L’accumulation du plastique dans les océans fait la manchette depuis une dizaine d’années, avec des images de tortues qui ont des pailles dans le nez. Plus récemment, des études se penchent sur les micro-organismes qui vivent sur le plastique et s’en nourrissent. Leurs résultats sont surprenants.

Biodiversité

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE L’ACADÉMIE CHINOISE DES SCIENCES

Le sous-marin chinois d’exploration Shenhai Yongshi

Des coquillages bivalves. Des larves de méduses et de coraux. Des vers translucides. Des crustacés semblables au bernard-l’ermite. La densité d’espèces observée par le sous-marin chinois de recherche Shenhai Yongshi (Guerrier des profondeurs) au fil de ses plongées dans le canyon de Xisha, en mer de Chine du Sud, est 10 fois plus élevée que dans les fonds marins environnants.

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Du plastique au fond du canyon Xisha

Les chercheurs de l’Académie chinoise des sciences pensent que cela est dû à la présence d’une accumulation de plastique, en raison des courants. « À cette profondeur, il y a peu de sources d’énergie et de nourriture », explique Xikun Song, auteur principal d’une étude publiée l’automne dernier dans Environmental Science and Technology Letters. « Le plastique est peut-être consommé par des bactéries qui sont par la suite ingérées par d’autres micro-organismes. Les gros morceaux peuvent aussi servir de substrat, notamment pour les larves. »

Situé à 3200 m de profondeur, ce canyon contient en moyenne 52 000 objets de plastique par kilomètre carré. Les chercheurs chinois ont compté 1200 organismes provenant de 49 espèces sur les 33 objets de plastique étudiés. Cette biodiversité ne compense toutefois pas les effets délétères des zones d’accumulation du plastique : la même équipe a montré en 2020 que le BPC, un produit chimique très toxique qui se retrouve sur les plages chinoises, provient parfois de plastiques contaminés s’accumulant dans les canyons abyssaux.

Coraux

La capacité des grands morceaux de plastique de servir de substrat est aussi testée pour repeupler les récifs de corail endommagés ou en mauvaise santé. « L’idée serait de s’en servir pour recueillir des coraux dans les récifs en santé, puis de les transporter dans les récifs à repeupler », explique Alessandro Cau, un biologiste de l’Université de Cagliari, en Sardaigne, qui a publié une étude sur le sujet l’été dernier dans le Marine Pollution Bulletin.

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Alessandro Cau, biologiste de l’Université de Cagliari

Si ça se confirme, on pourrait parler d’un “paradoxe du bénéfice du plastique”.

Alessandro Cau, biologiste de l’Université de Cagliari

Par contre, les morceaux de plastique abandonnés dans les océans ne peuvent pas servir de substrat, souligne M. Cau. « Ils s’accumulent dans les canyons, et certaines études montrent qu’il y a beaucoup de courant dans ces canyons. Les coraux et les larves qui se déposent sur les gros morceaux de plastique vont être perdus, parce que ce plastique va être déchiqueté par les courants. » Julien Gigault, chimiste de l’Université Laval spécialiste des nanoplastiques marins, observe que dans les Caraïbes françaises, des « arbres » de plastique sont utilisés dans les lagunes comme substrat pour les coraux. Dans l’étude de Xikun Song, aucun des organismes observés sur le plastique n’était arrivé à maturité sexuelle.

Espèces invasives

Cette capacité des micro-organismes à se servir du plastique comme substrat peut mener à des problèmes, selon une étude chilienne. « La croissance du bugula, un zooplancton très dommageable pour les structures maritimes, est très élevée sur les morceaux de plastique », explique Mauricio Urbina, biologiste de l’Université de Concepción, auteur principal d’une étude publiée en 2020 dans la revue Maritime Pollution Bulletin.

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Mauricio Urbina, biologiste de l’Université de Concepción

On craint le même problème avec des bactéries s’accumulant en biofilm sur le plastique et même sur le microplastique. Elles peuvent voyager sur de longues distances et contaminer des écosystèmes.

Mauricio Urbina, biologiste de l’Université de Concepción

La plastisphère

La vie qui se forme à la surface du plastique a été surnommée « plastisphère » par une microbiologiste néerlandaise, Linda Amaral, de l’Institut royal néerlandais de recherches maritimes. « On commence à comprendre que les organismes de la plastisphère peuvent déséquilibrer des écosystèmes, dit Mme Amaral. Ils peuvent perturber les chaînes alimentaires, favoriser certains types de plancton et d’invertébrés plutôt que d’autres, modifier la flore marine. On voit aussi que les bactéries qui ont tendance à former des biofilms à la surface des plastiques ont aussi un grand potentiel pathogène. »

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Linda Amaral, microbiologiste de l’Institut royal néerlandais de recherches maritimes

On n’a pas encore montré qu’on va causer des pathologies dans les organismes marins à cause de ces bactéries de la plastisphère, mais c’est une possibilité.

Linda Amaral, microbiologiste de l’Institut royal néerlandais de recherches maritimes

Une géomicrobiologiste de l’Université de Copenhague, Nicole Posth, vient de montrer que les bactéries dans les milieux marins riches en plastique sont différentes d’ailleurs. « J’étais récemment en Tanzanie, où des PME ramassent le plastique marin pour le vendre aux usines de recyclage, dit Mme Posth. Des études ont retrouvé la bactérie du choléra sur du plastique. On peut se demander si le plastique favorise la transmission du choléra. »

Dégradation bactérienne

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L’alcanivorax, bactérie mangeuse de pétrole

En 2003, une étude américaine a conclu que 53 % des hydrocarbures qui entrent dans les océans sont issus des fuites naturelles de pétrole. Ces fuites totalisent 12 000 barils par jour, l’équivalent de 0,01 % de la consommation mondiale. Ces fuites naturelles ont généré l’apparition de bactéries mangeuses de pétrole, notamment l’alcanivorax. Cette dernière peut aussi s’attaquer au plastique, selon Robyn Wright, qui a publié en 2020 dans la revue Environmental Science & Technology un résumé des études sur la plastisphère.

« Dans les deux dernières années, le nombre d’études sur le sujet a explosé », dit Mme Wright. De plus en plus de chercheurs se penchent sur la dégradation bactérienne du plastique, selon Mme Posth. Les premières recherches sur la plastisphère portaient surtout sur la bioaccumulation du plastique au fil de la chaîne alimentaire (les gros organismes mangent de plus petits organismes ayant ingéré du plastique).

Évolution prometteuse

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La bactérie Ideonella sakaiensis est capable de dégrader le plastique PET.

La plastisphère a déjà généré de nouvelles voies dans l’évolution. « On a identifié en 2016 une bactérie capable de dégrader le plastique PET, grâce à une nouvelle enzyme », dit Robyn Wright. Cette bactérie est appelée Ideonella sakaiensis. « C’est probablement le fruit de l’évolution. Elle a été détectée à côté d’une usine de bouteilles de plastique au Japon. Depuis, on cherche à améliorer cette enzyme pour dégrader le plastique. »

En savoir plus
  • 14 millions de tonnes
    Quantité de microplastique dans les sédiments océaniques du monde
    SOURCE : Frontiers in Marine Science
    10 898 m
    Profondeur maximale où a été observé un sac de plastique
    SOURCE : MARINE POLICY