Une étude américaine a récemment conclu que prendre ses médicaments avant de se coucher est moins efficace que si on reste assis ou debout après les avoir avalés. Ces résultats surprenants ont attiré l’attention sur un autre souci : les patients qui oublient plus ou moins volontairement de prendre leurs pilules. Portrait d’un problème qui pourrait coûter des milliards de dollars au système de santé canadien.

Absorption plus faible en position allongée

Rajat Mittal est un ingénieur spécialiste de la mécanique des fluides, plus précisément des fluides à l’intérieur du corps humain. Après avoir étudié les mouvements de fluides responsables de divers troubles cardiovasculaires, il s’est penché sur l’absorption des médicaments par le corps humain. Ses résultats, publiés en septembre dans la revue AIP Physics of Fluid, sont particulièrement inquiétants pour les personnes âgées : quand une personne est allongée, l’absorption d’un médicament peut être 80 % plus faible.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ JOHNS HOPKINS

Rajat Mittal

« C’est une modélisation, alors il faut que ce soit reproduit, explique le chercheur de l’Université Johns Hopkins à Baltimore. Mais c’est très important sur le plan clinique. Même être couché un quart d’heure après avoir pris un médicament peut affecter son absorption, dans le cas d’une molécule qui se dissout rapidement comme un antihypertenseur ou un antidouleur. Comme les patients âgés sont souvent alités, c’est un facteur majeur. » Quelle est la prochaine étape des recherches de M. Mittal ? « Je vais modéliser l’effet de l’absorption de la nourriture en fonction de la posture. Il se pourrait que certains nutriments soient absorbés plus lentement et donc dégradés par l’acide gastrique. »

Rejets de greffes et médicaments non pris

Le problème ciblé par Rajat Mittal s’ajoute à celui des nombreux patients qui ne prennent pas leurs médicaments. « Environ la moitié des patients ont un problème d’adhésion à la médication », explique Marie Brown, interniste de l’Université Rush à Chicago qui a publié plusieurs études sur cette question. « Malgré toute l’attention qu’on porte à ce problème, on n’a pas encore trouvé de panacée. »

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Marie Brown

Entre le quart et 40 % des rejets de greffes sont attribuables à la non-adhésion aux médicaments, selon la Dre Bethany Foster, pédiatre en chef à l’Hôpital de Montréal pour enfants. Elle étudie l’adhésion aux médicaments immunosuppresseurs, nécessaires pour que le corps ne rejette pas un greffon. « C’est un problème particulier, parce qu’il faut que les immunosuppresseurs soient pris dans la même fenêtre de quatre heures chaque jour. »

La trithérapie anti-VIH est un autre type de médication qui doit être prise au même moment, chaque jour. Au cours de sa présentation au début d’août au congrès international sur le VIH à Montréal, le grand patron de l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses des États-Unis, Anthony Fauci, rapportait que seulement 40 % des patients américains prenaient leur trithérapie adéquatement.

Oubli le week-end

La Dre Foster, qui fait aussi partie de l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), se penche tout particulièrement sur l’adhésion chez les jeunes greffés. « C’est une période de la vie où il y a plus de changements, et les changements exacerbent les problèmes d’adhésion à la médication. » Par exemple, l’une de ses études, publiée dans l’American Journal of Transplantation en 2020, montrait que l’adhésion était 30 % moins bonne chez les jeunes adultes la fin de semaine, présumément à cause des changements d’horaire.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ MCGILL

La Dre Bethany Foster

La pédiatre montréalaise note que les études sont contradictoires sur la non-adhésion comparative entre les jeunes et les adultes plus âgés. « Mais au niveau clinique, il est clair qu’il y a une baisse de l’adhésion à l’adolescence et au début de l’âge adulte. Chez les enfants, ce qu’on mesure en fait, c’est l’adhésion des parents. »

Les femmes prennent plus adéquatement leur médication

Une autre étude de la Dre Foster, publiée en 2019 dans la revue Transplantation, montre que chez les adolescents et les jeunes adultes, les filles et les femmes sont trois fois plus susceptibles que les garçons et les hommes de prendre adéquatement leurs immunosuppresseurs. « D’autres études ont montré les mêmes résultats, peut-être avec moins de différence, chez les adultes. »

Plus il y a de variabilité, normalement, moins les immunosuppresseurs sont bien pris. Par contre, quand on mesure la variabilité d’une molécule liée à la prise d’immunosuppresseurs dans le corps humain, il y a davantage de variabilité chez les femmes que chez les hommes.

Il se pourrait, théoriquement, que les femmes soient moins susceptibles d’avouer qu’elles ne prennent pas leurs médicaments. Mais il y a tellement d’études montrant une non-adhésion supérieure chez les hommes que j’ai tendance à penser que c’est bel et bien le cas.

La Dre Bethany Foster, pédiatre en chef à l’Hôpital de Montréal pour enfants

La variabilité plus importante de la fameuse molécule chez les femmes pourrait être liée aux hormones sexuelles.

Ne pas prendre ses médicaments en raison de leur coût

Entre 5 % et 10 % de la non-adhésion est liée au coût des médicaments, selon une étude pancanadienne publiée en 2021 dans la revue Systematic Reviews par des chercheurs de l’Université McMaster. Ils notaient que l’assurance médicaments québécoise diminuait de moitié la « non-adhésion économique » par rapport à l’Ontario.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

La non-adhésion face aux médicaments est un problème difficile à solutionner.

Une étude ontarienne publiée en 2019 dans JAMA Internal Medicine montrait que pour les médicaments contre le diabète, la non-adhésion diminue de 38 % à 27 % si les médicaments sont distribués gratuitement. « Le problème avec toutes les interventions, y compris la distribution gratuite, c’est que l’effet s’estompe au bout d’un certain temps, généralement après un an », indique la Dre Brown. Le suivi de l’étude de 2019 de l’Université de Toronto s’étalait sur un an et les auteurs notaient, parmi les facteurs confondants, que les médicaments gratuits étaient postés aux patients, alors que ceux du groupe contrôle devaient aller les acheter en pharmacie.

Pire en prévention

La non-adhésion est pire pour les médicaments pris en prévention, par exemple les antihypertenseurs prescrits aux patients n’ayant pas eu d’évènement cardiovasculaire comme un AVC. Une étude publiée en 2008 dans la revue Pharmacotherapy par des chercheurs de l’Université du Massachusetts estimait que seulement 20 % des patients ayant eu un évènement cardiovasculaire ne prenaient pas leurs antihypertenseurs, comparativement à une moyenne de 50 % parmi tous ceux qui en prenaient (y compris ceux qui n’ont pas eu d’AVC, etc.). « Mais même après un évènement, note la Dre Foster, à terme, la non-adhésion augmente. »

En savoir plus
  • 5,45 milliards CAN
    Coût annuel pour le système de santé canadien de la non-adhérence aux médicaments, en 2003
    Source : OMS