(SEATTLE) Des routes qui se réparent elles-mêmes. Qui sont moins dures pour les piétons et les cyclistes qui font des chutes ou sont impliqués dans un accident routier. Et qui enregistrent une foule de données permettant d’optimiser la circulation. Voici le cahier de charges des ingénieurs civils qui planchent sur l’asphalte intelligent.

Diagnostic et autoréparation

L’objectif premier des sorciers des routes est de faciliter leur entretien. « On est en train de mettre au point des capteurs qui vont analyser la circulation et les stress physiques et thermiques que subissent les routes, pour optimiser le moment de l’entretien », explique Davide Lo Presti, un ingénieur de l’Université de Nottingham, en marge d’un atelier au dernier congrès annuel de l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS), à Seattle. L’homme pilote un projet de l’Union européenne sur l’asphalte intelligent. « La deuxième étape sera une capacité d’analyse en continu des microfissures, pour les réparer avant qu’il y ait des dommages trop importants, plus coûteux ou nécessitant la suspension de la circulation. Enfin, on va avoir des routes autoréparantes. Une possibilité est d’utiliser des copeaux d’asphalte entourés d’une émulsion de dissolvant après différents intervalles, pour avoir une route se régénérant sans cesse. C’est utilisé en cuisine pour la préservation des aliments. On peut aussi avoir des fibres métalliques sous la surface de la route qui peuvent être chauffées et ramollir l’asphalte, pour remplir les microfissures internes. »

Produire de l’électricité

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ DE NOTTINGHAM

Davide Lo Presti a testé des capteurs piézoélectriques enfouis dans une route, qui mesurent le stress et la circulation.

L’autre grande avancée que prévoit M. Lo Presti est la production d’électricité à partir des routes. « Ça pourrait transformer le bilan environnemental des routes. On pourrait générer de l’électricité pour les panneaux routiers et les lampadaires, au début, ensuite ajouter des capteurs intelligents de circulation et de stress physique pour l’entretien et enfin alimenter les voisins des routes. On n’est, par contre, pas encore près du but. Il y a eu une route solaire d’un kilomètre en Normandie, mais après trois ans d’essais en 2019, sa production d’électricité était trop faible et son entretien trop coûteux. Les panneaux solaires étaient recouverts de vitre et de résine. Une autre option est de l’asphalte poreux où circule de l’eau qui se réchauffe avec l’asphalte. Il y a aussi l’avenue piézoélectrique, où les vibrations engendrées par les voitures créent de l’énergie. »

Intelligence et élégance

L’intensification des recherches sur l’asphalte intelligent survient à un moment charnière pour la construction routière. « D’un côté, les routes construites lors du boom économique occidental il y a un demi-siècle doivent être refaites, de l’autre, on a énormément de nouvelles routes dans les pays émergents comme la Chine, dit M. Lo Presti. La circulation routière n’est pas seulement plus importante, elle est aussi différents, avec l’avènement prochain des voitures autonomes, à tout le moins des camions de transport autonomes, et la numérisation de nombreux procédés de génie civil et autoroutier. Comme on n’est pas encore rendus à un asphalte réellement intelligent, on doit à tout le moins tirer profit des premiers résultats pour avoir les solutions les plus élégantes possible, qui pourront être adaptables aux avancées des 30 à 40 prochaines années. »

PHOTO FOURNIE PAR ECM

La société française ECM offre une solution de comptage de véhicules basé sur des capteurs piézoélectriques enfouis dans les routes.

Routes et développement durable

Le projet européen auquel collabore l’ingénieur d’origine italienne se fait en collaboration avec la Conférence européenne des directeurs de routes. « Jusqu’à maintenant, tous les travaux sur l’impact environnemental de la construction routière ont été faits par les universités. Ça ne tenait pas compte des réalités de la construction routière, qui est de plus en plus centrée sur le plus bas coût. Comme les techniques de construction plus écologiques commandent des coûts de 5 à 10 % plus élevés, les entreprises de gestion autoroutière ne les choisissent presque jamais. Et les constructeurs et les fabricants de matériaux n’investissent pas dans les procédés plus écologiques. Notre but est de trouver une manière de financer la transition en adaptant les contrats, sans renoncer à la concurrence en choisissant des technologies précises. »

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ DE NOTTINGHAM

L’Université de Nottingham a testé des granules enfouies dans l’asphalte dont l’enveloppe se dissout au fil des années, permettant de réparer les microfissures.

Recyclage

L’une des pistes envisagées depuis un certain temps, mais qui n’a pas encore porté ses fruits, est l’inclusion de matériaux recyclés dans certaines des couches d’une route. « On travaille actuellement sur l’ajout de papier et de plastique recyclé dans les agrégats sous la couche supérieure de la route, dit M. Lo Presti. Ils formeraient un liant végétal. Ça pourrait aider à régler la crise du recyclage depuis que la Chine n’achète plus le plastique et le papier de seconde main. Des résidus agricoles pourraient aussi servir. Le concept s’appelle “dépotoir linéaire”, on se sert des déchets pour diminuer le coût de construction des routes et, en plus, on a moins besoin de sites d’enfouissement. »

Dépenses en construction et en entretien routiers en 2017

Canada : 0,5 % du PIB France : 0,8 % du PIB
Chine : 5,8 % du PIB
Source : OCDE

En chiffres

20 % : diminution des émissions de GES liées à la réfection d’une route si la route est ouverte durant l’heure de pointe, par rapport à une fermeture complète avec itinéraire alternatif

65,8 kg d’équivalent CO2 : émissions de GES liées au réasphaltage d’un kilomètre d’autoroute

4600 kg d’équivalent CO2 : émissions annuelles de GES d’une voiture aux États-Unis

Sources : Transportation Research, MPDI, EPA

Quand ?

Quand les promesses de l’asphalte intelligent deviendront-elles réalité ? « Pour des routes dotées d’une capacité d’autodiagnostic, on y est presque, je dirais 10 à 15 ans, dit M. Lo Presti. La route génératrice d’électricité prendra un peu plus de temps, on devrait y arriver avant que je prenne ma retraite. Les routes autoréparantes appartiennent vraiment au futur, mais je crois que je vais les voir de mon vivant. »