Certaines de ses théories ont eu tellement de succès qu’il affirme en avoir été « déçu » – c’est qu’il en avait déjà inventé d’autres au cas où elles auraient échoué à décrire le cosmos. Mais le Canadien James Peebles a pu jouir de ce succès, hier, lorsqu’on lui a remis le prix Nobel de physique.

« Je sais maintenant comment les rock stars se sentent », a lancé l’homme de 84 ans sous les applaudissements lors qu’une cérémonie organisée à l’Université de Princeton, au New Jersey, où il a travaillé et enseigné toute sa carrière. Le cosmologiste canado-américain a partagé le Nobel avec deux scientifiques suisses, Michel Mayor et Didier Queloz. Ceux-ci ont été récompensés pour des travaux distincts, soit la découverte d’une exoplanète en orbite autour d’une étoile similaire au Soleil.

« Le prix de cette année récompense des contributions à notre compréhension de l’évolution de l’Univers et de la place de la Terre dans le cosmos », a dit Göran K. Hansson, secrétaire général de l’Académie royale des sciences de Suède.

Le grand legs de M. Peebles est d’avoir contribué à faire comprendre que tout ce que nous voyons et connaissons, des étoiles aux galaxies en passant par les êtres humains, ne représente qu’à peine 5 % de l’Univers. Le reste est fait d’énergie noire et de matière noire. La théorie du cosmos de M. Peebles permet aussi d’expliquer le rayonnement de fond cosmologique, qui provient des tout premiers instants de l’Univers.

« Ne visez pas les prix et les médailles », a lancé aux jeunes présents dans l’auditorium celui qui venait d’être honoré de la plus haute récompense de sa discipline. « Nous sommes là-dedans pour la joie de la recherche, la fascination et l’amour de la science. »

Notons qu’après Donna Strickland l’an dernier, c’est la deuxième fois de suite qu’un Canadien est honoré du prix Nobel de physique.

Modestie et crème glacée

Nathalie Ouellette, coordonnatrice de l’Institut de recherche sur les exoplanètes de l’Université de Montréal, est une spécialiste de l’astrophysique extragalactique. Ses travaux sont basés sur les théories de M. Peebles, un homme qu’elle a rencontré à plusieurs reprises.

« Il est super sympathique, très modeste. Et c’est un grand physicien », a-t-elle commenté à La Presse. Selon Mme Ouellette, James Peebles a joué un grand rôle pour unir les cosmologistes théoriques comme lui aux astronomes qui faisaient des observations. « Lorsqu’il émettait une théorie, il travaillait avec les astronomes observationnels pour voir quel genre de programme d’observation pouvait valider cette théorie, explique-t-elle. Parmi sa génération, ce n’était pas commun. Mais grâce à son ouverture, toute une nouvelle génération d’astronomes est apparue, qui sont à la fois théoriciens et observationnels. »

Le président de l’Université de Princeton, Christopher Eisgruber, a profité d’une conférence télédiffusée pour décrire le lauréat comme un « physicien extraordinaire, un homme qui a réfléchi profondément et clairement à la structure de l’Univers ». Les qualités humaines du scientifique, comme sa modestie et sa curiosité, ont aussi été soulignées.

Aussi passionné par l’enseignement que par la recherche, M. Peebles était connu pour accorder des « pauses crème glacée » à ses étudiants. « Lui-même enseignait avec un cornet dans une main et une craie dans l’autre », a raconté M. Eisgruber, qui l’a eu comme professeur.

J’ai profité immensément du fait que lorsque vous vous tenez debout devant des étudiants, qui sont des gens brillants, vous devez savoir de quoi vous parlez. Cela a profondément bonifié ma connaissance de la physique.

James Peebles

Le p’tit gars de Saint-Boniface

James Peebles a tenu à corriger le présentateur de Princeton qui affirmait qu’il était né en 1935 à Winnipeg. « Je suis né à Saint-Boniface, la ville francophone sœur de Winnipeg », a-t-il précisé. Après un baccalauréat à l’Université du Manitoba, il a poursuivi ses études à Princeton, où il a enseigné toute sa carrière. Il raconte que la cosmologie théorique était à l’époque un domaine peu populaire qui l’effrayait un peu, parce que les données expérimentales étaient si peu nombreuses qu’il était difficile de valider les thèses.

Mais je pouvais penser à une chose ou deux à faire en cosmologie, et chacune d’entre elles a mené vers autre chose. Je n’ai fait que continuer, ça a été une aventure tellement plaisante.

James Peebles

Il y a un adage en science qui veut que les questions soient plus importantes que les réponses. Or, M. Peebles y croyait tellement qu’il était parfois déçu quand ses théories étaient vérifiées expérimentalement. C’est par exemple le cas avec sa théorie de la « matière noire froide », l’une de ses plus importantes contributions.

« En 1984, quand j’ai émis cette théorie, j’étais très fâché de voir qu’elle attirait autant d’attention. Pourquoi mettre autant l’accent sur cette théorie ? Je peux en inventer une douzaine d’autres qui correspondent tout aussi bien aux données. […] J’ai passé une partie des années 80 et 90 à inventer d’autres théories, tout simplement parce que je jugeais qu’on ne devait pas avoir tant confiance en la première. Mais j’avais entièrement tort », a-t-il raconté.

Il admet que le mystère de la matière noire, dont il a contribué à postuler l’existence, mais qui n’a pas encore été détectée expérimentalement, le taraude toujours. « Elle est là, c’est insultant, mais elle est là. Mais elle va finir par se montrer, ça finit toujours comme ça », a-t-il lancé.

James Peebles se voit attribuer la moitié des 9 millions de couronnes suédoises du prix Nobel (environ 1,2 million de dollars canadiens), l’autre moitié étant partagée entre les deux chercheurs suisses. Il a promis d’en remettre une partie à des œuvres caritatives et à l’Université du Manitoba.