Une météorite qui a explosé au-dessus de Sodome il y a 3600 ans explique la destruction de cette ville, selon une nouvelle étude américaine. La déflagration aurait fait en sorte que l’eau de la mer Morte se serait évaporée. Cela aurait ensuite fait pleuvoir de l’eau très salée sur les plaines environnantes, les rendant stériles et couvrant la fameuse « femme de Loth » d’une couche de sel. Cette thèse suscite la controverse.

Un évènement extraordinaire

« Dans la Genèse, on lit que les péchés de Sodome ont provoqué la colère de Dieu, qui a détruit la ville et rendu ses champs infertiles », rappelle Phillip Silvia, archéologue à l’Université Trinity Southwest, au Nouveau-Mexique. « Les gens assez éloignés de l’explosion ont été recouverts d’une fine couche de sel, ce qui explique la femme de Loth transformée en statue de sel parce qu’elle a voulu regarder la tragédie. »

1713 ℃ : c’est la température à laquelle le vernis de certaines des poteries retrouvées à Tall el-Hammam, un site jordanien au nord-est de la mer Morte, se transforme en verre. « Pour avoir ce genre de température, il faut un évènement extraordinaire comme une météorite de quelques dizaines de mètres qui explose avant de frapper le sol », explique Phillip Silvia. Il est l’auteur principal d’une étude diffusée cet automne dans la revue Scientific Reports, publiée par Nature.

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ TRINITY SOUTHWEST

Tall el-Hammam

« L’explosion aérienne de la météorite explique pourquoi on n’a pas retrouvé de cratère, estime-t-il. Tall el-Hammam est situé à un endroit plausible, sur le chemin d’Abraham entre la Mésopotamie et Israël, pour que ce soit Sodome. Sa destruction est compatible avec les chronologies possibles de la Bible. Et la météorite aurait vraisemblablement vaporisé une partie de l’eau de la mer Morte, rendant très salés les champs environnants. On a trouvé une couche de terre très salée, des experts du département américain de l’Agriculture m’ont confirmé que rien ne peut y pousser. »

Selon M. Silvia, la météorite de Sodome avait une taille supérieure à celle de 17 m qui a blessé 1000 personnes en explosant près de la ville sibérienne de Tcheliabinsk, en 2013.

Sodome dans la Genèse

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La destruction de Sodome dans la chronique de Nuremberg (1493). À gauche, la femme de Loth en statue de sel ; à droite, Loth et ses filles.

« Alors l’Éternel fit tomber sur Sodome et sur Gomorrhe une pluie de soufre et de feu ; ce fut l’Éternel lui-même qui envoya du ciel ce fléau. Il détruisit ces villes et toute la plaine, et tous les habitants de ces villes. La femme de Loth regarda en arrière, et elle devint une statue de sel. »

Fortin

  • Fouilles dans la ville détruite il y a 3600 ans à Tall el-Hammam

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    Fouilles dans la ville détruite il y a 3600 ans à Tall el-Hammam

  • Murs d’habitations de la ville détruite il y a 3600 ans à Tall el-Hammam

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    Murs d’habitations de la ville détruite il y a 3600 ans à Tall el-Hammam

  • Tall el-Hammam

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    Tall el-Hammam

  • Tall el-Hammam

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    Tall el-Hammam

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Les fouilles archéologiques à Tall el-Hammam sont relativement récentes. « Durant la Première Guerre mondiale, c’était un fortin [petit fort] ottoman, dit M. Silvia. Puis, durant la guerre en 1967, les Jordaniens ont miné l’approche de la colline où était située la ville antique, pour protéger de l’artillerie qui y était installée. Alors, les fouilles étaient risquées. Quand mon directeur de thèse a commencé à y travailler, il y a 15 ans, il a perdu un ouvrier à cause d’une mine. Nous avons trouvé plusieurs couches archéologiques correspondant à plusieurs villes ayant existé à cet endroit depuis 4000 ans. »

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Vue des différentes couches d’occupation de Tall el-Hammam

M. Silvia, un ingénieur électronique de 71 ans qui est aussi pasteur, a obtenu son doctorat en archéologie biblique en 2015 après sa retraite. À noter, ses grands-parents maternels sont des francophones qui ont émigré des Îles-de-la-Madeleine au Massachusetts dans les années 1920.

Controverse

L’étude, dont les résultats avaient été partiellement présentés dans des conférences d’archéologie biblique ces dernières années, a été attaquée sur deux points après sa publication dans Scientific Reports. Il s’agit premièrement du degré de modification des photos pour y insérer des flèches et des carrés identifiant les points d’intérêt, et deuxièmement, de l’opinion répandue chez les spécialistes d’archéologie biblique qu’Abraham venait plutôt du sud-est de la mer Morte, avant de se diriger vers Israël.

