La population de loutres de mer a explosé en Colombie-Britannique. L’impact économique de la protection dont bénéficient ces mignons mammifères est positif, sauf pour les autochtones, qui voient leurs récoltes d’oursins, de crabes et de palourdes péricliter. La réouverture de la chasse à la loutre est envisagée, mais la proposition suscite la controverse.

Loutres, poissons, algues et oursins

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ DE COLOMBIE-BRITANNIQUE

Forêt d’algues en Colombie-Britannique

L’écosystème des loutres de mer, des algues, des oursins et des poissons est l’un des mieux étudiés. « Les loutres mangent les oursins, les crabes et les palourdes », explique Edward Gregr, de l’Université de Colombie-Britannique, qui est l’auteur principal d’une étude publiée dans la revue Science en juin. « Les oursins normalement mangent les algues, qui abritent les petits poissons. S’il y a moins d’oursins, il y a plus d’algues, donc plus de poissons. Nous avons décidé d’aller plus loin et de comparer deux zones au nord et au sud de l’île de Vancouver, là où il y a beaucoup de loutres et là où il y en a très peu. »

Tourisme

PHOTO FOURNIE PAR JAMES THOMPSON

Loutres de mer de l’île de Vancouver

L’écotourisme est le secteur qui profite le plus de la présence des loutres de mer, totalisant 42 millions par année, selon l’analyse de M. Gregr. « Ce sont des animaux peu farouches et très mignons, qui lissent sans cesse leur fourrure épaisse. Les loutres sont très populaires auprès des touristes, qui prennent le bateau pour les observer. » En deuxième lieu, vient l’augmentation des prises de poissons, 9,4 millions, suivie de la séquestration de carbone par les algues qui font de la photosynthèse avec du CO2 dissous dans l’eau, augmentant le taux de dissolution du CO2 atmosphérique dans l’eau (2,2 millions). Du côté négatif, les prises de fruits de mer diminuent, à hauteur de 7,3 millions.

La traite des fourrures

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Chasse à la loutre au XIXe siècle

Les loutres de mer vivaient jusqu’au XVIIIe siècle sur tout l’arc du nord du Pacifique, jusqu’au Japon. « Elles ont été chassées sans relâche pour leur fourrure, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’une centaine dans certaines îles de l’archipel aléoutien en Alaska, dit M. Gregr. Elles ont une fourrure très dense parce qu’elles n’ont pas de graisse comme la plupart des mammifères marins. Leur fourrure est leur seule manière de se tenir au chaud dans l’eau. »

Tests nucléaires

PHOTO FOURNIE PAR LA COMMISSION NUCLÉAIRE AMÉRICAINE

Test nucléaire à Amchitka

La loutre de mer doit sa réintroduction en Colombie-Britannique au programme nucléaire américain. « Au début des années 1970, des tests souterrains étaient prévus dans l’île d’Amchitka, dit M. Gregr. On aurait éliminé les dernières loutres de mer de la planète. Alors on les a réintroduites dans le sud de l’Alaska, dans l’île de Vancouver et en Oregon. Elles ont proliféré partout, sauf en Oregon. Le taux de croissance des populations a été de 16 % pendant plusieurs années. »

Économie et culture

PHOTO FOURNIE PAR EDWARD GREGR

Edward Gregr

La baisse des prises d’oursins, de crabes et de palourdes touche de façon disproportionnée les autochtones. « Leur diète traditionnelle est composée de ces fruits de mer, dit M. Gregr. On a observé une augmentation des achats dans les épiceries et les restaurants de malbouffe, avec la baisse de cette pêche de subsistance. » Cela dit, le retour en force des loutres peut avoir des côtés positifs difficiles à mesurer pour les autochtones, selon M. Gregr. « Nous faisons une analyse économique, alors nous ne capturons pas la valeur symbolique de la loutre pour les autochtones. Cela dit, la pêche aux oursins a aussi une valeur culturelle qui n’est pas mesurée par notre analyse économique. »

La chasse

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE ROBERT MILLER

En 2019, Facebook a fait les manchettes en retirant des publicités pour des produits de l’artisanat autochtone de l’Alaska en fourrure de loutre.

L’une des solutions proposées est la chasse traditionnelle à la loutre, qui serait réservée aux autochtones. Cette année, un quota de 20 loutres a été établi. « Il y a de la chasse à la loutre en Alaska, dit M. Gregr. Sa fourrure est importante pour les vêtements d’apparat, et elle peut être utilisée pour de l’artisanat qui est vendu. Avec ces revenus, les autochtones pourront augmenter la qualité de leurs achats de nourriture. » Cette proposition est toutefois controversée, parce que les loutres sont très mignonnes. « Beaucoup de gens n’aiment pas l’idée de chasser la loutre. » M. Gregr n’a toutefois pas pu trouver un groupe s’étant déclaré contre la chasse à la loutre, que La Presse aurait pu interviewer. « On voit l’opposition dans les sondages, mais étant donné que la question autochtone est délicate, je crois que personne ne veut prendre publiquement position. »

La mariculture précolombienne

PHOTO FOURNIE PAR L’INSTITUT D’ÉTUDES GÉOLOGIQUES DES ÉTATS-UNIS

La marée noire de l’Exxon Valdez en 1989 a tué un millier de loutres en Alaska.

Comment les autochtones s’y prenaient-ils avant l’arrivée des Européens, quand il y avait beaucoup de loutres ? « On a des preuves archéologiques qu’ils protégeaient les zones où ils récoltaient des oursins, des crabes et des palourdes en faisant peur aux loutres, en les chassant de manière préventive, un peu comme on met un épouvantail dans un champ. »

Justice environnementale

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ DE COLOMBIE-BRITANNIQUE

Oursins dans une forêt d’algues de Colombie-Britannique

La Presse a demandé son avis sur l’étude de M. Gregr à Leah Temper, directrice de l’Atlas de justice environnementale et chercheuse « activiste » à l’Université McGill. « La question de la justice environnementale n’est pas abordée par cette analyse purement économique, dit Mme Temper. On pourrait penser à des programmes pour favoriser la pêche au poisson par les autochtones. Et de manière générale, les autochtones sont favorables à des écosystèmes en santé, avec beaucoup de loutres, parce qu’ils ont une attitude holistique de gestion des ressources depuis des millénaires. »

Loups et éléphants

La protection de l’environnement et des espèces menacées heurte parfois des activités traditionnelles ailleurs sur la planète. « En Europe, la réintroduction des loups ne fait pas l’affaire des agriculteurs et des éleveurs, dit Mme Temper. Et en Afrique, l’interdiction de chasser les grands mammifères comme les éléphants empêche certaines communautés de se livrer à une chasse traditionnelle qui était respectueuse de la capacité des écosystèmes à se régénérer. »

La loutre de mer en chiffres

75 : Nombre de loutres de mer réintroduites près de l’île de Vancouver dans les années 1970

3500 : Nombre de loutres de mer vivant actuellement près de l’île de Vancouver

7 kg : Quantité de mollusques que mange chaque jour une loutre de mer

25 kg : Poids moyen d’une loutre de mer

Sources : CBC, Science