Le 22 décembre, le successeur du télescope spatial Hubble, le James-Webb, décollera de la Guyane française à bord d’une fusée Ariane. Ce télescope permettra de détailler comme jamais auparavant l’atmosphère des exoplanètes. Et peut-être de déceler les traces de la vie extraterrestre.

Infrarouge

PHOTO FOURNIE PAR LA NASA

Le télescope spatial James-Webb lors de ses derniers tests l’été dernier

Quand la conception du Webb a commencé, il y a près de 30 ans, l’objectif était d’étudier les objets les plus éloignés – donc les plus vieux – de l’Univers. Pour ce faire, il fallait une spécialisation dans l’infrarouge. L’explosion du nombre d’exoplanètes, après l’an 2000, a ajouté un nouvel objectif scientifique au projet : l’exploration des atmosphères d’exoplanètes, pour laquelle les trois instruments infrarouges du télescope spatial sont parfaitement adaptés. Quand les exoplanètes transitent devant leur étoile, la lumière de cette dernière est partiellement bloquée par leur atmosphère. Ce changement peut être observé avec des capteurs infrarouges, dont les données permettront de déduire la composition de ces « exo-atmosphères ».

Un bémol

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ JOHNS HOPKINS

Sarah Moran, de l’Université Johns Hopkins, qui fait partie des coauteurs de l’étude

Le Webb sera parfait pour mesurer la quantité de dioxyde de carbone, de méthane, d’eau et d’azote dans les atmosphères d’exoplanètes. Mais ce sera plus difficile pour l’oxygène et l’ozone, deux autres molécules associées à la vie, selon une étude publiée cet automne dans l’Astronomical Journal. « Nous avons utilisé le système planétaire L 98-59 comme cobaye pour voir combien de temps d’observation il faudrait au Webb pour détecter différentes molécules atmosphériques associées à la vie », explique Sarah Moran, de l’Université Johns Hopkins de Baltimore, aux États-Unis, qui fait partie des coauteurs de l’étude.

« Pour l’eau, le CO2 et le méthane, c’est assez facile, mais pour l’ozone et l’oxygène, ça prendrait des dizaines d’heures, indique Sarah Moran. C’est peu probable qu’une équipe ait accès au Webb pendant aussi longtemps pour une seule cible. D’autant plus qu’il y a des manières théoriques de produire ces gaz de manière abiotique, donc sans présence de vie extraterrestre. » L 98-59 est un système solaire comportant quatre planètes de taille terrestre, situé à 34 années-lumière.

L’astronome de Baltimore avance qu’il serait peut-être possible de combiner en synergie des observations d’autres télescopes (spatiaux et terrestres) avec celles du Webb, pour accélérer la détection d’oxygène ou d’ozone. Sinon, il faudra attendre le prochain télescope spatial, qui sera lancé d’ici 20 à 30 ans.

Glace

Une autre capacité prometteuse du Webb est la détection de glace dans les « nuages protoplanétaires », soit de la poussière qui entoure une étoile très jeune, avant la formation de planètes. Cela pourrait permettre de savoir si l’eau était présente sur Terre dès sa création ou si elle est venue de comètes. D’autres chercheurs vont se pencher sur les molécules organiques qui peuvent se former avec la glace protoplanétaire.

Encelade et Europe

IMAGE FOURNIE PAR LA NASA

Illustration d’artiste d’Oumuamua

Le nouveau télescope spatial ne scrutera pas seulement l’Univers très éloigné ou les exoplanètes. Il examinera aussi deux lunes de Saturne et Jupiter, Encelade et Europe, pour voir ce qu’il y a exactement dans les jets de gaz qui s’échappent par intervalles de leur surface glacée. Sous leur banquise, ces lunes pourraient abriter des océans réchauffés par des sources hydrothermales, et donc… la vie. D’autres chercheurs tenteront de trouver des astéroïdes ou des comètes provenant de l’extérieur du système solaire. Seuls deux « objets interstellaires » ont été détectés jusqu’à maintenant, le premier étant Oumuamua en 2017.

