C’est un scénario digne d’un film de science-fiction : faire hiberner un équipage complet de six astronautes de la Terre vers Mars. Dans le contexte de la course pour l’exploration de la planète rouge, l’Agence spatiale européenne explore cette avenue inusitée, qui faciliterait les voyages dans l’espace, et l’envisage d’ici les deux prochaines décennies.

« L’hibernation chez les astronautes serait un grand avantage pour les missions spatiales de longue durée, car elle rendrait le voyage plus sûr, atténuerait la dégradation de tissus du corps et permettrait de faire de grandes économies en matière de masse et de coûts », explique à La Presse Alexander Choukèr, physicien à l’hôpital universitaire Ludwig Maximilian de Munich, en Allemagne, et membre du comité d’hibernation de l’Agence spatiale européenne.

Lors des voyages spatiaux lointains, les ingénieurs font face à un problème logistique important : l’espace restreint dans les navettes spatiales pour le matériel et les vivres.

Une très grande partie de la masse dans les voyages spatiaux est consacrée aux besoins vitaux essentiels comme la nourriture, l’eau, l’air et l’élimination des déchets, détaille Jürgen Bereiter-Hahn, professeur retraité de l’Institut de biologie cellulaire et de neurosciences de l’Université Goethe de Francfort, en Allemagne, et coordonnateur de la recherche sur l’hibernation chez les humains.

C’est ainsi que l’hibernation puise tout son sens, puisqu’en état de torpeur, les astronautes n’auraient besoin ni de boire ni de s’alimenter. Toute l’énergie requise par le fonctionnement du corps serait extraite des graisses, tout comme le font les animaux en hibernation.

« Dans le règne animal, l’hibernation est très fréquente. Le but commun est d’épargner de l’énergie et des ressources. C’est la même chose dans le domaine spatial », soutient M. Choukèr.

La seule ressource qui serait consommée par les astronautes serait l’oxygène, et le seul déchet produit, le dioxyde de carbone. Les besoins énergétiques de leur métabolisme seraient réduits de 75 %.

180 jours en torpeur

Le scénario décrit par les chercheurs est ambitieux : au moment de leur départ vers la planète rouge, les membres de l’équipage s’allongeraient dans leur capsule respective. La température ambiante chuterait à 18 °C. Cette température, combinée à un médicament administré aux astronautes, permettrait de stabiliser leur température corporelle à 32 °C, une diminution de 5 °C par rapport à la normale.

« Dans nos recherches, on s’inspire beaucoup de l’hibernation chez les ours. La température d’hibernation de cet animal est d’environ 31 ℃. On estime qu’une température similaire serait suffisante chez l’humain », soutient M. Choukèr.

Des médicaments qui modifieraient l’activité du cerveau mettraient les astronautes en état de torpeur. La diminution de la température dans la capsule permettrait aux astronautes de se maintenir dans un stade inactif s’apparentant à l’hibernation chez l’animal.

« Cette température permettrait d’atteindre un ralentissement du métabolisme, tout en évitant les problèmes liés à une température corporelle trop basse, comme les troubles cardiaques », explique Gerhard Heldmaier, professeur de biologie à l’Université Philipps de Marbourg, en Allemagne, et membre du comité d’hibernation de l’Agence spatiale européenne.

Pendant toute la durée du trajet entre la Terre et Mars, soit environ 180 jours, aucune communication ne serait possible entre l’équipage et l’équipe sur Terre. La mission devra donc être conçue pour fonctionner de manière largement autonome, grâce à l’intelligence artificielle.

ILLUSTRATION TIRÉE DU SITE DE L’AGENCE SPATIALE EUROPÉENNE

Pendant le voyage spatial, les membres de l’équipage s’allongeraient dans leur capsule respective et leur état de santé serait surveillé et contrôlé grâce à une interface médicale.

Une interface médicale permettrait de contrôler leur état de santé pendant le voyage.

Lors de leur arrivée sur Mars, les astronautes reprendraient connaissance. Les experts ne craignent aucune perte de mémoire ou dégradation des compétences.

Défi : activer la bonne région du cerveau

Afin de parvenir à l’état de torpeur chez l’humain, les scientifiques souhaitent s’inspirer de l’hibernation chez les animaux.

Le fait que de nombreux animaux soient capables d’hiberner nous permet de penser que l’humain a peut-être les capacités de le faire également. Il faut seulement trouver la façon de l’activer.

Alexander Choukèr, physicien et membre du comité d’hibernation de l’Agence spatiale européenne

Dans les dernières années, les chercheurs ont observé que les souris pouvaient entrer en torpeur seulement quelques heures après avoir été privées de nourriture et exposées au froid. Cette hibernation semble être déclenchée par des neurones de l’hypothalamus, une région du cerveau qui contrôle notamment la faim, le stress ou l’éveil.

Chez l’humain, réussir à modifier l’activité des neurones de l’hypothalamus pose tout un défi, soutient M. Bereiter-Hahn. Cette région du cerveau ne peut pas être atteinte facilement par l’injection d’un médicament, car le corps humain, pour se protéger, bloque l’accès au cerveau à plusieurs molécules.

« Le plus gros défi sera d’être capable d’activer et de désactiver la bonne région du cerveau capable de nous faire entrer en hibernation », ajoute le chercheur.

Au cours des prochaines années, l’Agence continuera ses recherches pour mieux comprendre l’hibernation chez les animaux, dans le but d’appliquer ces mêmes pratiques chez l’humain.

« Nous avons besoin de plus de recherche fondamentale pour explorer les éléments essentiels du contrôle métabolique », estime le professeur Heldmaier.

Dans la prochaine décennie, les chercheurs espèrent développer des protocoles précis pour l’hibernation des humains. L’équipe souhaite lancer ses premières missions impliquant l’hibernation d’ici les 20 prochaines années.

« L’essentiel de la vie humaine est l’adaptation. L’hibernation est seulement une façon de s’adapter à de nouveaux environnements hostiles », résume M. Choukèr.

54,6 millions de kilomètres

Distance minimale entre la Terre et Mars

Source : NASA

De 175 à 225 jours

La durée du voyage vers Mars, qui peut varier selon la date de la mission.

Source : Agence spatiale européenne

L’hibernation à la rescousse des patients

L’hibernation ne serait pas seulement bénéfique dans le domaine de l’exploration spatiale. Elle pourrait aussi avoir de larges applications médicales. Un médecin américain étudie la possibilité de placer des patients dans un état de torpeur en remplaçant leur sang par une solution saline glacée.

« Les patients qui subissent un arrêt cardiaque à la suite d’un traumatisme, comme une blessure par balle ou un coup de couteau, survivent rarement », explique à La Presse Samuel Tisherman, professeur à l’École de médecine de l’Université du Maryland, aux États-Unis. Des dommages irréversibles sont causés aux organes vitaux avant que les chirurgiens ne puissent contrôler l’hémorragie. Le fait de remplacer le sang par un liquide glacé permet de diminuer les besoins en oxygène et en flux sanguin des organes vitaux pour les protéger pendant que les chirurgiens opèrent afin d’arrêter l’hémorragie. Une fois l’opération terminée, la solution saline est retirée et remplacée par le sang du patient.

Jusqu’à présent, la méthode aurait été réalisée à quelques reprises par le DTisherman chez des patients qui avaient peu de chances de survie avec les méthodes médicales traditionnelles. Le nombre de patients qui ont survécu et les détails des opérations seront dévoilés dans un article scientifique lorsque l’étude sera terminée.