Les incendies de forêt ont fait les manchettes une bonne partie de l’été… presque partout dans l’hémisphère Nord. Le réchauffement de la planète explique en grande partie pourquoi la planète semble brûler ces jours-ci. Mais l’abandon des pratiques ancestrales autochtones fait aussi partie de l’équation en Amérique du Nord. Et la foudre, comme à son habitude, brouille les cartes.

Plus chaud, plus sec, plus longtemps

La théorie est claire : plus il fait chaud, et plus l’été dure longtemps, plus le risque d’incendies de forêt est élevé, à moins d’une forte augmentation des précipitations. « On attendait une augmentation du nombre d’incendies de forêt depuis un certain temps », explique Mike Flannigan, spécialiste de la question à l’Université Thompson Rivers, à Kamloops. « Depuis une dizaine d’années, on la voit, cette augmentation. » Federico Fierli, responsable de la surveillance des incendies de forêt à l’Organisation européenne pour l’exploitation des satellites météorologiques (Eumetsat), précise que l’augmentation a en partie été masquée par des changements en Afrique, où les feux de brousse représentent 70 % du total des incendies de forêt du monde. « Il y a moins de feux de savane en Afrique pour plusieurs raisons », dit M. Fierli. M. Flannigan indique que la superficie annuelle brûlée en moyenne au Canada a cependant doublé par rapport aux années 1970, une augmentation qui est deux fois plus importante dans l’ouest des États-Unis. Le problème des incendies de forêt est qu’ils sont eux-mêmes une source de gaz à effet de serre. Pour ce qui est de leur impact direct sur la température, c’est moins clair. « Les cendres peuvent monter à 10 ou 12 kilomètres d’altitude, dit M. Fierli. En théorie, elles peuvent bloquer la lumière du Soleil, mais elles ont aussi des interactions avec les particules de nuages qui sont mal comprises. »

PHOTO TIRÉE DU SITE D'EUMETSAT

Federico Fierli, responsable de la surveillance des incendies de forêt à l’Organisation européenne pour l’exploitation des satellites météorologiques (Eumetsat)

Les brûlis sélectifs

Jusqu’au début du XXe siècle, les autochtones américains brûlaient régulièrement des parcelles de forêts, à des fins d’agriculture ou pour faciliter la chasse et la cueillette. Ces pratiques ont été graduellement interdites et, après la Seconde Guerre mondiale, les pompiers ont commencé à utiliser des bombardiers pour lutter contre les incendies de forêt. Pour Susan Pritchard, spécialiste de la question à l’Université de l’État de Washington, ce changement a eu un impact au moins aussi grand que le réchauffement de la planète sur l’augmentation des incendies de forêt. « Si on laisse les branches et les aiguilles de pin s’entasser au pied des arbres pendant 60 ans, on se retrouve avec un environnement idéal pour des incendies incontrôlables, dit l’écologiste de Seattle. Depuis les années 1970, on essaie, aux États-Unis, de ramener ces feux contrôlés, mais c’est difficile, parce qu’il y a beaucoup de protestation de part de la population. » M. Flannigan et M. Fierli confirment que les feux contrôlés sont une approche de plus en plus étudiée pour contrer l’augmentation des superficies brûlées. « Mais c’est difficile à concilier avec le tourisme, par exemple, dit M. Flannigan. Il y a même eu une poursuite liée à un incendie contrôlé au Dakota du Nord l’an dernier, parce que la fumée avait causé un carambolage sur une autoroute. » Mme Pritchard indique que les autochtones de l’ouest du Canada pratiquaient probablement aussi des feux contrôlés, dans une moindre mesure.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L'UNIVERSITÉ DE L’ÉTAT DE WASHINGTON

Susan Pritchard, chercheuse à l’Université de l’État de Washington, spécialisée en écosystèmes forestiers

Triage en Ontario et à Banff

Une autre approche est de laisser brûler certains incendies, une technique qui s’apparente à des « feux contrôlés ». « L’Ontario pratique depuis quelques années un système de triage pour les incendies de forêt, dit M. Flannigan. C’est particulièrement appliqué dans les régions peu habitées. » Certains parcs nationaux américains ont aussi des formes de triage, selon Mme Pritchard. « Le parc national de Banff a aussi un plan très élaboré de laisser brûler certains incendies, dit l’écologiste américaine, qui a beaucoup de liens avec ses collègues de l’ouest du Canada. Il y a une carte des zones du parc de Banff où il serait souhaitable d’avoir des feux préventifs, pour diminuer le risque d’un incendie de forêt incontrôlable. »

