Crampes menstruelles, grippe d’homme, migraine. Plusieurs types de douleurs sont associés davantage à un sexe qu’à un autre. Trois études viennent de montrer que les hommes et les femmes vivent réellement la douleur différemment. Un chercheur de l’Université Laval a participé à deux de ces projets.

Douleurs féminine et masculine

Ces deux études ont été publiées en mars dernier, l’une dans le Journal of Neuroscience, l’autre dans la revue Brain. La première a établi qu’une molécule appelée « peptide lié au gène de la calcitonine » (CGRP) semble impliquée dans la transmission des signaux de la douleur chez la femme, mais pas chez l’homme. La seconde a étudié deux autres neurotransmetteurs, appelés BDNF et KCC2, qui jouent un rôle dans la transmission de la douleur chez l’homme, mais pas chez la femme.

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Yves De Koninck, neuroscientifique de l’Université Laval

« Nous trouvons un signal important pour la douleur chez la femme, et [l’autre étude identifie] un signal important pour la douleur chez l’homme », explique Yves De Koninck. Ce neuroscientifique de l’Université Laval est l’un des auteurs de l’étude sur le CGRP.

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Michael Hildebrand, de l’Université Carleton

Michael Hildebrand, de l’Université Carleton, l’auteur principal de l’autre étude, explique que chez l’homme (mais pas chez la femme), un problème avec le neurotransmetteur BDNF (soit le facteur neurotrophique dérivé du cerveau) mène à une excitabilité incontrôlable des neurones, qui est la source de douleur. « C’est comme si on perdait un frein », dit le Dr Hildebrand. Le CGRP induit une hypersensibilité similaire.

Changement dans les bactéries gastro-intestinales

L’autre étude ayant récemment établi une différence dans le ressenti de la douleur entre les sexes provient d’Irlande. « Je suis spécialiste de la douleur et des liens entre le cerveau et le système gastro-intestinal », explique Siobhain O’Mahony, du Collège universitaire de Cork, qui a publié ses travaux en juin dans la revue Brain, Behavior, and Immunity.

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Siobhain O’Mahony, du Collège universitaire de Cork

« Nos modèles animaux sont basés sur le mâle, parce qu’il y a plus de constance dans les résultats », dit Siobhain O’Mahony.

Nous avons décidé de voir s’il y a des différences sexuelles sur le plan des molécules liées à la douleur chez l’humain. Nos résultats préliminaires montrent que le cycle hormonal semble provoquer un changement dans les bactéries gastro-intestinales qui se reflète dans la perception et les signaux de la douleur. Ça touche la douleur partout dans le corps.

Siobhain O’Mahony, du Collège universitaire de Cork, qui a publié ses travaux dans la revue Brain, Behavior, and Immunity

« Il nous faut maintenant identifier les bactéries impliquées, pour peut-être proposer un changement d’alimentation (lié au cycle menstruel) aux femmes qui souffrent de douleurs chroniques », souligne la chercheuse. L’étude était basée sur 31 personnes en bonne santé, pour moitié des femmes, dont on testait la sensibilité à la douleur à la cheville.

Médicaments contre la migraine

Ces dernières années, des médicaments ciblant le CGRP ont beaucoup amélioré le traitement de la migraine. Vu l’absence totale ou relative du mécanisme impliquant le CGRP chez l’homme, est-ce que ces médicaments ne fonctionnent que pour la femme ? « La migraine est une entité particulière », explique Jack Puymirat, neurologue spécialiste de la migraine au CHU de Québec.

« Tout d’abord, 80 % des patients sont des femmes. Ensuite, il semble que la douleur migraineuse soit différente des autres douleurs. Les céphalées de tension sont très fréquentes chez les femmes souffrant de migraine, plus que chez les hommes. Les anti-CGRP fonctionnent bien pour ce problème, chez les femmes comme chez les hommes. Mais les douleurs au cou, aussi plus fréquentes chez les femmes souffrant de migraine, ne sont pas diminuées par les anti-CGRP. » Le Dr De Koninck pense que le mécanisme CGRP est moins important chez l’homme, plutôt que d’être carrément absent.

Sexisme dans les essais cliniques

Ces études font écho à un effort mené depuis 30 ans pour augmenter la proportion de femmes dans les essais cliniques. « Dans les années 1980, on s’est rendu compte que les essais cliniques de médicaments se faisaient surtout sur des hommes », explique Natalie DiPietro Mager, pharmacienne de l’Université de l’Ohio du Nord. Elle a publié en 2016 dans la revue Pharmacy Practice une histoire des changements dans ce dossier.

