On dit que Léonard de Vinci, Thomas Edison et Nikola Tesla le faisaient.

Il semblerait maintenant que des dirigeants de Silicon Valley, toujours désireux d’extraire le plus grand nombre possible d’heures de leur journée, ont décidé de les imiter.

Composé en parts égales d’un engouement pour tout ce qui pourrait permettre de stimuler la productivité et de récits personnels convaincants, mais sans la moindre preuve scientifique, le sommeil polyphasique consiste à remplacer une bonne nuit de sommeil par plusieurs siestes éparpillées pendant la journée.

Un organisme américain, la Polyphasic Society, précise sur son site internet que cette façon de dormir peut prendre plusieurs formes, qu’il s’agisse d’un bloc de sommeil de 90 minutes à six heures suivi de siestes, ou encore uniquement de siestes de 20 minutes réparties pour totaliser deux ou trois heures de sommeil par jour.

« Ça démontre qu’il n’y a pas de science derrière ça. C’est de l’essai-erreur », a lancé le docteur Roger Godbout, le directeur du Laboratoire et de la Clinique du sommeil de l’Hôpital en santé mentale Rivière-des-Prairies.

Les adeptes de la technique prétendent qu’elle permet de maximiser le temps consacré au sommeil paradoxal et au sommeil lent profond, qui sont selon eux les deux phases du sommeil les plus importantes – et même les deux seules dont on aurait réellement besoin.

« Ça n’a jamais été documenté, a ajouté M. Godbout. Les gens pour qui le sommeil polyphasique fonctionne bien ne doivent pas être si nombreux que ça. »

Pas nouveau

L’intérêt envers le sommeil polyphasique n’a rien de nouveau, dit-il, et on s’y intéresse au moins depuis les années 1960.

La pratique est très répandue parmi les navigateurs qui effectuent de longues traversées en solitaire. Puisqu’il leur faut habituellement une vingtaine de minutes pour franchir la distance qui les sépare de l’horizon, c’est l’intervalle à laquelle ils n’ont d’autre choix que de se réveiller pour aller vérifier si un obstacle ne s’est pas matérialisé sur leur chemin.

Les navigateurs complètent toutefois souvent leur périple complètement épuisés et parfois même déprimés. Pas seulement en raison de leur régime de sommeil, la solitude prolongée y est aussi pour quelque chose, « mais comme tout sommeil polyphasique en général, ce n’est vraiment pas idéal », a estimé le docteur Godbout.

« Ce sont des trucs pour s’adapter à une situation, mais ça ne veut pas dire que c’est l’idéal, a-t-il ajouté. L’idéal, d’après moi, c’est un sommeil qui est au mieux monophasique, au pire biphasique. »

À ce sujet, on raconte qu’au Moyen-Âge les gens allaient au lit très tôt, puis se réveillaient pendant quelques heures avant de retourner se coucher. La période d’éveil qui interrompait ce sommeil « biphasique » en pleine nuit pouvait être consacrée à raviver le feu pour réchauffer l’habitation ou encore à aller vérifier que les animaux allaient bien.

Plusieurs personnes âgées finissent également par adopter un sommeil biphasique et s’en tirent très bien.

« Ma défunte belle-mère se réveillait la nuit, elle partait une sauce à spaghetti et elle allait se recoucher, a confié M. Godbout. Elle fonctionnait très bien pendant la journée et son esprit était très “sharp”. »

Les animaux aussi

Le docteur Godbout n’en démord pas : le sommeil doit être consécutif et tous les stades de sommeil doivent être présents. Plus on a été réveillé longtemps, plus on devra dormir longtemps.

« C’est démontré aussi que notre performance le lendemain n’est pas bonne dès qu’on fragmente le sommeil, a-t-il dit. On sait qu’au-delà de 17 heures d’éveil consécutif, il faut dormir, autrement on commence à faire des erreurs plus ou moins graves. »

Ce que ça prend, précise-t-il, c’est une continuité, ce qu’on appelle « l’homéostasie ». Les humains ne sont d’ailleurs pas les seuls à avoir un sommeil monophasique, puisque plusieurs animaux le font aussi.

De plus, le sommeil que l’on obtient pendant la journée – au moment où notre température corporelle est élevée, que notre corps sécrète du cortisol, que de multiples fonctions sont actives – n’est pas un « bon » sommeil, et cela a été démontré chez les travailleurs par poste, selon le docteur Godbout : « Quand on dort le jour, ce n’est pas pareil ».

On peut donc en conclure que les siestes diurnes des dormeurs polyphasiques ne génèrent pas un sommeil de qualité.

Un sommeil monophasique ne suffit donc pas : il faut aussi qu’il survienne au bon moment, la nuit, puisque le sommeil de jour « n’est pas aussi bon, n’est pas aussi efficace, ne remplit pas aussi bien ses fonctions ».

« Ceux qui font la promotion du sommeil polyphasique, en disant qu’ils font des siestes de 20, 30 ou 40 minutes pendant la journée, je voudrais bien pouvoir les enregistrer toute la journée pendant plusieurs semaines, a conclu le docteur Godbout. Je suis convaincu que je trouverais du sommeil beaucoup plus long, plus souvent. Je trouverais probablement des gens qui s’y acclimatent plus facilement, mais je suis convaincu qu’ils performent moins bien que s’ils dormaient une nuit complète de sommeil.

Il y a une espèce de désir de performance de montrer qu’on ne dort pas beaucoup, ou par petits bouts, ou qu’on est “toffe”, mais je pense que c’est de la… »