Les astéroïdes qu’on trouve entre Mars et Jupiter ne sont pas tous nés à cet endroit. La moitié d’entre eux provient du voisinage de Pluton, selon une nouvelle analyse européenne. Cela pourrait chambouler la compréhension de la formation du système solaire – et rendre inutiles certaines missions à ses confins.

Densité

Pierre Vernazza, du Laboratoire d’astrophysique de Marseille, a analysé 42 astéroïdes qui sont entre Mars et Jupiter. La moitié étaient très denses, comme une roche, et l’autre moitié, très peu denses, ce qui signifie qu’ils sont composés d’un mélange de gaz et de glace. « C’est une dichotomie difficile à expliquer s’ils se sont formés au même endroit du système solaire », explique M. Vernazza, auteur principal d’une étude publiée l’automne dernier dans la revue Astronomy & Astrophysics.

  • Calliope et Psyche, deux des astéroïdes les plus denses, avec une densité supérieure à celle du diamant.

    PHOTO FOURNIE PAR VERNAZZA ET AL.

    Calliope et Psyche, deux des astéroïdes les plus denses, avec une densité supérieure à celle du diamant.

  • Sylvia et Lamberta sont parmi les astéroïdes les moins denses, avec une densité semblable à celle du charbon.

    PHOTO FOURNIE PAR VERNAZZA ET AL.

    Sylvia et Lamberta sont parmi les astéroïdes les moins denses, avec une densité semblable à celle du charbon.

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Est-ce que cette différence de densité peut s’expliquer par des collisions ? « Non, parce qu’ils ont tous plus de 90 km de diamètre, dit M. Vernazza. Ils ont une gravité suffisante pour se recomposer après un impact. »

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’ESO

Pierre Vernazza, du Laboratoire d’astrophysique de Marseille

« Ça signifie qu’il y a dans la ceinture d’astéroïdes beaucoup plus d’objets que prévu qui sont transneptuniens, indique M. Vernazza. Ils ont migré par la suite à leur emplacement actuel, entre Mars et Jupiter. Avant, on pensait que seulement 10 % de ces astéroïdes étaient semblables aux objets transneptuniens. » Les objets transneptuniens se trouvent au-delà de Neptune et incluent Pluton, anciennement considérée comme une planète, ainsi que les astéroïdes de la ceinture de Kuiper.

Formation du système solaire

Les modèles de formation du système solaire cherchent généralement à expliquer pourquoi les quatre planètes géantes – Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune – se trouvent là où elles sont, et pourquoi Mars est plus petit que la Terre. Des modèles postulent que certaines planètes géantes étaient autrefois beaucoup plus proches du Soleil.

« On peut considérer que les objets transneptuniens ont été éjectés de l’intérieur du système solaire vers l’extérieur, dit M. Vernazza. Nos résultats montrent que si c’est le cas, certains objets transneptuniens ont été expulsés, alors que d’autres sont restés piégés dans la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Olivier Hernandez, directeur du Planétarium de Montréal

Olivier Hernandez, directeur du Planétarium de Montréal, confirme que l’étude de M. Vernazza est « très importante » pour la compréhension de la formation du système solaire.

42 astéroïdes

IMAGE FOURNIE PAR VERNAZZA ET AL.

Image montrant les 42 plus grands astéroïdes de la ceinture située entre Mars et Jupiter, dont les 2 plus imposants, Cérès et Vesta, font respectivement 940 et 520 km de diamètre.

L’échantillon de M. Vernazza regroupe une bonne partie des 200 objets de la ceinture d’astéroïdes qui font plus de 100 km de diamètre, ainsi que 20 des 23 astéroïdes mesurant plus de 200 km. « Jusqu’à maintenant, seuls trois astéroïdes, Cérès, Vesta et Lutèce, avaient été observés avec autant de détails, grâce aux sondes Dawn et Rosetta, dit M. Vernazza. Nous avons utilisé un nouvel instrument de l’Observatoire européen austral. »

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L'ESO

L’instrument SPHERE de l’observatoire européen austral (ESO)

Cet instrument, le polarimètre imageur de Zurich (ZIMPOL), fait partie du spectropolarimètre à haut contraste pour la recherche d’exoplanètes (SPHERE), installé en 2014 dans l’observatoire situé au Chili. Outre des observations révolutionnaires sur la densité des astéroïdes, l’exercice a permis de déterminer la forme sphérique ou elliptique des astéroïdes, qui dépend de leur vitesse de rotation. Plus cette vitesse est grande, plus l’ellipse est prononcée.

L’A B C des astéroïdes

PHOTO FOURNIE PAR VERNAZZA ET AL.