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Natalie DiPietro Mager, pharmacienne de l’Université de l’Ohio du Nord

« Il y avait notamment des médicaments qui étaient retirés à cause d’effets secondaires pour les femmes, qui n’avaient pas été observés durant les essais cliniques sur des hommes. » La situation s’est améliorée, selon la Dre DiPietro Mager. Mais Irving Zucker, un biologiste de l’Université de Berkeley qui publie depuis une vingtaine d’années sur le sujet, estime qu’il y a encore trop peu d’analyses différenciées par sexe.

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Irving Zucker, biologiste de l’Université de Berkeley

Oui, la moitié des sujets des essais cliniques sont maintenant des femmes, mais moins du tiers font une analyse spécifique de l’efficacité et des effets indésirables sur les femmes.

Irving Zucker, biologiste de l’Université de Berkeley

« Il y a très peu de femmes dans les essais de phase 1, qui portent sur la sécurité des nouvelles molécules », dit M. Zucker, qui est d’origine montréalaise. Les effets de phase 1 sont souvent faits sur des volontaires payés, généralement de jeunes hommes. Une étude publiée en 2020 dans la revue Critical Public Health montrait que les femmes sont souvent refusées comme volontaires payés à cause des risques pour une grossesse non détectée ou survenant peu après l’essai clinique de phase 1.

Femmes sous-représentées dans les essais cliniques contre le cancer

Les femmes sont sous-représentées dans les essais cliniques dans les deux tiers des spécialités médicales, a conclu en 2021 une étude de l’Université Stanford publiée dans la revue JAMA Network Open. Le cancer était l’un de ces domaines de sous-représentation.

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Vikki Ho, épidémiologiste au CHUM et titulaire d’une chaire de recherche sur le sexe et le genre

Quand on compare la proportion de femmes dans un essai clinique avec la proportion de femmes qui sont affectées par la maladie, souvent, il y a une sous-représentation encore plus grande.

Vikki Ho, épidémiologiste au CHUM et titulaire d’une chaire de recherche sur le sexe et le genre

La Dre Vikki Ho a envoyé à La Presse une étude de la célèbre clinique Mayo du Minnesota, qui montre que pour cinq types de cancer, les femmes ne constituaient en 2013 que 41 % des patients des essais cliniques, même si elles avaient 53 % de la prévalence. L’écart était particulièrement grand pour le cancer du poumon (39 % et 55 %) et le mélanome (35 % et 51 %), selon l’étude publiée en 2018 dans la revue Care Delivery. Une étude canadienne publiée l’an dernier dans le JAMA Oncology avait des résultats similaires, montrant qu’il n’y avait pas d’amélioration avec les années.

Une histoire canadienne

Le Canada a joué un rôle important dans les études sur les différences sexuelles en recherche médicale. En 2015, une étude de l’Université de Toronto a « ouvert le bal, soulevant la question : qu’est-ce qui diffère entre les sexes ? », explique le Dr De Koninck. « C’est vraiment à ce moment qu’on a davantage parlé de l’importance d’avoir des études animales avec des femelles, en général en recherche médicale. »

Cette étude de 2015, publiée dans Nature Neuroscience, montrait que des neurotransmetteurs KCC2 ne semblaient pas jouer de rôle dans l’hypersensibilité à la douleur chez les souris femelles. L’importance de ce neurotransmetteur avait été établie dans Nature en 2005 par le Dr De Koninck et par Mike Salter de l’hôpital Sick Kids de Toronto.

Non-binarité

La notion de sexe cède souvent sa place à celle de genre. Doit-on encore faire des analyses en fonction du sexe de naissance ? « Je pense que c’est très important, mais qu’il faudra cibler davantage d’autres minorités, y compris les identités de genre et les non-binaires », dit la Dre DiPietro Mager.

De son côté, la Dre Ho souligne qu’une manière d’arriver à des analyses s’attardant à des minorités sexuelles ou de genre serait de combiner plusieurs études en une méta-analyse. « Si on fait des analyses pour les hommes et les femmes, la puissance statistique est déjà divisée par deux, dit la Dre Ho. En encourageant la collecte de données pour différentes minorités, on pourrait éventuellement combiner 5 ou 10 études pour voir s’il y a des résultats différents pour ces minorités. »

En savoir plus
  • 41 %
    Proportion de femmes dans les essais cliniques en cardiologie entre 2000 et 2020
    SOURCE : JAMA network open
    44 %
    Proportion de femmes dans les essais cliniques en oncologie entre 2000 et 2020
    SOURCE : JAMA network open
  • 3070 $ US
    Compensation médiane pour un essai clinique de phase 1 en 2013-2017
    SOURCE : CLINICAL TRIALS
    40 %
    Proportion des médicaments sur le marché qui ont une rapidité d’action différente chez les hommes et les femmes
    SOURCE : BIOLOGY OF SEX DIFFERENCES