Elles sont brèves et hyper localisées, mais destructrices et spectaculaires. Dans un pays vaste comme le Canada, la majorité des tornades passent inaperçues. Une équipe de scientifiques s’est donné comme objectif de toutes les repérer cet été.

Des tornades manquantes

Incendies de forêt obligent, les feux d’artifice ont été interdits pour la Saint-Jean-Baptiste cette année. Mais au lac Brochet, dans la région du Lac-Saint-Jean, Chantale Simard a quand même eu droit à un spectacle haut en couleur. Le 24 juin dernier, une tornade est passée à quelques dizaines de mètres de son chalet, faisant valser son ponton dans les airs.

La scène, immortalisée sur vidéo, marque la toute première tornade de la saison au Québec. Pour les chercheurs du Northern Tornadoes Project (projet des tornades nordiques), en voilà une qui est facile à documenter. Mais ce n’est pas le cas de toutes les tornades.

Trois autres tornades ont également été répertoriées tout récemment, les 27 et 28 juillet, deux causant peu de dégâts en Mauricie et dans Bellechasse, mais une autre endommageant quelques résidences dans la paroisse de Saint-Mathias-de-Bonneterre, en Estrie.

« Quand vous placez les tornades répertoriées sur une carte du Canada, elles correspondent assez bien aux zones les plus peuplées. Cela nous amène à penser qu’il y a des tornades manquantes – des événements qui se produisent dans les forêts et les zones faiblement peuplées et qui nous échappent », dit Gregory Kopp, chercheur principal du projet et professeur de génie civil et environnemental à l’Université Western, en Ontario.

En moyenne, environ 60 tornades sont enregistrées au pays chaque année. Le professeur Kopp estime que le vrai nombre tourne plutôt autour de 200. Et il veut repérer et documenter chacune d’entre elles.

Panel d’outils

L’équipe compte sept chercheurs à temps plein, en plus d’une demi-douzaine d’étudiants aux études supérieures. Elle a aussi tissé des collaborations avec Environnement Canada et l’Université du Manitoba. Les chercheurs utilisent un large éventail de moyens pour essayer de repérer les tornades. Comme ces événements se produisent par temps orageux, les scientifiques utilisent les données satellitaires et celles fournies par les radars pour repérer les orages, puis suivent leur évolution pour voir s’ils génèrent des tornades. Ils peuvent aussi envoyer des drones pour évaluer les dommages sur le terrain ou comparer des images satellites prises à différents moments pour cartographier le sillage d’une éventuelle tornade.

L’équipe suit aussi les réseaux sociaux et fait appel aux citoyens pour envoyer des photos ou vidéos. Cette année, par exemple, la première tornade de la saison au Canada a été captée par une caméra de surveillance à Saanich, en Colombie-Britannique.

Les obstacles de la pandémie

Gregory Kopp admet que la COVID-19 a chamboulé les plans. En temps normal, les équipes iraient sur le terrain le plus souvent possible pour documenter les dommages.

« Nous essayons généralement d’arriver aussitôt que possible après la tornade parce que les gens commencent à nettoyer rapidement. Nous comprenons évidemment que les gens veulent retirer les arbres des routes ou de leurs maisons. Mais pour nous, ces dommages sont des données », dit-il.

Cette année, les voyages en avion sont compliqués, et les règles de l’université imposent une limite d’un seul chercheur par véhicule. Les drones et relevés aériens seront donc davantage utilisés, et l’équipe se fiera davantage aux citoyens pour évaluer les tornades et en catégoriser la force.

C’est la deuxième année que les chercheurs du Northern Tornadoes Project tentent le coup de répertorier toutes les tornades au pays. L’an dernier, le groupe en a relevé 66. « Ça peut sembler peu, mais si on avait procédé avec les anciennes méthodes, on pense qu’on n’en aurait identifié qu’une trentaine. C’était une année calme pour les tornades », dit Greg Kopp.

Les Prairies particulièrement touchées

Si les tornades peuvent se former un peu n’importe où, le sud des Prairies est particulièrement touché par ces phénomènes extrêmes. « Les régions où les chiffres sont les plus élevés sont le sud de la Saskatchewan et le sud-ouest de l’Ontario, mais il y a des tornades dans toutes les provinces. L’an dernier, il y a eu une tornade dans les Territoires-du-Nord-Ouest », dit Gregory Kopp. Il faut un sol chaud pour générer une tornade, ce qui fait que les régions qui bordent les Grands Lacs sont moins propices à leur formation. Les régions montagneuses sont aussi épargnées.

Bien évaluer le risque

Pourquoi se mettre à la chasse aux tornades manquantes qui, par définition, ne dérangent personne ? « Je suis un ingénieur et je m’intéresse au risque, répond Gregory Kopp. À la façon, par exemple, d’évaluer les risques sur les bâtiments causés par les tornades. Or, si vous manquez la majorité des tornades au pays, votre calcul de risque est faussé. » Les chercheurs veulent aussi mieux comprendre les conditions qui font qu’un orage générera une tornade. « Les météorologistes aimeraient pouvoir émettre des avertissements avant le passage des tornades. Avec les données que nous recueillons, ils peuvent valider leurs prévisions et les améliorer », poursuit le chercheur. Il explique aussi être motivé par « un pur intérêt scientifique ». « Les gens sont fascinés par les tornades, constate-t-il. Elles sont dangereuses, mais aussi très belles. »