Les infirmeries des établissements de détention provinciaux n’ont pas à inscrire les soins offerts et les médicaments administrés aux détenus dans le Dossier santé Québec (DSQ). Cette absence de suivi médical est le cœur du problème, selon Rachel Lapierre, présidente du Book Humanitaire.

Le CISSS des Laurentides, responsable des soins de santé à l’Établissement de détention provincial de Saint-Jérôme (EDSJ), confirme qu’aucune information relative aux soins de santé reçus en prison n’est informatisée. Les renseignements ne sont pas inscrits au DSQ, sauf si les détenus sont traités dans les établissements du CISSS, lorsque la prison ne peut répondre aux besoins des patients.

Cela met des bâtons dans les roues des bénévoles du Book Humanitaire lorsqu’elles tentent d’aider leurs usagers à obtenir leurs ordonnances, explique Chantal Dumont, bénévole responsable du Projet itinérance de l’organisme.

Elle dresse un sombre portrait de la sortie de prison pour ses usagers, qui passent du jour au lendemain « de trois repas par jour [et] encadrés à freestyle comme un cowboy dans la ville ».

PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Chantal Dumont, bénévole responsable du Projet itinérance au Book Humanitaire

Vers où tu t’en vas ? Tu t’en vas pas rejoindre le club optimiste, là. Tu vas aller avec les tiens. Ben c’est qui, les tiens ? C’est du monde qui est dans la rue, c’est du monde qui fait des méfaits pour survivre. Tu te retrouves dans la même situation qu’avant.

Chantal Dumont, bénévole responsable du Projet itinérance au Book Humanitaire

Rachel Lapierre insiste : les communications avec d’autres partenaires, comme le CISSS et les postes de police du secteur, se passent très bien, notamment depuis la mise sur pied de l’Équipe Espoir.

Mais avec la prison, « c’est très difficile », rapporte-t-elle.

Des procédures « compliquées »

« J’ai déjà [anticipé] la problématique à ce niveau-là parce que je ne trouve pas ça correct qu’ils sortent de prison, qu’ils retombent dans leurs habitudes et qu’ils soient obligés de commettre des méfaits. Il faut leur donner la médication dont ils ont besoin pour fonctionner », s’inquiète Richard Cardinal, pharmacien propriétaire et pharmacien-chef du Groupe santé Cardinal.

Cette pharmacie offre ses services à l’EDSJ depuis près de trois ans. M. Cardinal explique que le système informatique utilisé à l’interne est le même que celui utilisé dans des hôpitaux de la province. Néanmoins, il n’est pas connecté au DSQ.

Richard Cardinal assure que son entreprise fournit une lettre aux établissements de détention qu’il dessert, à remettre aux détenus puis à un pharmacien. Celle-ci détaillerait la procédure à suivre en ce qui concerne la continuité de la médication à la sortie de la prison.

M. Cardinal dit recevoir plusieurs fois par jour des appels de pharmacies à ce sujet. « Ça fonctionne », assure-t-il, précisant ne pas avoir de contact direct avec les détenus.

« Moi, je n’ai jamais vu un patient avec [cette lettre] depuis trois ans. Pas un », rétorque pourtant la présidente du Book Humanitaire.

Au CISSS des Laurentides, on indique qu’à sa sortie, un détenu « doit se référer aux mécanismes offerts à la population générale ». Pour avoir une copie de son dossier, il peut remplir une demande dont le délai de réponse va jusqu’à 20 jours.

« Quant à la fiche médicale, le détenu sortant a la responsabilité de faire des démarches auprès de sa pharmacie », précise le CISSS.

La connexion du système informatique du Groupe santé Cardinal au DSQ est un enjeu « auquel le projet Dossier de Santé numérique vise à répondre », ajoute le CISSS. Ce projet gouvernemental doit être déployé en 2025.

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Situé à Saint-Jérôme, l’organisme Le Book Humanitaire offre des services de première ligne d’urgence aux gens en détresse.

En attendant, les bénévoles du Book Humanitaire peuvent passer des jours à multiplier les démarches « très compliquées » pour obtenir ces informations pour les usagers. Cet organisme fonctionne principalement grâce aux dons privés et à l’aide de bénévoles, qui se donnent corps et âme pour venir en aide aux plus démunis de la région de Saint-Jérôme.

Mme Lapierre peut se permettre de diriger l’OBNL à temps plein depuis qu’elle a remporté Gagnant à vie il y a 10 ans. « Je suis payée par Loto-Québec », confie-t-elle.

Au-delà du DSQ

« Ce n’est pas parce que c’est dans le DSQ qu’un médecin va nécessairement être à l’aise de prescrire la médication », croit pour sa part Julie Bruneau, professeure en médecine familiale et d’urgence à l’Université de Montréal.

Toutefois, elle insiste : « Il doit y avoir obligatoirement une réflexion sur les soins de santé et les transitions des gens qui vont en prison. »

En ce qui concerne les droits de la personne, « c’est ce qu’il faut faire », croit-elle.

Quelqu’un qui sort de prison a des besoins particuliers et ses services de santé devraient être couverts. C’est faire de la prévention en santé publique et offrir des soins adéquats aux personnes qui en ont besoin.

Julie Bruneau, professeure en médecine familiale et d’urgence à l’Université de Montréal

Mme Dumont, elle, comprend qu’il est difficile pour les ex-détenus à la rue de trouver un médecin de famille en raison de leur condition. « C’est pas un patient intéressant ça, c’est un criss de gros paquet de troubles », résume la bénévole du Book Humanitaire, contrariée.

Selon le ministère de la Sécurité publique (MSP) et le CISSS des Laurentides, responsables des soins de santé à l’EDSJ, il n’y a pas de mécanisme particulier mis en place afin d’assurer le suivi médical et pharmaceutique d’une personne à sa sortie de l’établissement de détention.

Selon Mme Dumont, les problèmes relatifs aux suivis médicaux et pharmaceutiques sont d’autant plus flagrants pour les personnes détenues moins de six mois, qui n’ont pas de plan de sortie. Selon le MSP, celles-ci bénéficient d’un « plan de réinsertion sociale qui présente le projet de la personne contrevenante et les recommandations visant à l’actualiser ».

Les personnes détenues entre six mois et deux ans moins un jour bénéficient pour leur part d’un « plan d’intervention qui identifiera les différentes modalités de suivi à mettre en place en matière de réinsertion sociale ».