Les superbactéries résistantes aux antibiotiques atteignent des niveaux dangereusement élevés dans toutes les régions du monde. Elles représentent aujourd’hui l’une des plus grandes menaces pour la santé mondiale.

La prochaine pandémie

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Les antibiotiques sont au cœur des soins de santé modernes.

« La prochaine pandémie pourrait être causée par une bactérie résistante aux antibiotiques. Il faut se préparer à ce que ça arrive », affirme d’emblée Yves Brun, professeur au département de microbiologie, infectiologie et immunologie de l’Université de Montréal.

Les antibiotiques sont au cœur des soins de santé modernes. Ils peuvent traiter une panoplie d’infections comme les bronchites, les infections urinaires, les pneumonies, les otites, les gastro-entérites et la tuberculose.

Mais leur avenir est menacé. Les antibiotiques perdent de leur efficacité en raison de l’évolution des bactéries, qui deviennent plus résistantes aux médicaments.

« C’est une problématique qui est généralisée dans le monde et qui s’aggrave d’année en année », dit M. Brun.

1,2 million

Nombre de morts qui auraient été directement causées par des infections résistantes aux antibiotiques en 2019, selon un nouveau rapport publié le 22 janvier.

Source : The Lancet

Des infections « de plus en plus difficiles à traiter »

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Centre hospitalier de l’Université de Montréal

« Malheureusement, on a de plus en plus de patients qui ont des infections qui sont difficiles à traiter », observe le DPhilippe Morency-Potvin, microbiologiste-infectiologue et coprésident du comité pour l’amélioration de l’usage des antimicrobiens au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM).

Pour réussir à soigner ces patients, les médecins doivent souvent offrir des combinaisons d’antibiotiques qui ne sont pas toujours efficaces et qui sont parfois plus toxiques, indique le DMorency-Potvin. « On doit aussi utiliser des antibiotiques plus puissants pour traiter des infections généralement assez simples », dit-il.

Ces solutions ne fonctionnent pas à tous les coups. « On a des patients qui sont décédés de leur infection parce qu’on n’a pas réussi à leur donner un traitement qui était suffisamment efficace avant que leur infection prenne le dessus », indique le médecin.

26 %

Proportion des infections résistantes aux antimicrobiens généralement utilisés pour les traiter en 2019. D’ici à 2050, le taux est susceptible de passer à 40 %.

Source : Rapport du comité d’experts sur les incidences socioéconomiques potentielles de la résistance aux antimicrobiens au Canada

Une « super gonorrhée »

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La bactérie qui cause la gonorrhée est de plus en plus difficile à combattre.

À ce jour, la gonorrhée est l’une des infections bactériennes les plus difficiles à traiter. La bactérie qui cause cette infection transmissible sexuellement est excellente pour résister aux antibiotiques.

« C’est vraiment une superbactérie qui a de très bonnes capacités à acquérir de nouveaux mécanismes de résistance », soutient Karine Blouin, conseillère scientifique spécialisée à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

Lorsqu’un nouvel antibiotique est mis sur le marché, la bactérie évolue et développe une résistance à cet ennemi. Les chercheurs doivent donc constamment développer de nouveaux traitements contre la maladie.

À l’heure actuelle, seuls quelques traitements sont toujours efficaces contre l’infection causée par la bactérie Neisseria gonorrhoeae. « On essaie de sauver les antibiotiques qui restent », dit Mme Blouin.

En 2019, le Québec a recensé 7521 cas de gonorrhée, soit 15 fois plus qu’en 1998, selon les données de l’INSPQ.

Il est possible qu’à l’avenir, cette infection devienne impossible à traiter.

1,4 milliard

Coût engendré par la résistance aux antibiotiques dans le système de santé canadien en 2018. Les coûts cumulatifs pourraient atteindre 120 milliards de dollars en 2050. « C’est non seulement un coût au niveau des vies humaines, mais également un coût économique énorme », dit Yves Brun, professeur au département de microbiologie, infectiologie et immunologie de l’Université de Montréal.

