ans que la taurine est utilisée dans les boissons énergétiques. S’il y avait un gros problème, on le saurait. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a étudié la sécurité de la taurine et conclu que certains problèmes de santé liés aux boissons énergétiques seraient dus à la caféine. Le rapport de l’EFSA dit que le dosage que nous envisageons pour les humains, 6 g par jour pour une personne de 80 kg, est sécuritaire. »

La mitochondrie

Le mécanisme par lequel la taurine retarderait le vieillissement n’est pas clair. Mais les auteurs avancent que le fonctionnement des mitochondries, des parties des cellules humaines qui constituent les usines de production d’énergie, serait amélioré. « Ça serait plausible, dit le DJuneau. On dit souvent qu’on a moins d’énergie quand on est plus vieux. Les mitochondries pourraient être un facteur important du vieillissement cellulaire, qui mène à toutes sortes de maladies chroniques. » Le DPollak de McGill estime que les mécanismes antivieillissement de la taurine et de la metformine sont similaires et que les effets sur l’animal sont semblables.

En savoir plus
  • 0,5 g
    Quantité de taurine dans un demi-kilo de chair de crustacé
    Source : Université Columbia
    20 %
    Diminution du taux corporel de taurine chez les végétariens par rapport aux omnivores
    Source : Science