La foudre

Les changements climatiques devraient aussi causer une augmentation de la fréquence de la foudre dans les latitudes nordiques, donc aux États-Unis et au Canada. Or, la foudre est une cause importante d’incendies de forêt au Canada, à cause de la faible densité de population, selon M. Flannigan. « Ailleurs dans le monde, la foudre est une cause beaucoup plus rare. Mais au Canada, c’est moitié-moitié avec les causes humaines. Donc, ça va encore amplifier le problème. »

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L'UNIVERSITÉ THOMPSON RIVER

Mike Flannigan, professeur à l’Université Thompson Rivers, spécialisé en modélisation des incendies

L’Est protégé ?

Pour le moment, l’ouest du Canada a été plus touché par l’augmentation des incendies de forêt. « L’Ouest et le Grand Nord ont eu une plus grande augmentation de température, dit M. Flannigan. Plus la latitude est élevée, plus les changements climatiques sont intenses. La baie d’Hudson crée une barrière protégeant un peu l’est du Canada de l’augmentation des températures. »

Les incendies de forêt au Canada en chiffres

270 000 hectares : surface touchée chaque année par les incendies de forêt au Québec entre 1970 et 2013

220 000 hectares : surface touchée chaque année par les incendies de forêt en Ontario entre 1970 et 2013

310 000 hectares : surface touchée chaque année par les incendies de forêt en Alberta entre 1970 et 2013

50 000 hectares : surface touchée chaque année par les incendies de forêt en Colombie-Britannique entre 1970 et 2013

Source : The Forestry Chronicle

Tour du monde des incendies

Ouest des États-Unis

PHOTO NOAH BERGER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

L'incendie Dixie, qui s'est déclaré à la mi-juillet, brûle toujours en Californie.

Aux prises avec une sécheresse sans précédent depuis un demi-siècle qui a forcé pour la première fois la limitation des droits historiques de retraits d’eau du fleuve Colorado, l’Ouest américain voit rouge. En Californie, l’incendie Dixie approche maintenant les 300 000 hectares. Les trois années record en termes de superficie affectée ont eu lieu depuis 2015, avec plus de 4 millions d’hectares incendiés par année, pour l’ensemble des États-Unis.

Méditerranée

PHOTO TOUFIK DOUDOU, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Scène de dévastation en Kabylie, dans le nord de l'Algérie

Plus de 62 000 hectares et 90 morts en Algérie, 100 000 hectares en Grèce, 160 000 hectares en Turquie, 20 000 hectares en Italie, 7000 hectares en France, 30 000 hectares en Espagne. L’été torride que traverse le bassin méditerranéen donne du fil à retordre aux pompiers, avec des conflagrations qui font les manchettes depuis le début de l’année.

Afrique

PHOTO MIKE HUTCHINGS, ARCHIVES REUTERS

Des gens observent un incendie au Cap, en Afrique du Sud, en avril dernier.

Plus de 70 % des incendies de forêt surviennent dans la savane, selon un rapport de 2016 de la Société royale britannique. Les feux de brousse en Afrique sont en diminution, à cause notamment de l’augmentation de la superficie des terres agricoles et des villes.

Sibérie

PHOTO FOURNIE PAR LA NASA

Ces dernières années, comme sur cette photo satellite de 2020, la fumée des incendies de forêt sibériens a atteint l'Alaska.

À la mi-août, les incendies de forêt en Russie étaient à eux seuls plus étendus que tous les incendies de forêt du monde entier. Le principal brasier s’étendait sur 1,5 million d’hectares. Le panache d’incendies a atteint l’Alaska au début de l’été, montrent des images satellites.

Australie

PHOTO RICK RYCROFT, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Feu de brousse près de Canberra, en Australie, en février 2020

Juste avant la pandémie, l’Australie a connu ses pires feux de brousse depuis 2002, avec 18 millions d’hectares affectés et 34 morts. Il faut dire que le pays est régulièrement frappé par les conflagrations : en 1974-1975, plus de 117 000 millions d’hectares étaient partis en fumée. Le bilan a dépassé le 10 millions d’hectares à une dizaine de reprises depuis 200 ans.