Depuis une dizaine d’années, des chercheurs et des sociétés pétrolières intensifient leurs recherches sur la capture et la séquestration du CO2. Des projets vont même jusqu’à retirer de l’air ambiant le CO2 responsable de l’effet de serre. Certains des scénarios du récent rapport du GIEC portent sur le recours à ces technologies controversées.

Bleu et rouge

Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), paru début avril, contenait un graphique portant sur le coût des différentes stratégies de lutte contre les changements climatiques. L’énergie solaire et éolienne, les transports en commun et les transports actifs (vélo et marche) étaient en bleu. Cela signifie que leur adoption permettrait des économies par rapport à la situation actuelle.

Le CCS (sigle anglais de captage et stockage du CO2) était en orange foncé (de 50 à 100 $ US par tonne de CO2) et en rouge (de 100 $ à 200 $ US par tonne), en raison de son prix élevé.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Patrick Bonin, responsable de la campagne climat de Greenpeace Canada

En plus de toutes les incertitudes du CCS, on a des stratégies bien moins coûteuses.

Patrick Bonin, responsable de la campagne climat de Greenpeace Canada

Détail important, l’évaluation du coût de l’expansion des transports en commun et des transports actifs ne tient pas compte de la valeur que les individus accordent à leur confort et à la flexibilité de l’automobile ni de l’opposition sociale aux projets éoliens et solaires ainsi qu’aux lignes de transmission électrique. « On ne peut pas mettre un prix sur tout », observe Normand Mousseau, directeur scientifique de l’Institut Trottier à Polytechnique Montréal.

Échecs

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE SASK POWER

La centrale électrique au charbon de Boundary Dam, en Saskatchewan, est l’un des deux sites les plus importants de CCS au monde.

Deux études ont récemment fait état des nombreux échecs du captage et du stockage du CO2, un gaz à effet de serre relâché notamment lors de la combustion de carburants fossiles. La plus récente, publiée en février dans la revue Earth One par des chercheurs néerlandais, concluait que seulement 8 des 40 technologies existantes sont suffisamment efficaces pour être utilisées afin d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris.

L’autre, publiée en septembre dans la revue Energy Policy par des chercheurs américain et japonais, concluait que les 232 projets importants lancés entre 1995 et 2018 ont atteint des résultats inférieurs de 85 % aux prévisions pour 2020. « Il y a beaucoup de problèmes techniques à régler », explique Gregory Nemet, de l’Université du Wisconsin à Madison, coauteur de l’étude d’Energy Policy.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE L’UNIVERSITÉ DU WISCONSIN À MADISON

Gregory Nemet, de l’Université du Wisconsin à Madison, coauteur de l’étude d’Energy Policy

Il y a seulement deux projets importants, en Saskatchewan et au Texas. Au vu des progrès des 30 dernières années, il faudra une dizaine d’autres projets importants pour que la technologie soit mature.

Gregory Nemet, de l’Université du Wisconsin à Madison, coauteur de l’étude d’Energy Policy

M. Nemet estime que les conclusions de l’étude d’Earth One sont encourageantes – huit technologies sont rendues assez matures –, mais d’autres ont un point de vue plus négatif. « Huit technologies adéquates sur 40, c’est un taux de succès de 20 % », indique Dominic Eagleton, de l’ONG britannique Global Witness. Il est l’auteur d’un rapport publié en janvier sur le faible taux de capture de CO2 d’une usine pilote de Shell en Alberta.

L’avenir pour une pétrolière texane

PHOTO DANIEL KRAMER, ARCHIVES REUTERS

Vicki Hollub, PDG d’Occidental Petroleum

L’automne dernier, Occidental Petroleum a dévoilé aux investisseurs un ambitieux plan de captage et de stockage du CO2. « Dans les prochaines décennies, nos revenus de CCS vont dépasser nos revenus de ventes d’hydrocarbures », a indiqué la PDG d’Occidental, Vicki Hollub, lors d’une conférence avec des analystes depuis Houston. Ce projet implique l’une des pionnières du captage direct du CO2 atmosphérique, l’entreprise Carbon Engineering, qui teste depuis 2015 une usine pilote en Colombie-Britannique. « Il faut faire attention aux affirmations d’une entreprise qui cherche du financement pour ses projets », tempère M. Mousseau.

L’a b c du CCS

Des processus chimiques permettent de capter le CO2 émis par les centrales électriques et les industries. Parmi ces processus chimiques, il y a un principe similaire à celui de l’ancienne peinture à la chaux : certains minéraux, quand ils sont en contact avec l’air, en absorbent le CO2, qui devient alors solide. Le CO2 gazeux peut ensuite être extrait de ce solide.

