En Californie, certains bourdons font partie du monde des… poissons. C’est du moins l’opinion d’une cour d’appel de l’État doré, en raison de l’imprécision d’une loi sur la protection des espèces menacées.

Des organismes écologistes ont demandé dès 2018 l’inclusion de quatre espèces de bourdons à la liste des espèces menacées. En 2020, un tribunal a estimé que c’était impossible, puisque la loi californienne sur les espèces menacées n’inclut pas les insectes – seulement les oiseaux, les reptiles, les mammifères et les poissons.

L’escargot

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Monadenia setosa

Un nouveau jugement considère que les bourdons peuvent être inclus dans la catégorie des poissons. Dans les années 1980, un escargot terrestre (Monadenia setosa) avait été protégé par son inclusion dans la catégorie des poissons, déjà étendue aux invertébrés marins.

Si un mollusque terrestre peut être considéré comme un poisson, un insecte peut aussi l’être, raisonne la Cour d’appel du troisième district de Californie.

Les bourdons

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Bombus occidentalis

Des quatre espèces nouvellement protégées en Californie (Bombus suckleyi, Bombus franklini, Bombus occidentalis et Bombus crotchii), deux vivent au Canada et y sont aussi considérées comme menacées. La plus fragile est le bourdon de l’Ouest (Bombus occidentalis), dont l’aire de répartition ne fait que quelques centaines de kilomètres. Il a été vu pour la dernière fois en Oregon, en 2006.

Des entreprises agroalimentaires qui contestaient la protection de ces quatre bourdons ont annoncé qu’elles porteraient la cause en appel, devant la Cour suprême de Californie. « Nous allons certainement nous servir de ce précédent pour protéger d’autres insectes, notamment le monarque », indique Deborah Seiler, de l’ONG écologiste Xerces.

Textualistes et intentionnalistes

Le jugement est un exemple d’un débat juridique plus large aux États-Unis, selon Lawrence Solum, constitutionnaliste de l’Université de Virginie. « On a beaucoup parlé des originalistes ou textualistes de la Cour suprême, qui refusent toute interprétation de la Constitution au-delà des mots qui s’y trouvent, explique MSolum. Le débat entre les textualistes et les intentionnalistes, qui considèrent que la Constitution est “vivante” et qu’on doit faire l’exégèse des intentions de ses auteurs, est au cœur de l’affrontement au sujet de Roe c. Wade [consacrant le droit à l’avortement]. Mais il se joue aussi au niveau des États. »

La Californie est l’un des États où la tradition intentionnaliste est la plus forte.

Lawrence Solum, constitutionnaliste de l’Université de Virginie

« Au niveau national, elle a connu son sommet dans les années 1950 et 1960. Depuis 40 ans, l’interprétation textualiste s’impose de plus en plus au niveau national et dans les États », soutient Lawrence Solum.

Changer la loi

Changer la Constitution est difficile, ce qui rend cruciale l’interprétation des intentions de ses auteurs. Mais en Californie, les démocrates contrôlent le Congrès et peuvent assez facilement introduire ou renforcer des lois environnementales.

Ne serait-il pas plus facile d’ajouter les insectes à la loi protégeant les espèces menacées ? « Les intentionnalistes diraient plutôt que si on veut restreindre la portée d’une loi, on doit le faire spécifiquement », répond MSolum.

Barrages et pêcheries au Québec

Au Canada, il n’est pas nécessaire de classer les bourdons parmi les poissons pour les protéger, selon Anne-Sophie Doré, du Centre québécois du droit de l’environnement. Elle pense qu’un parallèle serait l’utilisation de la loi fédérale sur les pêches pour protéger des espèces lacustres qui ne font pas l’objet d’une pêche commerciale.

MDoré a parlé à La Presse d’un récent jugement sur une poursuite de Pêches et Océans Canada contre le gouvernement du Québec, qui a modifié un barrage sur le lac Polette, sur la Côte-Nord, et provoqué une baisse du niveau du lac.

Il y a eu dans les années 1980 et 1990 une implication plus grande de Pêches et Océans pour protéger les poissons des lacs, mais sous le gouvernement Harper, on était revenu à la simple protection des espèces commerciales, donc surtout dans la mer.

Hugo Tremblay, spécialiste du droit environnemental de l’Université de Montréal

« Cela dit, quand on fait la réfection d’un barrage sur un lac, on doit nécessairement aviser Pêches et Océans en plus du ministère de l’Environnement provincial. »

Benoît Pelletier, constitutionnaliste de l’Université d’Ottawa, estime lui aussi que le cas du lac Polette semble signifier une intervention accrue du fédéral dans les questions environnementales, comme on le voit dans le dossier du caribou forestier. Avant, « pour les barrages, Pêches et Océans comptait sur le fait que les autorités provinciales allaient protéger l’environnement ».

En savoir plus
  • 40 %
    Proportion des insectes pollinisateurs du monde qui sont susceptibles de disparaître
    Source : Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques