Un médicament utilisé pour traiter le sida et le lupus pourrait être efficace contre la COVID-19, selon des chercheurs montréalais. Ils lancent à la fin de septembre le premier essai clinique COVID-19 sur la dapsone, médicament générique, donc très peu coûteux. Il sera administré à des personnes ayant un diagnostic avec peu de symptômes, pour éviter l’hospitalisation.

« Il est utilisé depuis des décennies, alors on connaît très bien les dosages et les effets secondaires », explique Jean Bourbeau, pneumologue du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) qui supervisera l’essai clinique avec la société néo-brunswickoise Pulmonem. « Et un traitement de 21 jours coûterait seulement 60 $, contre 2000 $ à 3000 $ pour les antiviraux qui sont en développement pour la COVID-19. Les molécules génériques déjà existantes sont moins intéressantes pour les compagnies parce que moins rentables. Il faudrait que les gouvernements financent davantage ce type de recherche. »

PHOTO FOURNIE PAR LE CUSM

Le Dr Jean Bourbeau, pneumologue du Centre universitaire de santé McGill

Un autre médicament générique, la colchicine, fait aussi l’objet d’un essai clinique montréalais, à l’Institut de cardiologie. Comme pour la colchicine, c’est l’action anti-inflammatoire de la dapsone qui intéresse les chercheurs. « C’est un antibactérien à la base, mais il régule l’inflammation, explique le DBourbeau. Une réaction inflammatoire démesurée, la “tempête de cytokines”, est justement l’un des principaux problèmes dans les cas graves de COVID-19. Il y a eu depuis quelques mois plusieurs publications scientifiques qui soulignaient que la dapsone pourrait être utile contre la COVID-19, mais à ma connaissance, nous lancerons la première étude clinique. »

Risques hématologiques

L’étude clinique de phase III vise à recruter 2000 patients de 70 ans et plus, ou de 40 ans et plus ayant des facteurs de risque comme l’asthme, l’obésité et certaines cardiopathies. « On veut les recruter dès qu’ils ont des symptômes, à la maison, pour voir si la dapsone peut diminuer le taux d’hospitalisation », dit le DBourbeau.

Le suivi et les tests seront entièrement à la maison, y compris le test de COVID-19. Il y aura des tests de susceptibilité à des effets secondaires hématologiques, semblables à l’anémie, et les patients ayant des problèmes de foie et de rein seront écartés. Les patients de certaines communautés, notamment les Noirs, sont plus à risque d’avoir une particularité génétique augmentant les effets secondaires hématologiques. Pour éviter ces effets secondaires dans la population générale, la dose a été réduite de 200 mg à 170 mg par jour.

Pulmonem, qui a été fondée par un ophtalmologiste qui utilise la dapsone pour des maladies auto-immunes, a pris contact avec le DBourbeau en avril dernier par l’entremise d’une connaissance professionnelle commune.

« J’ai demandé à ce que l’étude soit dirigée depuis le CUSM, et on a discuté du protocole jusqu’en août, dit le DBourbeau. Ensuite, on a demandé l’autorisation de Santé Canada, qui nous l’a donnée en 10 jours. On vient de demander celle de la FDA [l’agence du médicament américaine] et on a des collaborateurs en Ontario et dans plusieurs villes américaines. On s’attend à ce que lorsque la FDA approuvera notre protocole et le rendra public, il y aura des études similaires en Chine et en Russie. »

Le DBourbeau craint-il que le président Donald Trump recommande la prise de dapsone dès maintenant, comme il l’a fait avec l’hydroxychloroquine et le plasma sanguin ? Cette prise de position a forcé la FDA à autoriser leur utilisation et a compliqué les études scientifiques.

« C’est sûr que dès que notre projet devient public, il y a un risque d’ingérence politique, dit le DBourbeau. Ça nuit à la qualité de la recherche, ça retarde le recrutement et les résultats. »

La tempête de cytokines en chiffres

De 40 % à 50 % : taux de mortalité chez les patients COVID-19 qui ont une réaction inflammatoire incontrôlée appelée « tempête de cytokines »

Source : Journal of the American Medical Association