Source : Rapport du comité d’experts sur les incidences socioéconomiques potentielles de la résistance aux antimicrobiens au Canada

Problème mondial

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Véhicules circulant sur une autoroute de New Delhi, en Inde, en décembre dernier, dans le smog

La résistance aux antibiotiques s’accroît partout dans le monde, mais certaines régions sont davantage touchées que d’autres. C’est le cas notamment des pays en voie de développement, où les systèmes de santé sont plus rudimentaires, indique M. Brun.

« En Inde, par exemple, on peut acheter des antibiotiques sans prescription. Il y a donc beaucoup plus d’utilisation d’antibiotiques et donc beaucoup plus de souches résistantes aux antibiotiques », dit-il.

L’Asie du Sud-Est, l’Europe du Sud, comme la Grèce ou l’Espagne, et Israël sont aussi particulièrement touchés, ajoute le DMorency-Potvin.

En raison des voyages et du commerce, la résistance aux antibiotiques pourrait rapidement se propager. « Les bactéries n’ont pas de frontières, alors certaines bactéries super résistantes vont arriver au Canada », indique Mme Blouin.

Gare aux animaux

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L’usage d’antibiotiques dans les élevages de bétail doit être évité.

La résistance aux antibiotiques se produit naturellement, mais la mauvaise utilisation des antibiotiques chez les humains et les animaux accélère le processus.

À l’heure actuelle, des éleveurs utilisent toujours les antibiotiques de façon préventive. « On n’attend pas que l’animal soit malade, on le traite aux antibiotiques de façon régulière », se désole M. Brun.

Au Canada, 1,8 million de kilogrammes d’antimicrobiens ont été distribués ou vendus en 2015. Plus de 80 % visaient les animaux destinés à l’alimentation, selon les données du Programme intégré canadien de surveillance de la résistance aux antimicrobiens (PICRA).

Une mauvaise utilisation des antibiotiques chez les animaux accélère le développement et la prolifération de bactéries résistantes qui peuvent être transmises aux humains, indique M. Brun. « Il faut donc absolument limiter l’usage d’antibiotiques dans les élevages de bétail et dans l’aquaculture », dit-il.

3-2-1… Action !

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Siège social de l’Organisation mondiale de la santé, à Genève, en Suisse

Il faut agir dès maintenant pour limiter la résistance aux antibiotiques, préviennent les experts.

« Si aucune mesure urgente n’est prise, nous nous dirigeons vers une ère post-antibiotiques, dans laquelle des infections courantes et des blessures mineures peuvent de nouveau tuer », a déclaré sur son site internet l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Des experts demandent au gouvernement une meilleure surveillance de la résistance aux antibiotiques, la mise en place de programmes pour lutter contre les bactéries résistantes et plus de financement pour la recherche afin de découvrir de nouveaux antibiotiques.

Par ailleurs, l’OMS rappelle que chaque individu devrait :

  • utiliser des antibiotiques seulement sur ordonnance d’un professionnel de la santé agréé ;
  • ne jamais demander d’antibiotiques si le professionnel de la santé dit que ce n’est pas nécessaire ;
  • toujours suivre les conseils des professionnels de la santé lors de l’utilisation d’antibiotiques ;
  • ne jamais partager ou utiliser des antibiotiques restants.
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  • 1,2 million
    Nombre de morts qui auraient été directement causées par des infections résistantes aux antibiotiques en 2019, selon un nouveau rapport publié le 22 janvier.
    Source : The Lancet
    26 %
    Proportion des infections résistantes aux antimicrobiens généralement utilisés pour les traiter en 2019. D’ici à 2050, le taux est susceptible de passer à 40 %.
    Source : Rapport du comité d’experts sur les incidences socioéconomiques potentielles de la résistance aux antimicrobiens au Canada