Après des années de discussions et de projets-pilotes, l’utilisation de voiles sur des navires géants est maintenant bien enclenchée.
« On a une quinzaine d’installations cette année, et pour l’an prochain, il y en a déjà 20 qui sont projetées », explique Gavin Allwright, secrétaire général de l’Association internationale des bateaux à voiles (IWSA). « Dans la moitié des cas, il s’agit de la première étape d’un plan à long terme d’équiper tous les navires d’une compagnie d’un type de propulsion éolienne. Bien sûr, si les résultats escomptés ne se matérialisent pas, ces plans vont changer. Mais étant donné l’état des connaissances, c’est à peu près impossible. »
Selon M. Allwright, les projets actuels visent à diminuer la consommation de carburant de 5 à 10 %, plutôt que de miser sur une propulsion éolienne dominante.
Les voiles qui aident la propulsion peuvent fournir de 10 à 20 % de la puissance si on optimise les trajets et la vitesse des navires. Mais pour le moment, les armateurs ne veulent pas faire ce genre de compromis.
Gavin Allwright, secrétaire général de l’Association internationale des bateaux à voiles
Ces installations sont généralement sur des navires déjà existants, plutôt que des constructions neuves. En moyenne, le carburant représente environ la moitié des frais d’exploitation d’un grand navire, selon M. Allwright.
2030 ou 2050
Il se construit normalement 2000 très grands navires-cargos ou traversiers dans le monde chaque année. La pandémie a fait chuter ce chiffre de moitié. Cela signifie que moins de 1 % des nouveaux navires ont actuellement des voiles.
Pourtant, un rapport de l’Union européenne a récemment estimé que 15 % de la flotte commerciale mondiale (entre 60 000 et 100 000 navires, selon le seuil où un cargo est jugé de grande taille) serait en partie mue par le vent d’ici 2030. Le gouvernement britannique, lui, prédit que 45 % de la flotte commerciale le sera d’ici 2050.
« Je pense que dans les deux cas, c’est une estimation conservatrice », prédit M. Allwright.
Pour le moment, une certaine incertitude plane quant aux règles qui seront imposées pour encadrer la consommation future de carburants maritimes. « Les armateurs ne savent pas encore s’ils doivent miser sur de l’aide éolienne ou sur une propulsion en majorité éolienne. Alors, ils attendent. Ils se disent que de toute façon, ils feront une modification des navires existants. »
Le coût d’une installation va de quelques centaines de milliers de dollars américains à plusieurs millions, selon M. Allwright.
Porte-conteneurs et cerfs-volants
La seule catégorie de grands navires qui est absente des projets éoliens actuellement est le porte-conteneurs. « Pour installer une voile, il faut y consacrer une partie du pont, dit M. Allwright. C’est problématique pour les porte-conteneurs. »
Une autre technologie utilisant le pouvoir du vent pourrait changer la donne : les cerfs-volants. « Cette approche éolienne fait un retour marqué après des essais prématurés il y a une demi-douzaine d’années. Une entreprise japonaise de cargos vient de commander un navire propulsé par un cerf-volant avec une option d’achat de 50 autres navires si ce projet-pilote fonctionne », explique M. Allwright.
Autre motif d’optimisme pour M. Allwright : son association attire maintenant de grandes entreprises comme Kawasaki Kisen Kaisha, un géant maritime japonais, ou Airbus, qui a donné naissance à une firme spécialisée en cerfs-volants pour cargos, Airseas.
« Airbus va équiper de voiles son navire qui livre les grandes pièces d’avions, dit M. Allwright. Au Brésil, le géant minier Vale a son premier navire à propulsion en partie éolienne cette année et a d’autres projets. Et la Chine a embarqué dans le train cette année avec un superpétrolier. »
Quelques approches
La voile rotor
Il s’agit d’un rotor vertical qui crée une pression négative vers l’avant du cylindre, ce qui fait avancer le navire. Dix grands navires ont adopté cette technologie. Deux nouveaux projets seront livrés d’ici la fin de l’année.
Voile rigide
Il s’agit d’une voile traditionnelle, mais qui n’est pas en matériel mou, ce qui permet d’y ajouter des panneaux solaires. Quatre grands navires ont adopté cette technologie, ainsi qu’une dizaine de petits traversiers. Cinq nouveaux projets seront livrés d’ici la fin de l’année.
Voile souple
Il s’agit d’améliorations technologiques du voilier traditionnel. Quatre traversiers pour voitures et camions ont adopté cette technologie, ainsi qu’une dizaine de navires commerciaux de plus petite taille, et une dizaine de bateaux de croisière.
Aile à succion
Il s’agit d’une voile munie d’entrées d’air mécanisées pour accentuer la différence de pression entre les deux côtés de la voile, afin d’augmenter la force de propulsion. Trois grands navires-cargos ont adopté cette technologie et deux autres projets seront livrés d’ici la fin de l’année.
Voile gonflable
En juin, le géant du pneu Michelin a dévoilé une voile gonflable qui permettrait de diminuer les coûts de carburant de 20 %. Le concept est basé sur les travaux d’ingénieurs suisses.
Cerfs-volants
Une dizaine de projets ont testé le concept sans succès il y a 10 ans, mais de nouvelles technologies de gestion dynamique du cerf-volant ont mené à trois nouveaux projets cette année et l’an prochain. Kawasaki Kisen Kaisha va installer un cerf-volant d’Airseas sur un de ses navires et a des options pour 50 autres installations de ce concept testé sur un porte-conteneurs d’Airbus, le Ciudad de Cadiz.
Glisser sur des bulles
Le vent n’est pas la seule manière non mécanique de diminuer la consommation de carburant et les émissions de GES des navires. À Londres, la société Silverstream mise sur une couche de bulles sous la coque du navire qui réduit la friction avec l’eau.
« J’ai eu l’idée en faisant des compétitions de voile durant la jeunesse », dit Noah Silberschmidt, fondateur de Silverstream. « Nous avons maintenant une trentaine d’installations sur des navires neufs, en plus d’installations sur des navires existants, depuis trois ans. »
Silverstream, née en 2010, a connu le succès grâce à des essais concluants sur des navires de Shell il y a une demi-douzaine d’années. Elle estime que le coût de sa technologie de bulles est remboursé en deux à quatre ans par les économies de carburant de 5 à 10 %.
M. Allwright, de l’IWSA, confirme que pour être adoptée par l’industrie maritime, une technologie doit avoir un « retour sur l’investissement » de trois ans.
2,7 %
Proportion des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine générées par des navires dans le monde
Source : Airseas