À Madagascar, beaucoup de villages sont à quelques jours de marche de la clinique la plus proche. Un projet de recherche auquel participe un infectiologue du CHUM teste l’utilisation de drones pour lutter contre la tuberculose. Nos explications.

Les drones

Quand Simon Grandjean Lapierre, microbiologiste infectiologue et chercheur au Centre de recherche du CHUM, se rend dans les villages de la commune d’Androrangavola, à Madagascar, où il teste ses drones, il doit tout d’abord parcourir 300 km sur des routes asphaltées pour arriver à la clinique régionale. Puis, il parcourt 30 km en une demi-journée sur des routes de terre pour se rendre au centre de la commune. Les villages sont ensuite à 30 km de marche sur des sentiers. « Pour un drone, il faut une heure pour faire les 50-60 km, mais pour un humain, on parle de plusieurs jours », dit le Dr Grandjean Lapierre, qui est l’un des coauteurs d’une étude sur le projet de traitement de la tuberculose avec des drones, parue dans le British Medical Journal. « On a des drones bidirectionnels, qui transportent et rapportent des tests diagnostiques et acheminent les médicaments », ajoute-t-il. Le bacille de la tuberculose est la bactérie la plus meurtrière sur la planète, touchant davantage de gens que le VIH ou la malaria. Or, de 30 % à 40 % des dix millions de cas ne sont pas diagnostiqués.

Regardez une vidéo sur le projet (en anglais)

Piluliers intelligents

Le projet comprend également des piluliers qui avertissent les responsables médicaux quand ils sont ouverts. « On pensait auparavant que la tuberculose était une maladie qui pardonnait les oublis de traitement, dit le Dr Grandjean Lapierre. Mais on a vu que si l’observance baissait sous les 90 %, 95 %, le taux de succès de la thérapie baissait de 99 % à 90 %. Si on sait que le pilulier a été ouvert, on n’est pas sûr que le patient a pris le médicament, mais s’il n’a pas été ouvert, on est sûr qu’il ne l’a pas pris. On peut intervenir dans des cas précis. » L’article du British Medical Journal affirme que la probabilité qu’une personne infectée reçoive un diagnostic a doublé, et que l’observance du traitement a aussi doublé.

Pourquoi Madagascar ?

En 2016, quand il a commencé à être impliqué dans le projet de Madagascar, Simon Grandjean Lapierre faisait une formation spécialisée à l’Université Stony Brook. L’établissement new-yorkais collaborait depuis fort longtemps avec l’Institut Pasteur de l’île africaine en biologie et en conservation, et voulait ajouter un volet de recherche en santé. « Madagascar a des populations isolées, mais a très peu de co-infections avec le VIH et de souches de tuberculose résistantes aux antibiotiques. Ce sont deux problèmes qui compliquent le traitement. Alors la médecine à distance, avec des drones, est particulièrement bien adaptée à Madagascar. On peut espérer fortement réduire la maladie dans les régions rurales qui constituent des réservoirs. » Le Dr Grandjean Lapierre a résidé à plein temps à Madagascar jusqu’à la mi-2018 et il y retourne fréquemment depuis, ainsi qu’au Malawi et au Sénégal, où la même approche de traitement à distance de la tuberculose avec des drones et des piluliers électroniques est testée. « Le projet entre les trois pays a aussi un volet diagnostique. On utilise le séquençage de l’ADN de la bactérie pour mieux comprendre son comportement, comment elle circule dans la population. »

Une solution pour le Grand Nord ?

L’incidence de la tuberculose chez les Inuits au Canada est 290 fois plus élevée que chez les Canadiens non autochtones nés au Canada, rapportait l’an dernier l’Agence de la santé publique du Canada. Des drones ou des piluliers intelligents pourraient-ils être utilisés dans le Grand Nord pour combattre la maladie ? « Il faut faire attention de ne pas comparer le Grand Nord avec la brousse africaine, dit le Dr Grandjean Lapierre. Mais dans certains cas, il y a des communautés isolées avec peu ou pas de présence médicale. Alors il faudrait voir. Pour ce qui est des piluliers, on s’attend à ce que les prochaines lignes directrices sur la tuberculose, qui devraient être publiées en 2020 ou 2021, prennent position sur le sujet. » À la connaissance du Dr Grandjean Lapierre, les piluliers intelligents avertissant les médecins d’une ouverture ne sont utilisés au Canada qu’en recherche, et la seule entreprise qui utilise des drones à des fins médicales est Drone Delivery Canada.

En chiffres

• 0,1 % de la population malgache est porteuse du VIH

• 13 % de la population sud-africaine est porteuse du VIH

• Moins de 1 % des cas de tuberculose à Madagascar sont résistants à au moins un médicament

• 5 % des cas de tuberculose en Inde sont résistants à plusieurs médicaments

• 250 par 100 000 personnes : incidence de la tuberculose à Madagascar

• 210 par 100 000 personnes : incidence de la tuberculose en Inde

• 4,9 par 100 000 personnes : incidence de la tuberculose au Canada

Sources : Organisation mondiale de la santé, Agence de la santé publique du Canada