Le Canada ne protège pas adéquatement ses végétaux, selon un récent rapport du Conseil des académies canadiennes. L’explosion du commerce international et les changements climatiques transportent de nouveaux insectes et agents pathogènes, que ne pourront endiguer les pratiques actuelles aux frontières et dans les champs et forêts.

Planter d’autres arbres

Les résultats de l’étude menée à l’Arboretum Morgan sont clairs : les forêts où quatre espèces d’arbres se côtoient sont moins affectées par les insectes et les maladies que les forêts composées seulement de deux espèces d’arbres. « La productivité de la forêt est meilleure », explique Christian Messier, biologiste de l’UQAM qui a mené cette étude dans les dernières années. M. Messier cosigne le nouveau rapport Cultiver la diversité du Conseil des académies canadiennes (CAC). « C’est un bon exemple des conclusions du rapport du CAC : il faut augmenter la diversité agricole et forestière pour contrer les menaces croissantes contre les végétaux au pays. Nous essayons de convaincre le gouvernement de changer la gestion des forêts publiques dans ce sens, mais pour le moment, rien ne bouge. Nous avons un peu plus de succès avec les forêts privées. » M. Messier fait partie d’un réseau international qui s’intéresse à la biodiversité des plantations.

Le cas des érablières

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Les érablières sont parmi les forêts les plus proches de monocultures au pays.

Les érablières sont une des cibles de ce mouvement, parce qu’elles sont parmi les forêts les plus proches de monocultures au pays. M. Messier a publié l’automne dernier dans la revue Progrès forestier un exposé sur la diversité dans les érablières, où il compare une plantation type, composée à 75 % d’érables à sucre et à 20 % d’érables rouges, à une autre où il n’y a que 35 % d’érables à sucre et 10 % d’érables rouges. Dans les deux cas, il faut diminuer la portion d’érables et augmenter celle des autres espèces, notamment d’espèces résistantes à la sécheresse. Quelque 45 % d’érables, c’est encore trop.

Le climat

Les changements climatiques entraînent une migration des maladies et des espèces d’insectes nuisibles méridionales vers le nord. Qu’en est-il des effets directs du réchauffement de la planète sur les champs et les forêts ? « Les effets directs vont surtout se faire sentir dans le nord du Canada », dit M. Messier.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UQAM

Christian Messier, biologiste

Détection aux frontières

L’autre recommandation du rapport du CAC est une surveillance accrue aux frontières. M. Messier cite la Nouvelle-Zélande en exemple. « Quand on sort de l’avion, on marche systématiquement dans des bacs contenant des liquides qui tuent les bactéries et les insectes. » Est-il possible de faire une telle surveillance au Canada, avec sa longue frontière avec les États-Unis ? « La surveillance phytosanitaire aux frontières est bien meilleure aux États-Unis qu’au Canada, répond M. Messier. Il faut augmenter notre surveillance aux aéroports et dans les ports, particulièrement pour les personnes et cargaisons en provenance de climats similaires au nôtre. Par exemple, en provenance du nord de la Chine. »

L’expérience autochtone

Le rapport a été rédigé par des biologistes et des spécialistes des sciences sociales. « Nous avons réservé une place importante aux communautés autochtones, dit M. Messier. Par exemple pour la surveillance des perturbations aux forêts, des maladies et insectes émergents. Il y a aussi un savoir ancestral. Dans les forêts précoloniales, il y avait beaucoup de pin blanc et de chêne rouge, deux espèces résistantes aux incendies. Les Autochtones mettaient aussi le feu à la forêt intentionnellement, pour éliminer le combustible au sol. Une bonne partie de la hausse des incendies de forêt des dernières années est due à l’accumulation du combustible au sol. » Le chêne rouge est protégé du feu par son enracinement profond et le pin blanc par sa hauteur, qui permet à la fois à son feuillage de survivre à certains feux et à ses graines de se disperser très loin, profitant notamment des ouvertures créées par les feux.

Les espèces indigènes

Planter des espèces indigènes est généralement préférable pour favoriser la biodiversité. « De plus, les espèces indigènes ont moins tendance à être envahissantes, dit M. Messier. Pensons à l’érable de Norvège qui envahit lentement les forêts naturelles autour de nos villes. » Les plantations d’arbres au Canada sont composées à 98 % d’arbres indigènes, contre seulement 22 % des forêts européennes, selon une étude publiée l’an dernier par M. Messier dans la revue Conservation Letters. Pourquoi ? « Il y a 300 ans, quand les Européens exploraient le monde, ils avaient détruit leurs forêts et ont décidé d’introduire des arbres pour faciliter la reforestation. Aussi, l’Europe a moins d’espèces d’arbres indigènes que l’Amérique du Nord. Ceci est causé par l’orientation des hautes chaînes de montagnes. Elles sont orientées nord-sud en Amérique du Nord, ce qui a permis une recolonisation rapide après la dernière glaciation. En Europe, les montagnes ont bloqué cette recolonisation. »

Accessibilité et protection

Pour favoriser la diversité végétale et protéger les forêts, faut-il les protéger des incursions humaines ? « C’est sûr que pour démocratiser l’accès à la nature, on peut vouloir aménager des chemins d’accès, dit M. Messier. Tout dépend du milieu. Dans le parc du Mont-Royal, par exemple, ce n’est pas une forêt naturelle et il y a beaucoup d’espèces envahissantes, notamment l’érable de Norvège. C’est très anthropisé, on n’a peut-être pas besoin de préserver toute la forêt. Mais au parc d’Oka, c’est un milieu beaucoup plus naturel, donc on peut peut-être limiter les chemins d’accès. En même temps, les pressions climatiques et biotiques sont tellement fortes que même le fait de préserver des écosystèmes naturels ne serait pas suffisant avec les stress qui s’en viennent. »

En savoir plus
  • 500 000
    Nombre d’emplois agricoles et forestiers au Canada
    SOURCE : CONSEIL DES ACADÉMIES CANADIENNES
    90 milliards 
    Exportations annuelles de l’agriculture et de la foresterie canadiennes
    SOURCE : CONSEIL DES ACADÉMIES CANADIENNES