(Paris) Une des particules fondamentales de la matière, le boson W, aurait une masse plus importante que la théorie le prédit, ce qui ferait vaciller le « château de cartes » du Modèle standard de la physique des particules, selon une étude parue jeudi dans la revue Science.

« Il y a des indices que certaines pièces manquent au Modèle standard, et nous en apportons un nouveau, très intéressant et assez important », a déclaré à l’AFP son principal auteur, le professeur Ashutosh Kowtal, physicien à l’Université américaine Duke.

Cette théorie rend compte de l’ensemble des mesures faites dans le domaine de la physique des particules élémentaires, c’est-à-dire le monde de l’infiniment petit, dont les éléments constituent les atomes et les forces qui les régissent.  

Le Modèle standard, finalisé dans la seconde moitié du XXe siècle, permet de « faire des prévisions d’une précision fantastique » sur le comportement de ces particules, explique le physicien Harry Cliff, à l’Université de Cambridge.       

Comme celui du boson W, une particule véhiculant notamment une interaction, dite faible, entre d’autres particules de matière. Elle est à la base de la radioactivité et, au-delà, des réactions de fusion nucléaire, comme celles qui animent le Soleil.  

Toutes ces particules et les forces se trouvent liées dans une sorte d’équilibre. Par exemple, la masse du boson W est contrainte par celle du boson de Higgs.  

« Affirmations extraordinaires »

« Le modèle standard prédit un équilibre, et le résultat expérimental qui nous est présenté contredit cette prédiction », constate pour l’AFP le physicien et directeur de recherche au CNRS Jan Stark.

Ce « château de cartes » vacille avec l’annonce par l’étude que la masse du boson W est plus forte que prévu.  

L’exploit de la collaboration CDF, un groupe de quelque 400 scientifiques mené par le Pr Kowtal, est d’avoir mesuré cette masse, à 80 433 Méga-électrons-volts, avec une précision sans précédent (0,01 %), deux fois plus grande que la meilleure existante.  

C’est le fruit de dix ans d’analyse sur un échantillon de quatre millions de particules, produites dans le Tevatron, un accélérateur de particules au Fermilab aux États-Unis, aujourd’hui fermé.  

Cet accélérateur, comme le LHC du CERN en Europe (qui a permis d’identifier le boson de Higgs), fait se fracasser entre elles des particules à des vitesses phénoménales, qui révèlent en se brisant les éléments qui les composent.

Il revient maintenant à une autre équipe, sur un autre instrument, de confirmer le résultat de cette étude pour en faire une preuve.

Car comme le rappelle Jan Stark, « des affirmations extraordinaires requièrent des preuves extraordinaires ».  

« Des discussions animées »

Un défi de taille, compte tenu de l’extrême précision de la mesure, qui ne peut pas relever d’un hasard statistique.  

Par conséquent, « c’est soit une découverte majeure, soit un problème dans l’analyse des données », commente Jan Stark, qui prédit « des discussions assez animées dans les années qui viennent ».  

L’annonce de la collaboration CDF est la dernière en date des « fissures qui apparaissent depuis plusieurs années dans le Modèle standard, avec des mesures précises qui contredisent les prévisions du modèle », remarquent les physiciens et auteurs d’un autre article dans Science.

Si elle est confirmée, cette découverte pourrait trahir l’existence « de nouvelles interactions ou de nouvelles particules », que les expériences d’aujourd’hui ne savent pas encore révéler.

Si les physiciens cherchent ainsi des poux dans la tête du Modèle standard, c’est parce que ce dernier peine entre autres à expliquer « un grand truc dans l’infiniment grand », la matière noire, selon Jan Stark, qui dirige le bien nommé Laboratoire des 2 infinis (L2IT), à l’Université Paul Sabatier de Toulouse.

Plusieurs observations, comme la vélocité des galaxies dans des amas galactiques, ou la vitesse de révolution anormale de certaines étoiles, ont contraint les astrophysiciens à théoriser l’existence d’une hypothétique « matière noire » animant ces phénomènes.  

Mais rien dans le Modèle standard n’explique quelle particule composerait cette « matière noire ».     

« Nous suivons le chemin, sans négliger aucune piste. Nous finirons donc par comprendre », veut croire le Pr Kotwal.