Depuis un an, les différentes mesures de confinement un peu partout sur la planète intéressent les scientifiques, qui y voient une occasion en or d’étudier l’impact des activités humaines sur la nature. Autrement dit, le ralentissement économique et social a-t-il des conséquences sur la vie sauvage ? La réponse simple est oui, mais il n’y a pas que des bonnes nouvelles pour Dame Nature.

Un phénomène qui a un nom

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La vie sauvage avait nettement repris ses droits à Tchernobyl, 30 ans après la catastrophe nucléaire.

Victime d’un terrible accident nucléaire en 1986, Tchernobyl est devenu ce que plusieurs considèrent maintenant comme le premier cas d’étude d’anthropause. Qu’est-ce que c’est ? C’est un néologisme pour illustrer des situations où la vie sauvage se trouve modifiée par un ralentissement soudain des activités humaines. Avec l’apparition au printemps 2020 de mesures strictes de confinement partout sur la planète, des chercheurs ont rapidement commencé à documenter le phénomène. Dès juin 2020, une étude a été publiée dans la revue Nature Ecology and Evolution, dans laquelle les auteurs soulignaient l’importance de tirer profit de cette anthropause mondiale pour mieux étudier l’impact des activités humaines sur la nature.

Qu’est-ce qui s’est passé à Tchernobyl ?

Une étude réalisée en 2015 par une équipe de chercheurs internationaux a permis de constater que la vie sauvage avait nettement repris ses droits à Tchernobyl, 30 ans après la catastrophe nucléaire. L’étude publiée dans la revue Current Biology avait permis d’établir qu’on retrouvait sept fois plus de loups dans le secteur de Tchernobyl que dans les zones avoisinantes. On avait aussi relevé une augmentation de la population de cervidés. L’une des conclusions de l’étude, c’est qu’à long terme, les conséquences des autres activités humaines étaient plus néfastes pour ces mammifères que les radiations elles-mêmes.

> Regardez une vidéo du National Geographic sur la question (en anglais)

Une occasion unique

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En Thaïlande, les milliers de macaques qui vivent en liberté et ont pris l’habitude d’être nourris par les touristes peinent à s’alimenter depuis que la pandémie a chassé les visiteurs.

« Ce qui est clair, c’est que les humains et la faune sont plus interdépendants que jamais, et nous avons maintenant l’occasion de mieux comprendre cette relation complexe. » C’est l’invitation lancée par le biologiste anglais Christian Rutz et son équipe à l’origine de l’étude intitulée COVID-19 lockdown allows researchers to quantify the effects of human activity on wildlife. Leur souhait ? Récolter le maximum de données pour documenter différents phénomènes qu’on peut observer partout dans le monde. L’une des initiatives les plus prometteuses a d’ailleurs été lancée récemment, fruit d’une collaboration entre l’Institut Max-Planck et l’Université Yale pour un projet de collecte et d’analyse de données obtenues grâce à des balises GPS accrochées à des animaux partout sur la planète. « Je pense vraiment qu’on obtiendra beaucoup de données dans les prochaines années », affirme la biologiste Nicola Koper en entrevue avec La Presse. Spécialisée dans l’étude des oiseaux, et professeure à l’Université du Manitoba, Mme Kopera a réuni de son côté 85 experts pour étudier les effets de la pandémie sur les oiseaux en Amérique du Nord. « Mon souhait, c’est qu’on puisse utiliser toutes ces nouvelles informations pour mieux comprendre l’impact des activités humaines et qu’on puisse prendre de meilleures décisions dans l’avenir », ajoute-t-elle.

Les oiseaux chantent différemment

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Le bruant à couronne blanche

Dans plusieurs grandes villes du monde, les amateurs d’ornithologie ont observé un changement notable : le chant des oiseaux. Chantent-ils plus fort ou les entendons-nous plus facilement en raison du nouveau silence qui règne dans les villes ? Des chercheurs se sont intéressés au chant du bruant à couronne blanche dans la région de San Francisco pour tenter de faire la lumière. Ils ont comparé des enregistrements réalisés au printemps, en 2016 et en 2020. On a évidemment constaté une diminution significative des sons ambiants d’origine humaine. Le même phénomène s’est produit pour les oiseaux, qui avaient réduit la fréquence de leur chant. Ce qui leur a permis de se faire entendre sur de plus longues distances. Ça tombe bien, la séduction entre mâles et femelles se fait aussi plus facilement avec des chants à plus basse fréquence.

