L'annonce, cette semaine, d'une mission lunaire américaine habitée dès 2024 s'inscrit dans la rivalité lunaire Chine-États-Unis. Le lieu choisi, le pôle Sud, implique des difficultés supplémentaires par rapport aux cibles du programme Apollo. Explications.

L'avantage et le défi de la glace

Le grand avantage du pôle Sud est la présence de glace. Cela constitue aussi le plus grand défi, selon Ryan Watkins, spécialiste de la topographie lunaire au Planetary Science Institute (PSI), en Arizona. « S'il y a de la glace, dit-elle, c'est que la température est très basse. Le soleil n'arrive pas beaucoup au pôle Sud, à certains endroits pas du tout. Alors il faudra plus d'énergie pour garder en vie la capsule et les astronautes lors des sorties. Mais il y a aussi beaucoup moins de lumière, donc il faut presque oublier l'énergie solaire. » 

Même si l'entreprise Lockheed Martin a affirmé être capable de rapidement convertir la capsule Orion en module d'alunissage, Brian Harvey, spécialiste irlandais des programmes spatiaux, est sceptique face à l'échéancier serré. « La fusée de la NASA qui amènera les astronautes sur la Lune, le SLS [Système de lancement spatial], accumule les retards », dit M. Harvey, qui a publié une demi-douzaine de livres sur la NASA.

« Et on ne parle même pas du défi de la capsule. La NASA, durant le programme Apollo, avait un budget proportionnellement quatre fois plus élevé. Je vois mal [le président des États-Unis Donald] Trump convaincre le Congrès de consacrer autant d'argent à la Lune. » 

Le recours à des entreprises privées comme SpaceX pourrait-il accélérer le développement et réduire les coûts ? « SpaceX a été très innovatrice pour faire baisser les coûts des lancements de satellites. Les Russes ont perdu beaucoup de clients. Mais il reste à voir s'ils auront autant de succès aussi rapidement pour des fusées plus grosses », dit M. Harvey.

Rivalité chinoise

S'agit-il d'une course à la Lune similaire à celle des années 60 ? « C'est une comparaison un peu artificielle, mais aux yeux de Donald Trump, cette rivalité existe certainement », estime John Logsdon, du Space Policy Institute de l'Université George Washington. 

« La stratégie lunaire chinoise a commencé à être détaillée à partir de 1992, et depuis 2010 au moins, on sait qu'une mission habitée n'est pas prévue avant 2030. Alors on ne parle pas d'une réaction aussi vive que celle du président Kennedy, qui a lancé le programme Apollo en 1961. Mais il n'est pas anodin qu'une base lunaire américaine soit prévue en 2028. Si ça marche, les Chinois vont avoir un comité d'accueil. » 

Brian Harvey, qui a publié en 2004 et 2013 deux livres sur le programme spatial chinois, estime que la rivalité n'existe que dans l'oeil des Américains. « Pour les Chinois, il est dégradant de penser être en concurrence avec quiconque en ce qui concerne l'espace, parce qu'ils ont été les premiers à fabriquer des fusées, il y a plus de 1000 ans, et faisaient de l'astronomie plus de 1000 ans avant Jésus-Christ, dit M. Harvey. Ils ne font, à leurs yeux, que reprendre leur place normale dans la hiérarchie mondiale, la première. »

« [Les Chinois] pensent en termes de décennies, parce que leur histoire est millénaire. Après une base lunaire, ils veulent en construire une sur Mars en 2050. »

Une couche de poussière nommée régolithe

Depuis une quinzaine d'années, des chercheurs, aux quatre coins du monde, tentent de voir comment on pourrait utiliser le régolithe lunaire, la couche de poussière qui recouvre notre satellite, comme matériau de fabrication. « On ne peut envisager une base lunaire permanente sans utiliser le régolithe, dit Mme Watkins, du PSI. C'est d'ailleurs une étape essentielle de la stratégie chinoise, avant l'envoi de taïkonautes sur la Lune. Il faut aussi utiliser la glace lunaire pour fabriquer du carburant, de l'eau et de l'oxygène. Normalement, il faudrait rapporter un échantillon de glace lunaire ou au moins l'analyser sur place pour être sûr que les premiers astronautes à fouler le pôle Sud auront les bons outils pour transformer la glace lunaire. Ça va être différent selon la quantité de contaminants rocheux contenus dans la glace. C'est un autre point délicat de la mission de 2024 annoncée cette semaine. »

Une question de sous

45 milliards CAN

Budget des programmes spatiaux civils et militaires américains, 2017

7,5 milliards CAN

Budget total des programmes spatiaux européens, 2017

6,3 milliards CAN

Budget du programme spatial civil chinois, 2017 (sans ajustement PPA)

4 milliards CAN

Budget du programme spatial civil russe, 2017 (sans les revenus des lancements de capsules Soyouz et de satellites), 2017

Sources : Brian Harvey, Organisation de coopération et de développement économiques

De nombreux projets

2022

Début prévu de la construction de la station orbitale lunaire Gateway

2024

Mission humaine de la NASA au pôle Sud

2026

Premier équipage dans la station Gateway

2027

Construction par la mission chinoise Chang'e 8 d'un prototype de base sur la surface à partir des matériaux de la Lune

2028

Base américaine habitée sur la surface

2030 ou après

Première mission habitée chinoise vers la Lune

Sources : NASA, SpaceNews