La quantité de perfluorés dans le lait maternel des Canadiennes est probablement suffisante pour avoir des effets sur la santé, selon une nouvelle étude montréalaise. Mais les chercheurs précisent que le risque individuel est probablement bien inférieur aux bénéfices de l’allaitement, sauf pour certaines femmes habitant près de lieux très pollués.

« Il y avait très peu de données sur la quantité de perfluorés dans le lait maternel au Canada et aux États-Unis », explique Marc-André Verner, toxicologiste à l’Université de Montréal et auteur principal de l’étude publiée mercredi dans la revue Environmental Health Perspectives. « Nous avons fait des extrapolations à partir des taux sanguins. Nos résultats montrent que pour certaines populations, les taux sont de 10 à 100 fois plus importants que les guides pour l’eau potable. »

Les perfluorés sont des molécules découvertes par des chimistes dans les années 1940 et 1950, notamment par la société 3M. Les plus connus ont mené aux composés antitache Scotchguard et antiadhésif Teflon, et d’autres résistent aux gras, à l’eau, à la chaleur, ce qui les rend très attrayants pour les fabricants de tapis et de meubles, de mousses anti-incendie, de vêtements et d’emballages alimentaires, entre autres.

Les preuves les plus solides de l’effet néfaste des perfluorés sont liées à une usine du géant de la chimie DuPont (aujourd’hui propriété de Chemours) à Parkersburg, en Virginie-Occidentale. Cette usine est à l’origine du film Dark Waters, sorti en 2019. Une étude publiée en 2013 dans Environmental Health Perspectives calculait que le risque de souffrir de plusieurs cancers augmentait dans la population de Parkersburg. Les pires augmentations étaient un risque 2 fois plus élevé pour le cancer du rein, et un risque 2,8 fois plus élevé pour le cancer des testicules. C’est comparable à l’augmentation du risque de cancer du rein liée à l’obésité.

« Il y a aussi de plus en plus de preuves que les perfluorés dans le sang du bébé diminuent l’efficacité des vaccins », ajoute M. Verner.

Les perfluorés s’accumulent dans le sang, ce qui signifie que leur concentration peut atteindre 100 fois celle dans l’eau potable. La concentration dans le lait maternel est toutefois 20 fois moins importante que dans le sang. Les concentrations les plus élevées dans l’étude de M. Verner ont été observées près de certains aéroports, bases militaires et dépotoirs, parce qu’à ces endroits, l’eau potable contient plus de perfluorés que ce qui est recommandé. À Parkersburg, les taux sanguins étaient 100 fois plus importants que la moyenne américaine, avec des pics à 10 000 fois la moyenne de concentration sanguine.

Risque individuel

Mis à part ces endroits problématiques, le risque posé par les perfluorés dans le lait maternel est « populationnel », selon M. Verner. « Si, par exemple, on perd un point de QI, au niveau individuel, on ne verra pas la différence. Mais au niveau de la population, il y aura peut-être moins de gens très intelligents qui vont inventer le prochain médicament contre le cancer. »

L’étude commence par une citation de 1984 du médecin en chef des États-Unis à propos des « barrières à l’allaitement maternel ». Elle sert à expliquer que les recherches sur les produits chimiques dans le lait maternel ont été suscitées par cet intérêt pour l’allaitement, mais qu’il manque encore de données pour que les femmes puissent faire des choix éclairés. M. Verner ne craint-il pas de créer de nouvelles barrières si des femmes enceintes se mettent à craindre d’empoisonner leur bébé en l’allaitant ? « Pour avoir travaillé avec les contaminants dans le lait maternel pendant plusieurs années, je suis très sensible à ça. Chaque fois, on répète le même message : on ne veut pas convaincre les femmes de ne pas allaiter ou de faire un sevrage hâtif. Dans la plupart des cas, les risques sont minimes par rapport aux bénéfices potentiels de l’allaitement. Mais dans certaines populations plus exposées, il faudrait que les femmes aient plus d’informations pour prendre une décision. »

En savoir plus
  • 95 %
    Proportion des adolescents et des adultes américains qui ont des perfluorés dans le sang
    source : cdc
    0,01 à 0,09 microgramme par litre
    Seuil minimum de signalement des perfluorés dans l’eau potable aux États-Unis
    source : epa