Des relations complexes

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Le guillemot de Troïl

On aurait tendance à croire que les activités humaines ont toujours un impact négatif sur la faune sauvage. Or, le portrait est parfois plus nuancé. « Des impacts positifs pour certaines espèces peuvent entraîner des conséquences négatives pour d’autres », rappelle la biologiste Nicola Koper. C’est le cas notamment en bordure de la mer Baltique, où des chercheurs suédois ont pu observer en 2020 que l’absence de touristes entraînait de fâcheuses conséquences pour le guillemot de Troïl, un oiseau marin qui ressemble à un pingouin et qu’on retrouve entre autres sur les côtes de la Norvège. En gros, moins de touristes signifiait une présence accrue du pygargue à queue blanche, ce qui permettait du même coup à d’autres espèces comme le goéland argenté ou la corneille mantelée de s’attaquer aux œufs des guillemots.

Faire face à la crise de la biodiversité

Mieux documenter l’impact des activités humaines sur la nature sera d’autant plus important puisque la prochaine décennie sera cruciale pour la biodiversité, estime l’Organisation des Nations unies (ONU). « Si vous comparez l’histoire de notre planète à un calendrier annuel, c’est comme si nous avions brûlé le tiers de ses ressources en seulement 0,2 seconde », a récemment déclaré le secrétaire général de l’ONU, António Guterres. La prochaine décennie sera donc celle de la restauration des écosystèmes à l’échelle de la planète, une annonce qui sera faite le 5 juin prochain, Journée mondiale de l’environnement, par l’ONU. L’organisation estime en effet que la conservation des milieux naturels toujours existants n’est plus suffisante, il faut massivement investir dans la restauration pour faire face à une crise qu’on juge aussi importante que celle des changements climatiques.

Donner l’exemple au Québec

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Le public s’émeut plus facilement pour des cerfs en surpopulation en milieu urbain que pour une espèce en voie de disparition.

Marco Festa-Bianchet, biologiste et directeur du département de biologie à l’Université de Sherbrooke, veut demeurer optimiste, mais reconnaît que les signes ne sont pas encourageants en matière de protection de la biodiversité, même au Québec. « Nous ne nous occupons pas très bien de nos propres espèces en péril, comme le caribou, le chevalier cuivré ou la rainette faux-grillon », dit-il, soulignant au passage que les gouvernements ne respectent pas leurs propres lois dans l’indifférence presque générale. Il constate que le public s’émeut plus facilement pour des cerfs en surpopulation en milieu urbain que pour une espèce en voie de disparition. Selon lui, si on veut améliorer le bilan en matière de conservation, il faudra aussi travailler avec des sociologues et des économistes pour mieux rejoindre la population. « Nos élus savent très bien que si des caribous sont menacés dans le Nord, ça ne dérangera pas autant les gens que des chevreuils dans le parc Michel-Chartrand. »

Des pumas et des chacals en ville

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Des chacals ont pris d’assaut le parc Hayarkon, situé en plein cœur de Tel-Aviv.

La pandémie modifiera-t-elle les comportements de certaines espèces sauvages habituées de se tenir à proximité des villes ? Ça reste à voir, mais la dernière année a permis d’observer des comportements inédits. Dès le mois de mars 2020, on a vu régulièrement des pumas dans les rues de Santiago, au Chili, ville de 7 millions d’habitants. Durant la même période, des chacals ont pris d’assaut le parc Hayarkon, situé en plein cœur de Tel-Aviv. Dans les deux cas, ces animaux étaient à la recherche de nourriture et ne craignaient pas de s’avancer plus profondément en milieu urbain, déserté momentanément en raison des mesures de confinement.