Des alertes automatiques pour faire sortir les déneigeuses. Un suivi en temps réel du niveau d’eau sous les ponts. Des mesures horaires de l’humidité dans les champs, de la température des vaches et de la moulée des mangeoires. Alors qu’on parle depuis plusieurs années déjà de l’internet des objets, une révolution se pointe à l’extérieur de la maison grâce à l’internet des infrastructures.

Des piles durables

Une technologie française promet de faciliter la multiplication des capteurs dans notre environnement. Et ce, à faible coût. Quand on enterre un capteur intelligent dans un champ ou dans une route, il faut qu’il puisse durer plusieurs années. C’est l’un des principaux avantages de LoRa, abréviation de long range (longue portée). « LoRa fait partie d’un ensemble de technologies sans fil longue distance où il y a très peu de consommation d’énergie, explique Kim Khoa Nguyen, ingénieur électrique à l’École de technologie supérieure. On a très peu de bande passante, donc on ne peut pas transmettre de la vidéo, par exemple. Mais pour des données ponctuelles, c’est très efficace. » Une jeune entreprise, X-Telia, s’est lancée dans le marché et a recruté depuis deux ans plus de 70 clients, surtout des municipalités, mais aussi des coopératives agricoles.

« Il y a eu des déploiements par le passé, mais il y avait toujours des problèmes de compatibilité des capteurs, dit Éric Bourbeau, président fondateur de X-Telia. Avec LoRa, on a des milliers de capteurs différents qui fonctionnent avec les mêmes antennes. Seulement dans notre liste, on en a une centaine. Comme c’est dans le spectre public, il y a beaucoup de flexibilité. » Brunilde Sansò, ingénieure électrique à Polytechnique, confirme que « mettre en place une infrastructure LoRa coûte beaucoup moins cher que de mettre en place une infrastructure cellulaire ».

PHOTO FOURNIE PAR X-TELIA

Installation d’une antenne sur le toit d’un gymnase à Terrebonne. Sur la photo, Martin Jodoin de X-Telia.

Vaches et silos

L’été dernier, trois fermes laitières de la Coop Unifrontières ont participé à un projet pilote d’évaluation de la température interne des vaches avec X-Telia. « L’objectif était de voir la meilleure méthode de ventilation, explique Dominic Bélanger, directeur des ventes du secteur des ruminants à la Coop. Quand une vache a trop chaud, elle est moins productive. Le capteur lit la température et compense la consommation d’eau des vaches. Et sa pile dure quatre ans. On va étendre le projet à d’autres fermes. » D’autres clients de X-Telia ont installé des capteurs d’humidité dans leurs champs et de niveau de grain dans les mangeoires et les silos.

Eau et neige

Cet hiver, pour la première fois, le contremaître responsable du déneigement à Plessisville n’aura pas à se lever à 2 h pour décider s’il faut envoyer les déneigeuses municipales sur les routes. « On a installé à différents endroits dans les rues des capteurs qui vont évaluer la quantité de neige », explique André Desjardins, directeur général de Plessisville. Cette ville située entre Québec et Victoriaville a fait affaire avec X-Telia parce que le coût était moins élevé qu’avec les technologies cellulaires. « Ça va envoyer une alerte au-delà d’un certain seuil, notre responsable n’aura plus besoin d’interrompre sa nuit pour rien. » 

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Capteur pour compteur d’eau à Plessisville. Le compteur d’eau est dans le réseau de distribution souterrain.

Plessisville a aussi installé des compteurs d’eau LoRa à différents endroits de son réseau de distribution d’eau le printemps dernier, et a déjà réussi à détecter une fuite qui représentait 2,4 % de la production d’eau potable. La Ville de Hampstead, elle, a misé sur LoRa pour suivre ses camions et mieux les diriger vers les travaux imprévus, et pour évaluer la consommation d’eau des résidences dont les propriétaires collaboraient mal avec les techniciens chargés des relevés annuels de consommation. 