Cérès et Vesta

La ceinture d’astéroïdes compte entre 700 000 et 1,7 million d’objets de plus de 1 km de diamètre. Elle a été découverte au début du XIXsiècle, alors que les astronomes cherchaient depuis deux siècles une planète entre Mars et Jupiter. Cérès a été découvert en premier par le prêtre et astronome italien Giuseppe Piazzi. Puis, des collègues européens ont compris qu’il s’agissait d’une nouvelle catégorie de corps célestes, baptisés astéroïdes par l’astronome britannique William Herschel, qui avait auparavant découvert Uranus.

  • Giuseppe Piazzi peint par Costanzo Angelini

    PHOTO TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

    Giuseppe Piazzi peint par Costanzo Angelini

  • William Herschel peint par Lemuel Francis Abbott

    PHOTO TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

    William Herschel peint par Lemuel Francis Abbott

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Les astéroïdes étaient au départ classés dans des familles aux noms mythologiques, selon leur forme et leur orbite. Depuis les années 1980, ils sont regroupés selon leur couleur et leur réflexivité, avec des catégories aux noms des lettres de l’alphabet. Avant l’étude de M. Vernazza, seuls les objets de catégorie P et D de la ceinture d’astéroïdes, qui représentent 10 % du nombre total d’objets de la ceinture, étaient considérés comme semblables aux objets transneptuniens.

Missions transneptuniennes

  • La ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter

    IMAGE TIRÉE DU SITE DE LA NASA

    La ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter

  • La ceinture de Kuiper, entre Neptune et Pluton

    IMAGE TIRÉE DU SITE DE LA NASA

    La ceinture de Kuiper, entre Neptune et Pluton

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L’une des conséquences de cette découverte sera la possibilité d’étudier les objets transneptuniens sans se rendre aussi loin que Pluton. « Si vous voulez étudier les objets transneptuniens, vous n’avez qu’à aller à la ceinture d’astéroïdes, dit M. Vernazza. On peut même y atterrir sur un astéroïde, ce qui est presque impossible dans la ceinture de Kuiper. Les missions aussi lointaines sont coûteuses et prennent un temps fou. »

M. Hernandez, du Planétarium, estime que le coût de missions vers Pluton et vers la ceinture d’astéroïdes est comparable, mais confirme que la durée des missions transneptuniennes pose des défis. Atterrir sur Pluton ou sur un autre objet de la ceinture de Kuiper est très difficile. La sonde New Horizons, par exemple, n’a fait que survoler Pluton en 2015.

Pourquoi l’étude des objets transneptuniens est-elle si importante ? « Ils sont les témoins des débuts du système solaire, parce qu’ils ont été moins affectés par le chauffage de l’eau », répond M. Vernazza.

Quatre sondes

Dawn : Lancée en 2007, cette sonde américaine a été en orbite autour de Vesta, deuxième orbite en importance de la ceinture d’astéroïdes, puis autour de la planète naine Cérès.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA NASA

Impression d’artiste de la sonde Dawn

Rosetta : Lancée en 2004, cette sonde européenne a survolé deux objets de la ceinture d’astéroïdes avant de se mettre en orbite autour d’une comète et d’y envoyer un atterrisseur, Philae.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’ESA

Impression d’artiste de la sonde Rosetta

Lucy : Lancée l’automne dernier, la sonde américaine Lucy explorera un objet de la ceinture d’astéroïdes, puis des astéroïdes « troyens » de Jupiter, qui se trouvent sur la même orbite que la planète géante.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA NASA

Impression d’artiste de la sonde Lucy

Psyche : Cette sonde américaine devrait être lancée l’été prochain. Elle restera presque deux ans en orbite autour de Psyche, dans la ceinture d’astéroïdes, qui semble être le noyau d’une ancienne protoplanète.

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Impression d’artiste de la sonde Psyche

Des troyens terrestres

Les astéroïdes qui tournent autour du Soleil sur la même orbite qu’une planète sont appelés « troyens ». C’est parce que les premiers objets de ce genre, les « troyens de Jupiter », ont été observés au début du XXsiècle par des astronomes allemands. À l’époque, l’exploration de Troie par des archéologues allemands faisait couler beaucoup d’encre dans le pays de Goethe. Le premier astéroïde troyen terrestre a été observé en 2010 et le deuxième, fin 2020. Ils font de plus en plus l’objet de recherches.

IMAGE TIRÉE DU SITE DE LA NASA

La ceinture de Kuiper, entre Neptune et Pluton

En savoir plus
  • La ceinture d’astéroïdes en chiffres
    940 km : diamètre de la planète naine Cérès, le plus gros objet de la ceinture d’astéroïdes
    4 % : la masse combinée de la ceinture d’astéroïdes correspond à 4 % de celle de la Lune.
    SOURCE : NASA