L’ABC du Webb

Après son lancement, le James-Webb voyagera jusqu’à un point appelé « Lagrange L2 », où les gravités terrestre et solaire s’annulent. Il mettra 30 jours à parcourir les 1,5 million de kilomètres qui séparent la Terre de L2 (soit quatre fois la distance jusqu’à la Lune). Ensuite, il déploiera un écran de la taille d’un court de tennis, afin d’observer des étoiles très lointaines et très peu lumineuses.

Le James-Webb en chiffres

18 : nombre de sections de la soucoupe du télescope James-Webb

6,5 m⁠2 : superficie de la soucoupe du télescope James-Webb une fois déployée

250 : nombre de projets de recherche actuellement approuvés pour le télescope James-Webb

2,4 m⁠2 : superficie de la soucoupe du télescope Hubble

85 °C : température sur le côté du télescope James-Webb qui sera exposé au Soleil

- 233 °C : température sur le côté du télescope James-Webb qui sera protégé du Soleil

Source : NASA

Deux instruments canadiens

PHOTO FOURNIE PAR RENÉ DOYON

Des tests sur le NIRISS (boîte plus grosse sous la plateforme) et le pointeur FGS (au-dessus de la plateforme)

Un instrument canadien mis au point par une équipe de l’Université de Montréal, un « imageur proche infrarouge et spectromètre sans fente » (ou NIRISS, selon l’acronyme anglais), servira à l’analyse de l’atmosphère des exoplanètes. Le Canada est aussi responsable du « capteur de guidage fin » (FGS) qui aidera à pointer le télescope James-Webb, quand il va faire ses observations. Grâce à sa contribution de 178 millions CAN, 5 % du temps d’observation du Webb est réservé à des institutions canadiennes.

« Pour le moment, sur 450 heures garanties, nous avons 200 heures réservées à la détection de galaxies situées derrière des amas de galaxies, par une technique appelée lentille gravitationnelle », explique René Doyon, de l’Université de Montréal, qui a supervisé la conception du NIRISS.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

René Doyon, de l’Université de Montréal, qui a supervisé la conception du NIRISS

« On mettra aussi 200 heures sur l’analyse de l’atmosphère d’exoplanètes. On se penchera sur des planètes de la taille de Jupiter qui sont très, très chaudes, et quelques cibles de la taille de la Terre, situées dans la zone habitable de leur système solaire. »

Controverse LGBTQ+

PHOTO FOURNIE PAR LA NASA

James Webb présentant l’alunisseur d’Apollo

James Webb était le patron de la NASA à l’époque d’Apollo, dans les années 1960. Au début de l’année, des chercheurs ont publié dans la revue Scientific American une lettre ouverte, par la suite appuyée par 1200 personnes, réclamant qu’un autre nom soit choisi pour le télescope spatial parce que M. Webb aurait participé au congédiement de fonctionnaires et chercheurs homosexuels, à l’époque. La NASA a fait enquête et conclu en septembre dernier, sans appuyer sa décision, qu’« aucune preuve ne mène à la conclusion qu’il faut changer le nom » du télescope spatial pour cette raison.

L’origine des exoplanètes

Les premières exoplanètes ont été découvertes en 1992. Il s’agissait alors de planètes en orbite autour d’un système à plusieurs étoiles. Il a fallu attendre 1995 pour qu’une exoplanète en orbite autour d’une étoile solitaire, comme notre Soleil, soit détectée. À l’époque, la présence d’une exoplanète était déduite de la pulsation qu’elle induisait dans son étoile quand cette exoplanète se dirigeait vers la Terre, puis s’en éloignait. Il s’agit d’un effet semblable au bruit différent qu’une ambulance fait quand elle s’approche et s’éloigne de nous. Selon l’encyclopédie des planètes extrasolaires, un catalogue maintenu par l’observatoire de Meudon à Paris, il y a actuellement 4878 exoplanètes confirmées, dans 3604 systèmes solaires.

Une version précédente de ce texte indiquait erronément que le système solaire L 98-59 est situé à 34 millions d’années-lumière.