Cinq secondes. C’est le record de durée de fusion nucléaire annoncé mercredi par un institut britannique. Contrairement aux centrales nucléaires actuelles, la fusion ne créerait pas de déchets. Mais cette technologie ne sera pas prête avant 30, voire 50 ans.

Trois fois plus d’énergie

Le 21 décembre dernier, le Tore commun européen (JET) – réacteur expérimental de fusion situé près d’Oxford – a battu son propre record de 1997 en produisant 20 kilowattheures d’énergie pendant cinq secondes, soit presque trois fois plus d’énergie. « C’est toujours très intéressant de voir les progrès dans la fusion et l’intérêt médiatique », commente Émile Knystautas, physicien à l’Université Laval, qui a travaillé sur des réacteurs similaires au début de sa carrière. L’annonce de ce record, mercredi, survient alors que le JET touche à la fin de sa carrière, après 40 ans de bons et loyaux services.

Un vieux rêve

La fusion nucléaire fait rêver les physiciens parce qu’elle ne produit pas de déchets nucléaires, contrairement aux réacteurs nucléaires actuels, basés sur la fission de noyaux atomiques, et non leur fusion. « Quand j’ai commencé, on parlait d’atteindre la fusion en 50 ans, dit M. Knystautas. Maintenant, on parle plutôt de 60 ans. Alors le but s’éloigne au lieu de se rapprocher. » En 1976, un rapport gouvernemental américain avait estimé que la fusion nucléaire commerciale pourrait devenir réalité… en 1990. Les premiers réacteurs à fusion ont été conçus dans les années 1950, notamment par le Russe Andreï Sakharov, qui allait devenir un célèbre dissident.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’ITER

Travaux de construction du Réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER) d’Aix-en-Provence, en France

ITER

La prochaine étape dans la recherche sur la fusion est la mise en service du Réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER), en chantier près d’Aix-en-Provence. Son ouverture, plusieurs fois reportée, devrait survenir en 2025. « Avec ITER, on pense pouvoir arriver à produire enfin plus d’énergie qu’on en met dans le réacteur », explique M. Knystautas. Avec le JET, la fusion n’a donné que 30 % de l’énergie fournie au réacteur. Le record de production pour un réacteur à fusion est de 70 % de l’énergie fournie au réacteur. Le but de l’ITER est de produire 10 fois plus d’énergie que ce qui sera fourni au réacteur, notamment en contrôlant de manière différente les températures extrêmes générées par la fusion. « Mais on ne va avoir ces 10 fois plus d’énergie que pendant 300 secondes, note M. Knystautas. Après, il faudra pouvoir fonctionner en continu, ce qui pose toutes sortes de problèmes d’ingénierie, notamment pour la durabilité des murs du réacteur. » L’ITER, dont le budget est de 20 milliards d’euros, vise à atteindre son but en 2035.

Efficacité globale

De plus, les chiffres sur l’efficacité ne tiennent pas compte de l’énergie nécessaire pour opérer les systèmes permettant au réacteur de fonctionner, note M. Knystautas. Si on tient compte de cette « efficacité globale », l’efficacité des réacteurs actuels est en réalité de cinq à six fois moindre.

PHOTO LEON NEAL, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Bill Gates

Bill Gates

Lueur d’espoir, plusieurs groupes privés, dont l’un est financé par Bill Gates et Jeff Bezos, planchent aux États-Unis sur des projets de fusion nucléaire. Le magazine Forbes calculait récemment que ces projets, avec au premier plan la société Helion, qui a déjà testé une demi-douzaine de réacteurs à fusion, avaient reçu plus de 3 milliards US en financement privé en 2021.

Changements climatiques

Les responsables du JET ont prévenu les médias que la fusion nucléaire ne permettrait pas à court ou même moyen terme de faire face au problème des changements climatiques. En Écosse, le soutien du gouvernement régional à des projets de fusion nucléaire a même été critiqué par des groupes écologistes, qui veulent plutôt un soutien à l’énergie renouvelable conventionnelle pour avoir des résultats plus rapides.

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  • 60 méganewtons
    Puissance des aimants du futur Réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER), soit 60 millions de fois la gravité terrestre