D’autres clients de X-Telia ont installé des capteurs de niveau d’eau pour éviter qu’un col bleu doive consulter de visu le niveau d’eau sur une échelle plusieurs fois par jour, lors des périodes de risque élevé d’inondation.

LoRa sans internet

Une autre entreprise montréalaise, Pilot Things, utilise LoRa pour vendre des systèmes municipaux complètement indépendants de l’internet, dans un souci de protection des données. Trois-Rivières et Repentigny sont des clients de Pilot Things, qui ne fournit que le logiciel. « Les clients se chargent de l’installation des antennes et de la gestion du réseau », explique le fondateur et PDG de Pilot Things, Eric Szymkowiak. « En utilisant Pilot Things, les données des villes ne vont pas sur l’internet. Elles sont stockées dans les centres de données des villes. »

Partout, sauf en Amérique du Nord

La technologie LoRa est très répandue en Europe et en Asie, mais presque inexistante au Canada et aux États-Unis. « Ça date du temps où on ne pouvait pas se servir des téléphones canadiens et américains en Europe, explique Éric Bourbeau. C’était un peu comme VHS et Beta dans le temps des cassettes vidéo. L’Amérique du Nord fonctionnait en CDMA et le reste de la planète en GSM [CDMA et GSM sont deux technologies différentes]. Quand les telcos canadiens et américains ont migré vers le GSM, on était rendu à la 3G. Mais en Europe, les telcos avaient un réseau 2G à faible bande passante, qu’on ne pouvait utiliser pour la vidéo par exemple, qu’ils ont rentabilisé pour des transmissions de données intermittentes. Ça a donné LoRa, une technologie née il y a 10 ans, qui a été rachetée par un fabricant de puces, Semtech. »

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Éric Bourbeau

LoRa n’est par contre pas utilisée pour des données où la transmission rapide est nécessaire, par exemple en santé ou pour les terminaux de paiement dans les restaurants. » X-Telia est le seul membre québécois de la LoRa Alliance, qui regroupe 500 fabricants et installateurs du domaine et gère les standards. Pilot Things, de son côté, a des partenariats avec des membres de la LoRa Alliance comme Cisco et vend ses logiciels partout dans le monde.

Des concurrents

Un autre standard similaire à LoRa existe en France : Sigfox, qui gère de manière centrale 1300 antennes. « Il existe une demi-douzaine de standards qui utilisent le spectre non réservé », dit M. Barbeau. Les entreprises de télécommunications ont de leur côté mis au point le protocole NB-IoT, qui fonctionne sur des bandes réservées et utilise les mêmes antennes que les réseaux cellulaires. Comme LoRa, NB-IoT a une faible bande passante et une faible consommation d’énergie.

En chiffres

15 milliards : nombre d’objets connectés à l’internet en 2015 dans le monde

75 milliards : nombre prévu d’objets connectés à l’internet en 2025 dans le monde

Sources : IEEE

LoRa des champs, LoRa des villes

Les infrastructures municipales, météorologiques et agricoles peuvent enfin être accessibles par l’internet à faible coût, sans être branchées au réseau électrique. Découvrez quelques exemples récents de cette révolution.

> Capteurs de polluants dans les rues

> Capteurs de présence ou non d’une voiture sur un espace de stationnement

> Suivi du niveau d’eau des ponts autour de Montréal pour déclencher l’évacuation de certaines villes

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Un capteur de niveau d’eau sur un pont
 de l’île Maurice (près de l’autoroute 13) sur la rivière des Mille Îles

> Suivi des véhicules pour améliorer les réparations ponctuelles

> Détection du niveau de neige pour fins de déneigement

> Niveau de grain dans les silos

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Capteur de niveau de silo à grain

> Niveau de moulée dans les mangeoires

> Température interne des vaches

> Humidité et présence d’insectes dans les champs

> Suivi du trafic et des infrastructures sur des voies isolées, par exemple des pistes de motoneiges ou de VTT