Cette minéralisation du CO2 est souvent utilisée pour les technologies de captage direct du CO2 atmosphérique, parce que le taux de CO2 est beaucoup plus faible dans l’air ambiant – 420 parties par million (PPM), soit 0,042 % – que dans le panache des usines. Les autres processus chimiques servant au CCS fonctionnent mieux avec des concentrations plus élevées de CO2. Ensuite, il faut injecter le CO2 recueilli dans des réservoirs souterrains, qu’on doit souvent maintenir sous pression pour qu’ils soient étanches.

Fuites

L’une des pommes de discorde est l’ampleur des « émissions fugitives » de méthane, qui surviennent lors de son extraction et de son transport vers les centrales électriques munies de la technologie CCS.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Normand Mousseau, directeur scientifique de l’Institut Trottier à Polytechnique Montréal

J’ai vu des études où il faut deux fois plus de méthane pour produire la même quantité d’énergie, si on fait du CCS.

Normand Mousseau, directeur scientifique de l’Institut Trottier à Polytechnique Montréal

M. Nemet estime que ce « coût énergétique » du CCS, qui est en partie dû aux émissions fugitives, est plutôt de 20 % à 30 %, ce qui signifie que les centrales électriques au méthane pratiquant le CCS consomment de 1,2 à 1,3 plus de méthane pour produire la même quantité d’électricité.

L’autre incertitude concerne les fuites des réservoirs sous pression où est emprisonné le CO2. « On n’a que quelques décennies de données là-dessus et on n’a jamais eu de déploiement à l’échelle dont on parle maintenant », dit M. Mousseau. Tim Dixon, directeur du groupe de R & D sur le CCS de l’Agence internationale de l’énergie (AIEGHG), estime de son côté que ces quelques décennies sont suffisantes pour considérer que les fuites du CO2 stocké ne seront pas un problème important. M. Bonin souligne que l’AIEGHG compte plusieurs sociétés pétrolières parmi ses membres. « Je serais très prudent avec cet organisme », dit M. Bonin.

Transformer le CO2 en roche

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE CARBFIX

La centrale géothermique islandaise qui alimente l’usine de CCS de Carbfix

Une autre méthode consiste à injecter le CO2 dans certains types de sols, où il se transforme en roche en quelques années.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER D’ERIC OELKERS

Eric Oelkers, du CNRS à Toulouse, cofondateur de l’entreprise islandaise Carbfix

Il est possible de séquestrer des dizaines de milliers de gigatonnes de CO2, l’équivalent de dizaines d’années de production humaine, dans ce type de formation rocheuse dans le monde.

Eric Oelkers, du CNRS à Toulouse, cofondateur de l’entreprise islandaise Carbfix

Depuis 10 ans, une usine pilote de Carbfix, alimentée par la géothermie, a prouvé que la transformation du CO2 en roche était assez rapide pour être considérée comme du CCS. Cette approche sera-t-elle assez peu coûteuse pour servir à la lutte contre le réchauffement de la planète ? « Écoutez, le prix actuel de la tonne de CO2 est de 100 euros en Europe, dit M. Oelkers. Mais ça ne se traduit finalement qu’en une taxe de 25 centimes par litre d’essence. On sait que ce n’est pas assez pour changer le comportement des automobilistes. Je suis assez certain que le CCS coûtera moins que 100 euros par tonne, qu’il s’agisse de technologies comme Carbfix ou de l’injection du CO2 gazeux dans des réservoirs sous pression. »

R & D ou encouragements fiscaux pour les pétrolières

En ce moment, 90 % des projets de CCS dans le monde injectent du CO2 dans des puits de pétrole pour en augmenter la production (Enhanced Oil Recovery ou EOR), estime M. Oelkers. « Si l’on tient compte de tout le cycle de vie, l’EOR n’est pas du tout carboneutre », déplore le géochimiste de Toulouse. Les États-Unis incluent l’EOR dans les projets admissibles aux crédits d’impôt des programmes climatiques, contrairement au Canada.

« Pour le moment, l’EOR est nécessaire pour la rentabilité des progrès, dit M. Nemet. Éventuellement, on pourra s’en passer, mais je crois que leur inclusion dans les crédits d’impôt climatiques va faire progresser la technologie CCS plus vite. » Parmi tous les experts interviewés, M. Nemet était le seul qui défendait le financement de l’EOR dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques. Même M. Dixon estime qu’il vaut mieux ne pas avoir de financement public de l’EOR « parce que les groupes environnementaux n’aiment pas l’association du CCS aux carburants fossiles ».

À lire lundi : notre article sur les projets de capture et de séquestration du CO2 au Québec.

En savoir plus
  • 8,5 cents par litre
    Montant de la taxe sur l’essence en fonction du prix de la tonne de GES aux plus récentes enchères du marché du carbone Québec-Californie
    SOURCE : MINISTÈRE DE L’ENVIRONNEMENT
    23 cents par litre
    Montant de la taxe sur l’essence en fonction d’un prix potentiel de 100 $ par tonne de GES
    SOURCE : MINISTÈRE DE L’ENVIRONNEMENT