La COVID-19 a-t-elle sonné l’heure de gloire de l’odorat ? Longtemps considéré comme moins crucial que la vue ou l’ouïe, ce sens suscite désormais un fort intérêt chez les scientifiques.

Un symptôme très répandu

La perte de l’odorat fait partie des symptômes les plus fréquents chez les personnes infectées par la COVID-19. « Environ 60 % des gens atteints du coronavirus montrent un trouble de l’odorat », affirme Johannes Frasnelli, professeur au département d’anatomie à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). « La perte est souvent brutale et totale, et associée à une perte du goût », ajoute Camille Ferdenzi-Lemaître, chargée de recherche au Centre de recherche en neurosciences de Lyon. Bien que ce symptôme disparaisse après quelques semaines dans 90 % des cas, certains garderont des effets plus durables. Certains conserveront une perte de l’odorat complète ou partielle, tandis que d’autres développeront une parosmie, soit une perception erronée des odeurs. « Par exemple, tout ce qui sentait la vanille pourrait maintenant sentir la moisissure ou le caoutchouc brûlé », illustre M. Frasnelli. Contrairement à ce qu’avançaient les précédentes études sur le sujet, les déficits ne seraient pas causés par des atteintes au cerveau, mais reposeraient plutôt sur les récepteurs de la cavité nasale qui laisseraient entrer le virus dans la cellule, explique Moustafa Bensafi et Catherine Rouby du Centre de recherche en neurosciences de Lyon.

Une association inusitée

Il est normal qu’en vieillissant, l’acuité de l’odorat diminue. Toutefois, cette perte de performance pourrait signifier un problème plus sérieux. Des études démontrent que de 90 à 95 % des patients atteints des maladies de Parkinson et d’Alzheimer ont un trouble de l’odorat. « Ce qui est très intéressant, c’est que le trouble de l’odorat précède les autres symptômes de 10 à 15 ans », indique Johannes Frasnelli. En effet, la dégénérescence des neurones, présente dans les deux maladies, débute principalement dans les régions cérébrales associées au traitement de l’odorat, explique M. Bensafi et Mme Rouby. Selon M. Frasnelli, cette découverte pourrait leur permettre d’effectuer un dépistage précoce. « Si on sait qu’une personne va avoir un diagnostic d’alzheimer ou de parkinson dans 10 ou 15 ans, on pourrait commencer à développer des traitements pour ralentir le progrès de la maladie », explique le professeur.

Peut-on perfectionner son odorat ?

Afin d’améliorer la capacité olfactive, il faut que l’odorat soit sollicité de façon soutenue et répétée. « L’odorat se développe comme un muscle », illustre Nicolas Dupré, neurologue au CHU de Québec. Les sommeliers sentent et dégustent beaucoup de vins, ce qui est suffisant pour entraîner leur odorat, explique M. Frasnelli. Véronique Rivest, sommelière, le confirme. « Je sens tout, constamment. J’essaie de sentir autant des odeurs plaisantes que déplaisantes », explique-t-elle. Alain Bélanger, sommelier et enseignant en sommellerie à l’École hôtelière de Laval, entraîne aussi son odorat quotidiennement. « Je dis à mes élèves de sentir tout ce qui les entoure pour avoir une acuité olfactive développée : les bouquets de fleurs, les parfums environnants, les odeurs dans la forêt. » Une fois exercées, les régions du cerveau qui sont associées au traitement de l’information olfactive deviennent plus fortes et ont plus de matière grise, explique M. Frasnelli. L’entraînement olfactif peut également être d’une grande aide pour les personnes qui ont perdu l’odorat.

Habituations aux odeurs

Lorsque nous entrons dans un nouvel endroit, de nombreuses odeurs nous assaillent : odeurs de transpiration, de parfum, de nourriture. Pourtant, quelques minutes plus tard, nous avons l’impression que les odeurs ont disparu. M. Frasnelli explique qu’après quelques minutes dans le même environnement, les récepteurs dans le nez deviennent moins sensibles, et le cerveau répond moins à l’information monotone qui arrive. « C’est une manière pour le cerveau de faire le tri entre toutes les informations présentes autour de nous, et de savoir auxquelles il est pertinent de répondre et lesquelles on peut raisonnablement ignorer », indique Mme Ferdenzi-Lemaître. Nous n’avons donc plus conscience des odeurs, même si les molécules odorantes sont toujours présentes.

Retour dans le passé

L’odorat est un des sens les plus fortement liés à la mémoire émotionnelle. « Souvent, quand on perçoit une odeur particulière ça va nous rappeler une situation dans laquelle on a été il y a 20 ou 30 ans », indique M. Dupré. M. Bensafi et Mme Rouby précisent que les souvenirs olfactifs personnels remontent le plus souvent à un âge inférieur à 10 ans. En effet, le traitement de l’information olfactive a lieu dans les centres du cerveau qui sont aussi responsables de la formation des nouveaux souvenirs. « L’information olfactive et les souvenirs sont donc intimement reliés, et la perception de certaines odeurs peut donc déclencher des souvenirs », explique M. Frasnelli.

Des odeurs répugnantes

Durant la grossesse, certaines femmes développent une aversion pour des aliments qu’elles aimaient. Contrairement à la croyance populaire, cette aversion ne serait pas causée par une amélioration de leurs capacités olfactives. « C’est intéressant de noter que le seuil de détection des femmes enceintes ne semble pas changer, mais c’est surtout l’évaluation des odeurs qui est altérée, indique M. Frasnelli. Une odeur qui normalement est peut-être neutre ou légèrement désagréable devient très désagréable pendant la grossesse. » Il précise que cette altération de l’évaluation des odeurs est une fonction évolutive qui avait pour but de protéger le fœtus et la mère des substances toxiques.

Les sens nobles

Historiquement, la vue et l’ouïe étaient considérées comme des sens nobles, puisqu’elles permettaient d’apprécier les arts, la peinture et la musique, explique Mme Rivest. « L’odorat et le goût étaient plutôt considérés comme quelque chose de vulgaire, parce qu’ils ne servaient qu’à manger et à boire, ajoute-t-elle. C’est pour ça que l’on connaît si peu de chose sur ces sens parce qu’on a commencé à s’y intéresser sérieusement d’un point de vue scientifique des siècles plus tard. » Elle souligne qu’encore aujourd’hui, l’odorat n’est pas reconnu à sa pleine valeur, même s’il joue un rôle énorme dans nos vies.

Les experts se regroupent

Au cours des prochains mois, scientifiques, historiens et experts en intelligence artificielle à travers le Royaume-Uni et l’Europe se regrouperont afin d’identifier et même de recréer les arômes qui auraient été particulièrement présents entre le XVIe et le début du XXsiècle. Le but du projet ? Recréer les odeurs historiques avec l’aide de chimistes et de parfumeurs, pour ensuite les diffuser dans les musées et les sites patrimoniaux afin d’améliorer l’expérience des visiteurs. Pour ce faire, l’intelligence artificielle analysera des textes historiques afin de repérer des éléments aromatiques dans les images et les textes. En effet, de nombreuses références à l’odeur, notamment l’encens ou le tabac, sont mentionnées dans les textes imprimés publiés en Europe depuis les années 1500.