Diagnostiquer la schizophrénie en observant… la rétine d’un patient ? C’est l’objectif d'une entreprise de Québec, qui vient d’obtenir que sa technologie soit évaluée en accéléré par les autorités américaines. L’analyse de la rétine pourrait ainsi faire partie du dépistage de certaines maladies mentales d’ici cinq ans.

La maladie dans la rétine

« On sait depuis une trentaine d’années que les signaux rétiniens contiennent des biomarqueurs pour certaines maladies », explique Claude Hariton, vice-président et chef de la direction scientifique de diaMentis, entreprise de Québec qui a mis au point cette technologie. « Dans le développement du cerveau, la rétine est un élément du cerveau, les tissus cérébraux constituent la rétine, alors il y a une homologie, une similarité. Ce qui est nouveau, c’est la capacité d’analyser ces informations. » L’électrorétinogramme, l’enregistrement de la réponse de la rétine à la stimulation lumineuse sous forme de flashes, pourrait être pour la psychiatrie ce que l’électrocardiogramme est à la cardiologie ou l’électroencéphalogramme à la neurologie, selon le DHariton.

Évaluation accélérée

La Food and Drug Administration (FDA), responsable de la réglementation des médicaments et des technologies médicales aux États-Unis, annoncera ce jeudi qu’elle évaluera en accéléré cette technologie dans le cadre du « Breakthrough Devices Program », qui a accueilli 300 demandes depuis sa création il y a trois ans, pour des technologies permettant de préserver le ménisque et d’encourager la croissance de ses tissus, ou encore l’ablation de minuscules portions du cœur par radiofréquence thermique par cathéter afin de traiter la tachycardie.

Le psychiatre de l’Université Laval

La firme diaMentis a analysé et modélisé une immense banque de données d’images de rétine de patients psychiatriques amassée par le groupe du pédopsychiatre Michel Maziade, de l’Université Laval, qui publie depuis une dizaine d’années des études sur les biomarqueurs rétiniens des maladies comme la schizophrénie, la maniaco-dépression et la dépression majeure. « Nous y travaillons depuis 2015 et dans les deux dernières années, nous avons fait de grandes avancées pour concevoir des approches mathématiques et statistiques, dit le neurologue Hariton. Comme en cardiologie, on modélise les signaux cardiaques pour comprendre les signes des cardiopathies, nous modélisons les signaux de la rétine pour identifier des biomarqueurs de certaines maladies. » Le DMaziade fait partie des fondateurs de diaMentis, mais il s’est retiré depuis de ses activités et n’est maintenant qu’actionnaire.

Dépistage

L’inclusion dans le programme accéléré de la FDA ne concerne qu’un outil d’aide au diagnostic permettant de différencier la schizophrénie d’un type de maladie bipolaire – elles ont toutes deux des symptômes similaires. Mais le DHariton espère que l’électrorétinogramme puisse être utilisé pour le dépistage chez des groupes à risque, par exemple les enfants de patients ayant ces maladies, un peu comme on fait des analyses génétiques chez les filles de certaines patientes ayant des cancers du sein particulièrement graves. Quand pense-t-il arriver à une utilisation clinique de ces approches ? Cinq, dix, vingt ans ? « Plutôt cinq ans », répond le DHariton. Le DMaziade explique qu’un dépistage précoce pourrait permettre d’intervenir en thérapie de « 10 à 15 ans » plus tôt qu’actuellement. « On pourrait aussi savoir lequel des trois enfants d’un patient schizophrène a beaucoup plus de risques » de développer la maladie, dit le DMaziade. Certains enfants pourraient ainsi avoir deux fois plus de risques que la normale, alors que d’autres pourraient avoir 20 fois plus de risques que la normale.

Les risques éthiques

N’y a-t-il pas un problème à dire à un enfant qu’il a un risque très élevé de souffrir de schizophrénie ou de maniaco-dépression ? Ne risque-t-on pas de le pousser vers ces maladies ou vers l’anxiété ? « Je vois plutôt que c’est une occasion pour bien encadrer ces patients et leurs familles, dit le DHariton. Souvent, en psychiatrie, on a besoin de temps pour établir un diagnostic. Or, plus le temps passe sans traitement, plus les dommages sont grands pour le patient et ses proches. Si on peut agir plus rapidement, dès les premiers symptômes, et même surveiller leur apparition, tout le monde en bénéficie. » Pourrait-on avoir une détection prénatale du risque de ces maladies par électrorétinogramme, un peu comme on fait la détection du risque de trisomie 21 ? « Pour le moment, je ne vois pas trop comment », dit le DHariton.

La schizophrénie en chiffres

1 % de la population est atteinte de schizophrénie

10 fois : augmentation du risque de schizophrénie chez les enfants d’un patient atteint de schizophrénie

Source : Michel Maziade