L’idée voulant que les enfants améliorent leurs capacités intellectuelles en apprenant à jouer d’un instrument de musique « ne tient pas la route », conclut une nouvelle métaétude qui s’est penchée sur un vaste échantillonnage de près de 7000 cas. La Presse s’est entretenue avec le Suisse Fernand Gobet, professeur de psychologie cognitive à l’Université de Liverpool, chercheur à la London School of Economics et coauteur de l’étude, selon qui apprendre à jouer un instrument n’en demeure pas moins désirable.

Avez-vous été surpris de constater qu’une formation musicale n’avait pas d’impact sur les habiletés cognitives et les résultats scolaires des enfants ?

Non. En fait, nous avons effectué des méta-analyses avec plusieurs types d’entraînement cognitif – en plus de la musique, nous avons examiné les échecs, l’entraînement de la mémoire de travail, les jeux vidéo d’action et les exercices d’entraînement du cerveau (brain games), et nous avons toujours obtenu les mêmes résultats. L’entraînement cognitif, que ce soit la pratique de la musique, les échecs ou les jeux vidéo, n’améliore pas les compétences cognitives en général. Il n’y a donc pas de transfert éloigné.

PHOTO FOURNIE PAR FERNAND GOBET

Fernand Gobet, professeur de psychologie cognitive à l’Université de Liverpool et chercheur à la London School of Economics

Il y a deux biais principaux à contrer. D’abord, il y a l’effet placebo (le fait de savoir que l’on participe à une expérience augmente sa performance). Il faut donc comparer le groupe expérimental (par exemple celui qui fait de la musique) à un groupe qui exécute aussi une activité nouvelle (par exemple faire du théâtre). Ensuite, il faut contrer le « biais de publication », c’est-à-dire la tendance des journaux scientifiques à publier les études avec un résultat positif et à ne pas publier les études qui ne trouvent aucun effet. Une fois ces deux biais corrigés, il n’y a aucun soutien empirique à l’idée que l’entraînement cognitif mène à un transfert éloigné.

Donc, si on résume vos conclusions, nous sommes devant un cas typique où la corrélation ne signifie pas la causalité ?

Oui, en effet. Dans plusieurs des domaines employés dans le cadre de l’entraînement cognitif, il y a en fait une corrélation entre le niveau obtenu dans le domaine et l’intelligence. C’est le cas avec la musique. Comme avec plusieurs de ces domaines, les personnes qui s’y adonnent sont plus intelligentes que les personnes qui ne s’y adonnent pas. Par exemple, les joueurs d’échecs sont en moyenne plus intelligents que les non-joueurs, et les musiciens plus intelligents que les non-musiciens. Dans ces deux types d’études, on examine des individus qui s’adonnent de leur propre chef à une activité. Comme les études expérimentales démontrent que les échecs ou la musique ne développent pas les aptitudes cognitives, l’explication la plus probable de ces corrélations est que les personnes plus intelligentes sont plus enclines à jouer aux échecs ou à maîtriser un instrument de musique.

Vous êtes un expert en échecs, et vous êtes arrivé à des conclusions semblables avec l’absence d’impacts sur les habiletés cognitives et les résultats scolaires des joueurs d’échecs. Le même phénomène est-il en cause ici aussi ?

Oui, le même phénomène est en jeu. Lorsque l’on pratique les échecs pour arriver à un niveau international, comme je l’ai fait, on acquiert un grand nombre de modèles perceptifs et on développe toutes sortes de stratégies, dont certaines sont très sophistiquées. Ces modèles et stratégies sont optimisés pour le jeu d’échecs, et c’est là le problème : ils ne peuvent pas être utilisés dans d’autres domaines, même pas dans d’autres jeux comme le go ou les dames. Cette explication est aussi valide pour la musique et les autres domaines d’entraînement cognitif. Certains chercheurs ont avancé que l’intelligence ou la mémoire étaient comme un muscle qui peut être entraîné avec différents types de pratique, mais ce n’est malheureusement pas le cas.

De nombreux parents diront qu’apprendre à jouer un instrument de musique ou à jouer aux échecs est bon pour leurs enfants, car cela fait d’eux des gens plus complets, un peu comme s’ils apprenaient une nouvelle langue. Que leur répondriez-vous ?

Je serais d’accord avec ces parents : la musique et les échecs font partie de notre culture – je suis moins convaincu avec les jeux vidéo d’action… –, et il est évident que ces activités enrichissent le développement des enfants. La musique et les échecs nous offrent tellement de beauté qu’il n’est pas nécessaire de justifier ces activités par l’hypothèse qu’elles développent les compétences intellectuelles en général.

LISEZ l’étude Cognitive and academic benefits of music training with children : a multilevel meta-analysis (em anglais)