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La fuite de Loth de Sodome par le graveur Wenceslas Hollar de Bohème (1650)

« Quand on parle de l’histoire d’Abraham, on parle plutôt de sites situés au sud-est de la mer Morte », dit Sébastien Doane, théologien spécialiste de l’« interprétation biblique » de l’Ancien et du Nouveau Testaments à l’Université Laval. « Alors situer Sodome, qui est sur l’itinéraire d’Abraham, plus au nord, ça va à l’encontre de ce qui est accepté. Ceci dit, il n’y a rien dans ce qu’on sait actuellement sur les sites de la Genèse qui exclut formellement que les auteurs de l’étude de Scientific Report aient raison. »

La Presse a aussi demandé son avis au responsable des fouilles archéologiques italiennes en Jordanie, Francesco Benedettucci, qui a qualifié la thèse de M. Silvia d’« intéressante ». Pour ce qui est des photos, l’éditeur en chef de Scientific Reports a indiqué, au début d’octobre à des blogues spécialisés dans l’intégrité scientifique, qu’il allait examiner la question, mais il n’a pas donné suite à ces critiques.

Histoire orale

La Genèse a été écrite à la fin du VIsiècle avant Jésus-Christ, lors du retour des juifs de leur captivité à Babylone. Ils y avaient été exilés par le roi babylonien Nabuchodonosor II lors de sa conquête d’Israël au début du VIsiècle, et libérés par les Perses qui ont conquis Babylone en 538.

Cela pose problème pour l’historicité des évènements qui y sont décrits, selon Israël Finkelstein, célèbre archéologue de l’Université de Tel-Aviv. « Toute tentative de lier cette histoire biblique à un évènement historique ignore quatre siècles d’exégèse biblique, dit M. Finkelstein. Les gens qui ont écrit la Genèse voyaient ces ruines de l’âge du bronze et ont tenté de les expliquer. »

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La destruction de Sodome selon le peintre néerlandais Jacob Jacobsz de Wet (1680)

N’est-il pas possible qu’un compte rendu de la destruction de Sodome ait été transmis oralement pendant un millénaire, un peu comme pour l’histoire orale des peuples autochtones canadiens ? « C’est certainement une possibilité, dit M. Doane. Mais l’incorporation de l’histoire orale à l’archéologie et aux preuves écrites est toute récente, alors il faut faire attention. On tient compte, par exemple, des modalités de la transmission orale, pour voir le risque de modification des histoires. »

Pour mieux comprendre le point de vue de M. Finkelstein, La Presse lui a demandé si l’Iliade d’Homère, écrite plusieurs siècles après la destruction de la ville antique de Troie, peut être associée au site archéologique de Troie. « L’Iliade conserve des éléments de mémoire de l’âge héroïque, mais il n’y a aucun élément de mémoire de l’âge du bronze cananéen dans la Genèse », a répondu M. Finkelstein. L’« âge héroïque » correspond à la frontière entre l’âge du bronze et l’âge du fer, il y a 1200 ans. L’âge du fer est ainsi nommé parce que l’humain a alors commencé à travailler ce métal.

Maximalistes et minimalistes

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La destruction de Sodome dans une bible française du XVIIe siècle

Le débat sur Sodome reflète le bras de fer entre les interprétations archéologiques « maximaliste » et « minimaliste » de la Bible, selon David Graves, archéologue néo-brunswickois à la retraite qui a travaillé sur Tall el-Hammam. « Les maximalistes pensent que tout ce qui est écrit dans la Bible s’est passé tel quel, avec évidemment des explications naturelles pour les interventions divines, dit M. Graves. Les minimalistes comme Finkelstein pensent que les auteurs de la Bible ont décrit ce qu’ils voyaient autour d’eux, sans aucun apport de l’histoire orale. Nous nous trouvons au milieu. »

Et Jéricho ?

La météorite qui a détruit Sodome explique-t-elle aussi la destruction des murs de Jéricho par les trompettes de l’armée israélienne ? « Non, parce que cet évènement est arrivé quelques siècles plus tard, dit M. Silvia. Ceci dit, sur le site de Jéricho, à l’ouest de la mer Morte vis-à-vis de Tall el-Hammam, il semble y avoir des traces de destruction compatibles avec la météorite, au bon moment. »

Sodome en chiffres

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La destruction de Sodome selon le peintre britannique John Martin (1852)

8000 

Nombre d’habitants de Tall el-Hammam, ou Sodome, lors de sa destruction en 1650 avant Jésus-Christ

Source : Scientific Reports