Les filtres de cigarettes arrivent au premier rang de la pollution plastique sur les plages des pays riches. Pourquoi ne pas les bannir, propose un épidémiologiste californien, qui considère que les preuves de leur utilité pour la santé humaine sont minces. Or, une étude vient tout juste de conclure que les filtres diminuent de moitié le risque de mourir d’un cancer du poumon. La Presse s’est entretenue avec les deux chercheurs.

La pollution par les filtres

Thomas Novotny a commencé à travailler sur les dommages environnementaux des filtres de cigarette il y a 20 ans. « C’était un projet de la Banque mondiale sur les dommages généraux de la cigarette, pas seulement pour la santé », explique le chercheur de l’Université d’État de San Diego, qui est l’auteur principal de l’essai publié à la fin d’octobre dans le British Medical Journal (BMJ). « Au fil des années, j’ai réalisé comme d’autres spécialistes de santé publique que les filtres avaient peu ou pas de bénéfices pour les fumeurs, dit le Dr Novotny. En 2010, j’ai fondé une ONG pour attirer l’attention sur la pollution par les filtres de cigarette. Sur nos plages, ils sont au premier rang de la pollution plastique, en ce qui concerne le nombre d’objets. Je pense qu’on est rendu au point où on peut les interdire. » Les filtres ont été lancés dans les années 50 pour répondre aux premières études sur les effets néfastes du tabac sur la santé, et n’ont jamais pu être fabriqués avec des matériaux biodégradables, selon le Dr Novotny.

Le cancer du poumon

La Presse a envoyé au Dr Novotny une étude publiée à la mi-octobre dans la revue JAMA Internal Medicine qui conclut que les filtres protègent bel et bien du cancer du poumon. « Cette étude porte sur des individus à très haut risque, qui ont fumé plus d’un paquet par jour pendant plus de 40 ans, dit le Dr Novotny. De plus, il y avait peu de fumeurs de cigarettes sans filtre, à peine 10 %. Alors je ne suis pas sûr qu’elle démontre que les filtres ont des avantages sur la santé. En 2014, le médecin en chef [Surgeon General] a conclu que les filtres n’ont pas de bénéfices au niveau de la population, et en 2001, l’Institut national du cancer [NCI] a conclu que le design des cigarettes ne diminue pas leur risque pour la santé. » L’auteure principale de l’étude de JAMA Internal Medicine, Nina Thomas, de l’Université médicale de Caroline du Sud, admet qu’une étude sur des fumeurs moyens pourrait avoir des résultats différents. « Mais nos résultats montrent qu’il faut étudier la question avant d’interdire les filtres », dit la Dre Thomas.

Diagnostic et mort

L’étude de la Dre Thomas, qui portait sur 14 000 grands fumeurs suivis de l’âge de 61 à 68 ans, conclut que le risque d’avoir un diagnostic de cancer du poumon augmentait de 40 % avec des cigarettes sans filtre par rapport aux cigarettes avec filtre, et que le risque de mourir doublait. Pourquoi cette différence ? « Il se peut qu’une partie du goudron des cigarettes soit arrêtée par les filtres, dit la Dre Thomas. Mais ça reste à voir, parce qu’on ne voit aucune diminution de risque de diagnostic ou de mourir avec les cigarettes légères ou ultralégères, qui ont aussi un impact potentiel sur le goudron. »

Les filtres pour écraser

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

L’étude de la Dre Nina Thomas, qui portait sur 14 000 grands fumeurs suivis de l’âge de 61 à 68 ans, conclut que le risque d’avoir un diagnostic de cancer du poumon augmentait de 40 % avec des cigarettes sans filtre par rapport aux cigarettes avec filtre, et que le risque de mourir doublait.

La Dre Thomas veut maintenant étudier l’impact des filtres sur la capacité à arrêter de fumer. « Il se peut que les fumeurs de cigarettes sans filtre aient plus de difficulté à écraser. Il faut évaluer ce point avant de prendre une décision sur l’interdiction de cigarettes avec filtre. Il faut aussi voir si les filtres réduisent le risque d’autres cancers et des maladies cardiovasculaires et pulmonaires liées au tabagisme. » Le Dr Novotny avance au contraire que l’interdiction des filtres pourrait aider les fumeurs à écraser. « L’inconfort d’avoir du tabac dans la bouche pourrait les aider à écraser et dissuaderait les jeunes à commencer à fumer », dit-il.

6,8 % Risque pour un Canadien d’être atteint d’un cancer du poumon durant sa vie

19 % Proportion de Canadiens ayant reçu un diagnostic de cancer du poumon qui sont encore vivants cinq ans plus tard

8 à 24 fois Augmentation du risque de cancer du poumon chez les fumeurs

Sources : Société canadienne du cancer, International Journal of Cancer