Il n’y a jamais eu aussi peu de glace dans le détroit de Béring depuis 5500 ans, selon une nouvelle étude américaine. Les chercheurs veulent maintenant utiliser leur technique pour le reste de l’Arctique. Ils croient que le climat du Japon risque de se réchauffer.

« Les données satellites ne remontent que jusqu’à 1979 », explique Miriam Jones, de l’Institut d’études géologiques des États-Unis (USGS), qui est l’auteure principale de l’étude publiée mercredi dans la revue Science Advances. « Il y a eu d’autres études sur d’autres parties de l’Arctique qui ont tenté de remonter plus loin, mais souvent, il y a des incertitudes. Nous pensons que notre méthode est solide à cause d’une particularité de la mer de Béring. »

Cette caractéristique est un lien très fort entre la couverture de glace et les vents dominants. « Quand il y a de la glace, le vent vient directement du nord et transporte des éléments chimiques très distinctifs, dit Mme Jones. Ces éléments se déposent sur les sols et sont enregistrés dans la végétation en décomposition. »

L’air arctique se caractérise par une proportion plus grande d’un isotope d’oxygène, 16O, par rapport au 18O, isotope qui contient deux neutrons de plus. Le 16O est lié à des précipitations plus faibles, comme cela se produit en Arctique. La proportion moindre de 16O dans la tourbe n’est présente que depuis quelques décennies, selon l’étude de Science Advances. Les calculs de Mme Jones montrent que la glace ne se formera l’hiver dans la mer de Béring que dans deux des quatre scénarios d’évolution du climat du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de l’ONU. Il faudrait que les émissions humaines de gaz à effet de serre décroissent avant 2050 pour que la banquise subsiste dans cette région du Pacifique.

L’étude de la biochimiste de la Virginie portait sur la tourbe d’une île au milieu de la mer de Béring, qui sépare l’Asie de l’Amérique et se termine au nord par le détroit séparant l’Alaska de la Sibérie.

PHOTO INSTITUT D’ÉTUDES GÉOLOGIQUES DES ÉTATS-UNIS

Miriam Jones dans les marais de la Virginie

Il nous est apparu rapidement que nous pouvions étudier la couverture de glace en plus de notre objectif initial, l’évolution de la quantité de tourbe dans l’île. Ce n’est qu’un seul point, mais comme la glace dans la mer de Béring n’existe qu’en hiver et fond l’été, c’est un signal très fort.

Miriam Jones, de l’Institut d’études géologiques des États-Unis

S’il y a moins de glace, cela signifie qu’il y aura moins de vents du nord durant l’hiver. Cela affectera-t-il le climat du Pacifique Nord ? « Le climat du Japon devrait se réchauffer encore plus vite que la moyenne de la planète, dit Mme Jones. Il y a aussi un lien avec El Niño, mais il est moins bien compris. »

Rennes et glaciation

L’étude a été faite dans l’île Saint-Matthieu, au large de l’Alaska. L’île est inhabitée, n’ayant abrité que brièvement, durant la Seconde Guerre mondiale, une station radar. C’est à ce moment que s’est produit l’évènement le plus marquant de l’histoire de Saint-Matthieu : l’introduction de rennes. La population de rennes a prospéré et a atteint un pic de 6000 au début des années 1960, selon une étude de l’Université de l’Alaska. Mais les rennes ont mangé tout le lichen de l’île et sont tous morts.

PHOTO NATIONAL OCEANIC AND ATMOSPHERIC ADMINISTRATION

L’île Saint-Matthieu

Mme Jones veut maintenant utiliser cette technique botanico-climatologique pour évaluer l’évolution historique de la couverture de glace dans d’autres régions de l’Arctique. « Les études actuelles doivent être confirmées. L’une des techniques, par exemple, mesure la quantité d’un élément chimique associé au rebord de la banquise. Mais s’il devient moins présent, on ne sait pas si c’est parce que la superficie de la banquise diminue ou augmente. »

Pourquoi avoir arrêté l’étude à 5500 ans ? « C’est à ce moment qu’il y a commencé à y avoir de la tourbe dans notre île, dit Mme Jones. Nous pensons que c’est à ce moment que le niveau de la mer s’est stabilisé après avoir augmenté après la fin de la dernière glaciation. La tourbe dépend d’un certain niveau d’humidité, dans ce cas de la proximité avec la mer. » Le pic de la dernière glaciation remonte à 20 000 ans.

L’avenir de la banquise en chiffres

2 °C : augmentation de la température moyenne de la planète, par rapport à maintenant, dans le scénario RCP 6 du GIEC, où la banquise de la mer de Béring disparaît complètement

1,4 °C : augmentation de la température moyenne de la planète, par rapport à maintenant, dans le scénario RCP 4,5 du GIEC, où la banquise de la mer de Béring subsiste en hiver

1 °C : augmentation actuelle de la température moyenne de la planète, par rapport à 1750, avant la révolution industrielle

Sources : Science Advances, GIEC