Qui dit réchauffement de la planète dit canicule et déshydratation. Or, quand on manque d’eau, les reins peuvent en souffrir, selon plusieurs études récentes. Est-ce la première épidémie climatique ?
Néphrites aiguës…
Il y a 20 ans, l’un des étudiants en médecine supervisés par Richard Johnson l’a contacté pour lui faire part d’un curieux phénomène au Salvador, où il travaillait durant l’été. « Il y avait une quantité anormale de néphrites, des problèmes aux reins », explique le Dr Johnson, néphrologue à l’Université du Colorado. « On savait qu’il y avait un risque de néphrite aiguë dans les cas de déshydratation extrême, mais on parlait plutôt de gens qui semblaient être en forme, malgré la chaleur. »
L’épisode a mené à des enquêtes dans d’autres pays d’Amérique centrale, puis en Californie et en Inde. Le Dr Johnson est maintenant une sommité mondiale des néphrites causées par la chaleur. « Je crois que c’est la première épidémie causée directement par les changements climatiques. On a vu des prévalences importantes de néphrites partout où il y a des gens qui travaillent beaucoup à l’extérieur. Comme c’est le même travail qu’auparavant, l’augmentation doit être liée aux changements climatiques. »
… et chroniques
Dans plusieurs études publiées au cours des dernières années, le Dr Johnson a avancé une nouvelle théorie : la déshydratation – même passagère – peut mener à des néphrites chroniques.
Il semble qu’il ne suffit pas de boire chaque heure. La déshydratation peut causer des dommages aux reins, même si elle dure moins d’une heure.
Le Dr Richard Johnson, néphrologue à l’Université du Colorado
« Je crois que dans certaines régions, la chaleur n’explique pas à elle seule l’augmentation des néphrites chroniques. En Inde, par exemple, il semble y avoir aussi une cause infectieuse. Ailleurs, il y a les pesticides. Mais en Amérique centrale du moins, la région la mieux étudiée, la chaleur semble la principale cause. »
L’an dernier, la Société américaine de néphrologie (ANS) a en partie validé les craintes du Dr Johnson, avec une déclaration liant les pics de néphrites aux changements climatiques. « L’idée que la déshydratation très courte peut mener à une néphrite chronique est encore controversée, mais il est certain qu’une succession de néphrites aiguës mène à des problèmes chroniques », indique Sarah Struthers, néphrologue de l’Université de Washington. Elle fait partie des coauteurs de la déclaration de la Société.
Et au Canada ? « On entend un peu parler de cas de néphrites anormales chez des patients âgés lors des canicules, mais c’est lié à plusieurs autres maladies chroniques », dit la néphrologue Ratna Samanta, du Centre universitaire de santé McGill. « Nous n’avons pas de canicules aussi extrêmes qu’aux États-Unis. On prévoit par contre que ça va venir. »
La ceinture de pierre
Dans le sud des États-Unis se trouve la « ceinture de pierre ». Il s’agit d’une région où la prévalence des pierres au rein est beaucoup plus élevée. « On sait que la déshydratation est directement liée à ce problème », explique Gregory Tasian, un néphrologue de l’Hôpital pour enfants de Philadelphie qui a publié plusieurs études sur cette question.
« L’urine devient plus concentrée en minéraux, qui ont plus de probabilités de rester coincés dans les reins. » Dans la revue Scientific Reports l’an dernier, le Dr Tasian a calculé que si la Terre se réchauffe de deux degrés Celsius par rapport à l’ère préindustrielle, un scénario possible avec une forte transition énergétique, le nombre de cas de pierres au rein augmenterait de 2,2 % aux États-Unis durant le siècle en cours. Avec un scénario catastrophe où la transition énergétique s’enraye et où l’humanité revient à l’utilisation du charbon, l’augmentation des pierres au rein serait de 3,9 %.
Antihypertenseurs
L’impact climatique sur les reins est aggravé par l’augmentation de la prévalence de l’hypertension.
Certains antihypertenseurs très utilisés bloquent l’envoi de sels et d’eau vers le rein. Quand on sue beaucoup, le rein, normalement, équilibre les fluides. Mais si un médicament l’empêche de remplir son rôle, le risque de dommages au rein avec la déshydratation augmente.
Ratna Samanta, néphrologue au Centre universitaire de santé McGill
La goutte, dont la prévalence augmente aussi, semble aussi aggraver les effets de la déshydratation sur les reins, selon le Dr Johnson. « Il se pourrait que baisser l’acide urique améliore la fonction rénale, mais les résultats des études sont pour le moment contradictoires. » L’acide urique est plus élevé chez les patients atteints de la goutte, une forme d’arthrite où des cristaux d’acide urique se coincent dans les articulations. Près du quart des Canadiens font de l’hypertension et 4 % souffrent de la goutte.
Boissons gazeuses
Autre problème, les boissons qui contiennent du fructose causent par elles-mêmes de l’inflammation dans le rein. « Des études semblent montrer que se réhydrater avec des boissons sucrées augmente le risque de dommages aux reins », dit le Dr Johnson.
Le lien entre climat et reins va dans les deux sens : les néphrites mènent souvent à la dialyse, qui est une source importante de gaz à effet de serre (GES). « Un seul département de dialyse peut avoir des émissions de GES équivalentes à une centaine de maisons, dit le Dr Tasian. Et c’est sans compter l’utilisation de beaucoup de matériel médical en plastique qu’on ne peut pas réutiliser pour la sécurité des patients. »
Obésité
Au cours des dernières années, le Dr Johnson a trouvé une autre épidémie qui pourrait être liée à la déshydratation : l’obésité. Ses travaux, exposés en détail en 2021 dans la revue JCI Insight, font un lien avec le « syndrome métabolique » qui serait causé par le fructose dans les aliments et boissons.
Ce syndrome métabolique cause une augmentation de la graisse dans le foie – semblable à celle de l’alcoolisme – et a mené des chercheurs à réclamer une « taxe sur le sucre » depuis une dizaine d’années. L’eau aurait un effet protecteur. « Il semble que l’eau bloque le mécanisme permettant au fructose de causer de l’inflammation dans le foie », explique le Dr Johnson, qui, pour le moment, a prouvé ce mécanisme chez le rat.
Santé et sécurité au travail
Face à la situation, certains États ont introduit des mesures dans leur réglementation sur la santé et la sécurité au travail, en vigueur lors de vagues de chaleur.
On augmente la fréquence des pauses au frais, les communications entre superviseurs, on diminue le travail en solo et on fournit de l’eau. Malheureusement, il y a beaucoup de résistance de la part des industries de la construction et agricole.
Sarah Struthers, néphrologue de l’Université de Washington
En Oregon, à partir de 25 degrés, des pauses horaires dans une salle ou un véhicule climatisés sont prévues. À partir de 30 degrés, le travail en solo est interdit. Au Québec, plusieurs mesures sont suggérées par la CNESST à partir d’une température de 30 degrés, notamment des pauses plus longues ; les travailleurs doivent aussi boire de l’eau toutes les 20 minutes – toutes les 10 minutes quand il fait plus de 40 degrés.
-
- 39 %
- Augmentation du risque de maladie chronique chez les patients souvent déshydratés
Source : EBioMedicine- 2 fois
- Augmentation des émissions de GES chez un patient sous dialyse, par rapport à une personne moyenne
Source : ASN -
- 7 %
- Proportion du budget de la santé au Canada absorbé par les problèmes de reins
Source : CUSM- 1 %
- Proportion des Canadiens ayant des problèmes de reins
Source : CUSM