L’origine de la conviction voulant que les douleurs chroniques fluctuent en fonction de la météo se perd dans la nuit des temps. Une poignée de chercheurs tentent de voir si elle est bien réelle. Un sujet bien d’actualité, pendant un hiver particulièrement fluctuant.

Cellulaires

À son cabinet de rhumatologie, William Dixon voit souvent des patients qui se plaignent que leurs douleurs arthritiques augmentent quand il fait froid ou que le temps est humide. Mais quand il met son chapeau d’épidémiologiste, le chercheur de l’Université de Manchester constate que très peu d’études, le plus souvent faibles sur le plan méthodologique, confirment cette croyance.

PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET DE L’UNIVERSITÉ DE MANCHESTER

Le Dr William Dixon, rhumatologue

Jusqu’à 75 % des arthritiques croient que la météo affecte leurs douleurs. On parle de cette théorie depuis Hippocrate. Le problème, c’est que les gens vont voir leur rhumatologue deux fois par année. Alors on ne peut pas établir un lien avec la météo.

Le Dr William Dixon, rhumatologue et épidémiologiste

Pour pallier ce problème épineux, le DDixon a eu l’idée de mettre au point une application pour téléphone cellulaire qui permet de recueillir rapidement le niveau de douleur des patients. Cela a permis de suivre pendant 15 mois 2658 personnes au jour le jour. Et de conclure qu’il y a bel et bien un lien entre la météo et les douleurs arthritiques, mais seulement pour l’humidité, la pression atmosphérique et la vitesse du vent. Et encore, le lien était important seulement pour l’humidité, révèle son étude publiée en 2019 dans la revue Digital Medicine. À chaque augmentation de 10 % du taux d’humidité ambiant, le risque d’avoir des douleurs augmentait de 12 %. Le lien entre la douleur et le vent plus fort et une pression plus faible était beaucoup moins élevé, et il n’y avait pas de lien statistiquement significatif avec la température.

« Comme généralement moins de 5 % des participants avaient des douleurs une journée donnée, ça veut dire que l’effet absolu sur la population est très modeste, dit le DDixon. Il est surprenant de voir la force de cette conviction. Peut-être que ça a à voir avec une fascination générale pour la météo. »

Froid

Au Centre universitaire de santé McGill (CUSM), Yoram Shir voit souvent des patients qui croient dur comme fer que la météo influence leurs douleurs. Trop souvent pour qu’il croie qu’il s’agit du fruit de leur imagination. « Généralement, c’est le froid qui augmente le niveau de douleur », dit le DShir, qui dirige l’Unité de gestion de la douleur du CUSM. « Je dirais que le quart de mes patients rapportent ce lien. Quelques-uns ont plus mal quand il fait chaud, mais c’est rare. Je pense notamment à un patient qui n’a jamais mal l’hiver quand il passe du temps à Phoenix, en Arizona, mais dont les douleurs reviennent dès qu’il revient à Montréal. »

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, LA PRESSE

Le Dr Yoram Shir, de l’Unité de gestion de la douleur Alan‑Edwards du Centre universitaire de santé McGill

Est-il possible que l’appréhension de la douleur par temps froid soit suffisante pour créer une anxiété source de douleur ? « Oui, c’est probable qu’il y ait un effet anxiogène de la météo. Un autre de mes patients rapporte que lorsqu’il revient en voiture de Floride, ses douleurs augmentent à mesure qu’il se rapproche du Canada. »

Sensibilité

Karl Messlinger est l’un des rares chercheurs à avoir consacré une partie de sa carrière au mécanisme qui pourrait lier douleur et météo. Le rhumatologue de l’Université de Nuremberg, dont la dernière étude sur le sujet a été publiée en 2021 dans la revue Cephalalgia, se concentre sur les liens entre les sinus et des zones du cerveau liées à la sensibilité, les méninges, qui font partie de l’enveloppe du cerveau.

« Il est difficile d’imaginer que les différentes composantes de la météo puissent influencer les zones solides du corps humain, à travers la peau, dit le DMesslinger. Il faut donc que ce soit une zone vide. Les sinus sont un excellent endroit, parce qu’ils sont liés à la bouche, au nez et aux oreilles. Notre hypothèse est que les sinus sont liés aux méninges et que ces dernières jouent un rôle important dans la sensibilité. Y compris dans la sensibilité à la douleur. Donc, quand on souffre plus à cause de la météo, c’est parce qu’on est plus sensible à la douleur. »

PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET DE L’UNIVERSITÉ DE NUREMBERG

Le Dr Karl Messlinger, rhumatologue

On a commencé il y a 20 ans, avec des collègues japonais, à tester cette hypothèse chez un rat utilisé comme modèle pour l’arthrite. Je n’ai pas vu d’autre mécanisme convaincant. Il faut dire que les chercheurs ne se bousculent pas au portillon pour étudier la météo et la douleur.

Le Dr Karl Messlinger, rhumatologue

Si le lien entre météo, sinus, méninges et douleur que propose le chercheur allemand s’avère, il pense qu’il pourrait y avoir des essais de molécules ciblant les neurones entre les sinus et les méninges, pour tenter de désamorcer cette sensibilité accrue.

Migraines

Quand on fait une recherche avec les mots-clés « douleur » et « météo » sur Google, on tombe sur une foule de sites sur la migraine. Élizabeth Leroux, neurologue montréalaise spécialiste de la migraine, estime que c’est un problème. « Quand j’étais en Alberta, tout le monde voulait entendre parler du Chinook, dit la Dre Leroux. Il y a sans doute quelques associations réelles entre la météo et la douleur, mais encore davantage des biais cognitifs. C’est un sujet très sensible qui met en jeu le contrôle des patients sur leurs symptômes. L’attention à la météo n’aide personne, et même elle nuit en consacrant l’attention sur cet aspect complètement variable et hors de notre contrôle. Je n’ai jamais vu un patient bénéficier de l’attention à la météo. Elle peut être nuisible en favorisant l’anxiété et l’hypervigilance. »

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

La Dre Élizabeth Leroux, neurologue spécialiste de la migraine

La Dre Leroux estime que les soins pour la migraine au Québec sont en retard par rapport aux autres pays industrialisés, et même aux autres provinces. « Il me semble que les listes d’attente, le manque de couverture des traitements, le manque de formation des résidents de neuro et des médecins devraient intéresser les gens plus que la météo. »

En savoir plus
  • 20 %
    Proportion des Canadiens souffrant d’arthrite
    Source : Société de l'arthrite du Canada
    7 %
    Proportion des 18-44 ans souffrant d’arthrite aux États-Unis
    Source : CDC
  • 29 %
    Proportion des 45-64 ans souffrant d’arthrite aux États-Unis
    Source : CDC
    50 %
    Proportion des plus de 64 ans souffrant d’arthrite aux États-Unis
    Source : CDC