La découverte d’un site paléontologique dans le Dakota du Nord bouleverse la paléontologie. Un chercheur affirme y avoir trouvé des traces permettant de comprendre les instants ayant suivi la chute de l’astéroïde qui a fait disparaître les dinosaures. Mais certains commencent à émettre des doutes.

Ondes de choc en paléontologie

Des fossiles découverts sur le site de Tanis, au Dakota du Nord, auraient été déposés par un tsunami provoqué par l’onde de choc de l’astéroïde Chicxulub, tombé près du Yucatán, dans le golfe du Mexique. C’est du moins ce qu’avance une étude publiée en avril dans la revue Proceedings of the National Academy of Science (PNAS).

Un site miraculeux

PHOTO FOURNIE PAR ROBERT DE PALMA

Plusieurs fossiles de poissons mélangés témoins du tsunami de Chixculub à Tanis.

« C’est comme si on trouvait le saint Graal dans les mains du cadavre de Jimmy Hoffa, déposé sur l’Arche d’alliance. » C’est en juxtaposant trois grands mystères que Robert De Palma, étudiant au doctorat en paléontologie de 37 ans, décrit le site de Tanis, au Dakota du Nord. « C’est la première fois qu’on voit directement ce qui s’est passé le jour où la météorite géante de Chicxulub a frappé la Terre il y a 66 millions d’années. » Dans un article scientifique publié en avril dans la revue PNAS, M. De Palma a décrit la diversité de poissons et d’animaux démembrés retrouvés à Tanis, dans de la boue soulevée par un tsunami dans un lac. Il a choisi le nom Tanis parce que c’est un site archéologique égyptien important où Indiana Jones trouve l’Arche d’alliance, dans le film Raiders of the Lost Ark.

Ondes sismiques

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Ces deux bandes montrent deux des trois secousses sismiques qui ont formé le tsunami à Tanis voilà 66 millions d’années.

L’étude des PNAS compte des paléontologues de renom parmi les cosignataires, dont Walter Alvarez, l’un des « pères » de la théorie selon laquelle une météorite a causé la fin des dinosaures. « L’étude confirme pour la première fois une autre théorie d’Alvarez, celle des ondes sismiques », explique Kirk Johnson, directeur du musée d’histoire naturelle Smithsonian à Washington. « L’impact de Chicxulub a propagé des ondes sismiques qui ont causé des tremblements de terre à des centaines de kilomètres de distance, notamment dans le lac à Tanis. C’est assez bien démontré dans les PNAS. » Trois ondes différentes ont atteint Tanis, 6, 10 et 13 minutes après l’impact.

Secret et accrocs au protocole

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Robert De Palma

Les travaux de M. De Palma ont toutefois soulevé la controverse. En plus de souligner le fait que le doctorat de M. De Palma à l’Université du Kansas traîne en longueur, de nombreux paléontologues ont déploré qu’il ait accordé une longue entrevue au New Yorker avant de diffuser ses résultats dans la revue PNAS. « Il fait dans le New Yorker des affirmations qui ne sont même pas dans PNAS, notamment sur des fossiles de plumes, déplore Kirk Johnson. Il parle de Tanis dans les conférences depuis au moins deux ou trois ans. Et il restreint beaucoup l’accès au site. Ce sont des accrocs majeurs au protocole scientifique. Je trouve ça dommage pour lui, honnêtement, les gens commencent à douter de ce qu’il dit parce que ce n’est pas publié. » En entrevue, M. De Palma affirme qu’il n’a pas donné son accord au New Yorker pour une publication avant la publication de son étude dans PNAS ni pour l’inclusion de données ne faisant pas partie de l’étude. De son côté, l’Académie nationale des sciences, qui publie les PNAS, indique qu’aucun embargo n’était lié à l’étude.

Un exemple de restriction

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Robert De Palma inspecte des morceaux de rocs éjectés du cratère de Chixculub.

Robert De Palma affirme accepter toutes les demandes de paléontologues voulant travailler sur le site. Il souligne toutefois que le propriétaire du terrain où est situé Tanis a eu de mauvaises expériences par le passé avec des paléontologues le traitant de haut. Difficile de départager qui dit vrai. Un chercheur de la Commission géologique du Dakota du Nord, Clint Boyd, affirme par exemple avoir tenté sans succès d’organiser une visite de Tanis dans le cadre d’un congrès de paléontologie en septembre dernier. « Si vous trouvez un moyen de joindre De Palma, dites-le-moi », a blagué M. Boyd en entrevue. M. De Palma répond quant à lui ne jamais avoir reçu de demande : « Clint est un gars super, même si je ne l’ai jamais rencontré en chair et en os. Il est marié avec une amie à moi. Je ne me souviens pas d’un message de Clint, ça aurait été super de l’avoir à Tanis. Je vais l’appeler pour voir à quoi ressemble son calendrier l’été prochain. » M. De Palma a aussi mentionné les noms de cinq chercheurs qui ont visité récemment Tanis, dont Neil Landman, du Musée américain d’histoire naturelle à New York. « Robert est très prudent, il a été échaudé dans des collaborations scientifiques par le passé », dit M. Landman, qui a passé deux heures à Tanis. « Durant notre visite, il a été ouvert. J’espère que plus de gens seront invités et éventuellement pourront eux aussi faire des fouilles à Tanis. »

Au Canada aussi

Un site similaire à Tanis pourrait fort bien se trouver au nord de la frontière, selon Emily Bamforth, paléontologue au Musée royal de Saskatchewan. « Tanis fait partie de la formation de Hell Creek, qui au Canada s’appelle Frenchman, dit Mme Bamforth. Elle est aussi riche que Hell Creek, mais il y a beaucoup moins de fouilles parce que les Américains préfèrent travailler aux États-Unis. » M. De Palma mentionne que des coauteurs de l’étude des PNAS étudient des sites potentiels de tsunamis liés aux ondes sismiques de Chicxulub ailleurs aux États-Unis et en Méditerranée.

