En juin dernier, l’éditeur en chef du Journal de l’Association médicale américaine (JAMA), Howard Bauchner, a dû démissionner en raison de baladodiffusions et d’interventions remettant en question le racisme structurel en médecine. Près d’un an plus tard, l’influente publication médicale vient d’annoncer la nomination de sa première éditrice en chef afro-américaine, Kirsten Bibbins-Domingo.

« Je pense que ce qui s’est passé au JAMA l’an dernier fait partie de la réévaluation générale du concept de race en médecine », dit la Dre Bibbins-Domingo en entrevue avec La Presse. « Oui, il faut tenir compte des obstacles au maintien de la santé et des difficultés d’accès aux soins des groupes racisés et d’autres groupes défavorisés. Mais il faut éliminer la prise en compte de la race dans les décisions de dépistage et de traitement. »

N’y a-t-il pas des traits génétiques plus répandus chez certains groupes racisés ? « Oui, il y a par exemple certains problèmes de métabolisme sanguin plus fréquents chez les Afro-Américains, dit la Dre Bibbins-Domingo. Mais il ne faut surtout pas que ça serve à légitimer l’idée que la race est une catégorie biologique. C’est une catégorisation sociale. »

Ces traits génétiques particuliers tendent à s’amenuiser avec le métissage progressif de la société, fait valoir Joseph Wright, auteur principal d’une déclaration de l’Association psychologique américaine publiée cette semaine réclamant la « fin de la médecine basée sur la race ».

PHOTO TIRÉE DU SITE DU JAMA

Howard Bauchner

« Il peut y avoir quelques cas où il y a encore une justification d’utiliser l’apparence d’une personne pour déterminer des décisions cliniques, mais dans la grande majorité des cas, les pratiques actuelles basées sur la race doivent être abandonnées », dit le DWright, qui est le vice-président à l’équité du Système médical de l’Université du Maryland.

À titre d’exemples de pratiques inadéquates, le DWright cite l’idée que les Afro-Américaines sont moins susceptibles d’avoir un accouchement vaginal après une césarienne, ou que les bébés afro-américains sont moins susceptibles d’avoir des infections urinaires.

Groupes racisés et COVID-19

Depuis le début de la pandémie de COVID-19, certaines régions des États-Unis ont inclus les groupes racisés parmi les patients à risque accru de COVID-19 grave qui avaient un accès prioritaire aux vaccins et aux médicaments comme le Paxlovid. Est-ce que cette pratique doit être encouragée ?

« Oui, parce que les groupes racisés sont plus souvent victimes d’inégalités dans les traitements et dans les conditions de vie », répond la Dre Bibbins-Domingo, qui est une épidémiologiste spécialiste des inégalités en santé. « Cela dit, il y a aussi eu des décisions de santé publique qui ont été défavorables aux groupes racisés. »

Certains analystes de droite ont avancé que les longues fermetures d’écoles dans certaines villes, attribuées à des demandes syndicales déraisonnables, ont désavantagé les Afro-Américains et d’autres groupes défavorisés. Est-ce un exemple de politiques de santé publique défavorables ? « C’est très délicat, dit la Dre Bibbins-Domingo. Oui, les enfants qui ont manqué l’école pendant longtemps ont souffert. Mais la situation dans ces écoles reflétait aussi un accès plus difficile aux masques et aux tests rapides, et les conditions de vie des enseignants de ces écoles. »

Fin d'une controverse

Aucun Afro-Américain n’avait jamais dirigé le JAMA. Une seule femme a été éditrice en chef, de 2000 à 2011.

Le DBauchner, qui était en poste depuis 2011, avait confié en février 2021 à deux médecins blancs une baladodiffusion remettant en question l’existence du racisme systémique en médecine. La baladodiffusion était annoncée sur Twitter par un slogan se voulant un écho à une célèbre question de Socrate : « Aucun médecin n’est raciste, alors comment pourrait-il y avoir du racisme systémique en santé ? »

Devant le tollé, le DBauchner s’était excusé et avait participé à un échange avec trois spécialistes afro-américains sur les inégalités en médecine. À cette occasion, le DBauchner avait aggravé son cas avec l’une de ses interventions : « Vous rendez-vous compte à quel point le mot “racisme” est lourd pour des Blancs comme moi ? »

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