La vie extraterrestre

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Empreinte de dinosaure théropode à Tanis

L’impact de Chicxulub a été si grand que des débris ont été propulsés dans l’espace, propulsant de la poussière terrestre sur d’autres planètes de notre Système solaire, ainsi que leurs lunes. En 2013, une étude publiée dans la revue Astrobiology calculait que des dizaines de milliers de kilogrammes de poussière terrestre avaient atterri dans les millions d’années ayant suivi Chicxulub sur les lunes Titan (Saturne), Europe et Callisto (Jupiter), trois endroits où pourrait exister la vie extraterrestre.

> Regardez une vidéo sur l’impact de la météorite de Chicxulub (en anglais)

La genèse

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L’étudiant au doctorat en paléontologiee Robert De Palma 
à Tanis

Robert De Palma, qui est le cousin du cinéaste Brian De Palma, travaille à Tanis depuis 2012. « Des chasseurs de fossiles m’avaient appelé parce qu’ils ne trouvaient rien qu’ils puissent vendre facilement à Tanis. Mais quand je me suis rendu compte de ce qu’il y avait là, j’ai été renversé. » La paléontologie est une passion de longue date pour lui. « Tout petit, j’ai commencé à m’intéresser aux ossements. J’ai déterré mon premier crâne d’opossum à l’âge de 5 ans. Quand j’ai vu Jurassic Park en 1993, j’étais déjà un paléontologiste en herbe. » Le New Yorker mentionne que la famille De Palma compte plusieurs médecins spécialistes des os et qu’il a trouvé son premier fossile de dinosaure à l’âge de 9 ans, au Colorado. En 2013, sa première publication de chercheur, aussi dans les PNAS, a permis de confirmer que le tyrannosaure était un chasseur, et non un charognard. Cette étude de 2013 montrait qu’une dent de tyrannosaure était coincée dans une vertèbre d’hadrosaure.

La question des élèves

Une question du groupe de Science Extra de première secondaire du Pensionnat du Saint-Nom-de-Marie à Outremont

Q. Est-ce vraiment l’impact d’un astéroïde (et toute la cascade d’événements qui a suivi) qui a mis fin au règne des dinosaures ? Cette idée semble bien ancrée dans la tête des gens, mais il semble qu’il y a d’autres hypothèses, comme celle de la supernova et du super volcan. Y a-t-il d’autres hypothèses ?

R. Jusqu’en 1980, la disparition des dinosaures était expliquée de diverses façons, à partir de preuves circonstancielles. On soupçonnait la disparition simultanée de la mer intérieure séparant l’Amérique du Nord en deux moitiés est et ouest, ou encore les radiations qui pourraient avoir été envoyées vers la Terre par des explosions d’étoiles, des supernovas.

Mais en 1980, un duo père-fils de géologues américains, Luis et Walter Alvarez, a changé la donne dans une retentissante étude dans la revue Science, « Une cause extraterrestre pour l’extinction crétacé-tertiaire ». Ils avaient constaté que les sédiments datant de la disparition des dinosaures contenaient beaucoup d’iridium, un composé dont les météorites sont très riches. Ils ont ainsi évalué qu’une météorite géante, faisant de 10 à 15 km de large, avait alors frappé la Terre. D’autres recherches ont affiné depuis l’âge de l’extinction des dinosaures et de la bande d’iridium, la repoussant de 65 à 66 millions d’années.

Des ingénieurs pétroliers mexicains ont peu après révélé qu’un cratère sous-marin au nord du Yucatán, nommé Chicxulub, pourrait être la trace de cette météorite géante. Cela a été confirmé en 1991 dans la revue Geology par des chercheurs de l’Université de l’Arizona. Certains des premiers chercheurs à s’être penchés sur la question sont d’ailleurs devenus des partisans convaincus de la nécessité de se préparer à la menace d’un autre astéroïde géant.

Une dizaine d’années plus tard, des géologues français ont proposé une autre explication pour la disparition des dinosaures : un volcanisme hors du commun dans les « trapps du Deccan », une formation géologique en Inde. Depuis, des chercheurs ont fusionné ces deux hypothèses principales, postulant que les ondes sismiques de la météorite de Chicxulub se sont propagées le long de failles dans le Pacifique et ont stimulé le volcanisme du Deccan.

La piste des supernovas n’est pas pour autant complètement oubliée. Les traces laissées par les radiations des supernovas étant difficiles à suivre au-delà de quelques millions d’années, les astrophysiciens qui pensent qu’elles pourraient être responsables des supernovas se basent sur les statistiques. Les supernovas dans notre galaxie apparaissent à la fréquence d’une tous les 10 à 100 ans, selon la mesure de composés qu’elles laissent, notamment l’oxygène. Tout dépend alors du nombre d’étoiles assez proches de la Terre pour que leurs radiations y affectent la vie, notamment en détruisant la couche d’ozone. Il y a des centaines de milliards d’étoiles dans la Voie lactée, notre galaxie.

Finalement, il n’est pas complètement exclu que d’autres cratères soient le témoin de l’astéroïde qui a causé la fin des dinosaures.

Dans le cadre d’un projet spécial, des écoles québécoises ont soumis des questions scientifiques à notre journaliste, qui y répondra d’ici à la fin de l’année scolaire. Si votre école désire participer au projet, où que vous soyez au Québec, écrivez-nous !