(Montréal) Depuis la grave pénurie d’infirmières qui a frappé au Nunavik l’an dernier, les effectifs augmentent légèrement, mais la situation reste préoccupante. La crise touche aussi les médecins de famille alors que les nouveaux postes sont difficiles à combler.

Au début de 2023, le départ de plusieurs infirmières a créé un manque d’effectifs alarmant, de sorte que la Croix-Rouge a déployé une douzaine d’infirmières en renfort pour assurer des rotations au Nunavik.

La pénurie était particulièrement criante dans les sept villages de la baie d’Hudson qui sont gérés par le Centre de santé et de services sociaux Inuulitsivik (CSI).

La population de 14 000 Nunavikois est séparée entre la côte que couvre le CSI et la baie d’Ungava, qui compte sept villages chapeautés par le Centre de santé Tulattavik de l’Ungava (CSTU).

Au Nunavik, les conditions de travail du personnel soignant sont différentes que dans le reste de la province. Il n’y a pas de bloc opératoire ouvert 24 heures sur 24, aucun lit en soins intensifs, pas d’examen de radiologie ou même de médecins spécialistes à temps plein sur place.

Les conditions de vie sont aussi difficiles dans ce large territoire où le réseau cellulaire n’est pas disponible partout. Il n’y a pas d’eau courante non plus pour 13 des 14 villages. Des camions-citernes doivent livrer l’eau manuellement.

Toutes les régions du Québec s’arrachent les infirmières, mais si les conditions étaient meilleures au Nunavik, cela améliorerait sans doute la situation, selon Dre Geneviève Auclair, qui travaille comme médecin de famille dans la baie d’Hudson.

« Des gens qui partent parce qu’ils sont tannés de manquer d’eau, ça se pourrait, dit-elle. Quand il y a beaucoup d’irritants, à un moment donné, c’est la goutte qui fait déborder le vase. »

Cyril Gabreau, président du Syndicat nordique des infirmières de la baie d’Hudson, affilié à la FIQ, indique qu’à pareille date l’an dernier, 26 postes étaient vacants sur 35. À ce jour, 19 restent à combler.

Il fait état de 55 démissions l’an dernier et huit départs ont déjà eu lieu depuis janvier 2024. De ce nombre, 46 comptent moins de deux ans d’ancienneté au sein du centre de santé Inuulitsivik. « Il est bien d’engager du nouveau personnel, mais il faut mettre les moyens et actions en place pour les retenir », souligne-t-il.

M. Gabreau constate qu’il y a des embauches, mais malheureusement il y a trop de départs pour compenser.

Peu de nouveaux postes pourvus en médecine

Dre Geneviève Auclair est également cheffe du Département régional de médecine générale du Nunavik depuis 2015. Elle est responsable du recrutement pour l’ensemble de la région et elle s’inquiète particulièrement du manque de postulants en médecine cette année.

Les plans régionaux d’effectifs médicaux (PREM) ont pour objectif de répartir géographiquement les effectifs. Cinq nouveaux postes de médecin de famille ont été attribués au Nunavik pour 2024. Habituellement, tous ces postes sont pourvus, a fait savoir Dre Auclair.

« C’est la première année que le taux d’application est aussi famélique, a-t-elle déclaré. Actuellement, j’ai juste un poste de comblé sur cinq, je n’ai jamais vu ça. […] Et oui ça m’inquiète parce qu’on en a besoin de ces gens-là. On dépend encore du dépannage, le CSI surtout. »

Le mécanisme de dépannage s’étend à l’échelle de la province et il doit être renouvelé chaque année, la région devant prouver ses besoins. « On a alors une banque de dépannage avec un nombre de semaines préétablies », a expliqué Dre Auclair.

Elle a précisé qu’environ 40 médecins œuvrent présentement au Nunavik. « Visiblement cette quarantaine de médecins, ce n’est pas assez parce qu’on demande à peu près 200 semaines de dépannage par année au CSI. Ça veut dire qu’on a besoin de quatre médecins dépanneurs chaque semaine toute l’année », calcule-t-elle.

Surcharge de travail

Le mois dernier, seulement deux infirmières (sur cinq postes) travaillaient à Salluit. « Elles ont fait des 28-30 heures [d’affilée]. Ça, on le dénonce toujours. Il faut que ce genre de pratique cesse. Imaginez soigner des gens après autant d’heures en continu de travail, c’est un peu impensable », dénonce M. Gabreau.

Il indique que des situations similaires se produisent dans différents villages où les infirmières sont en sous-effectif et doivent faire beaucoup d’heures de travail en continu. « Ça peut mettre à risque la population », met en garde M. Gabreau.

Dre Auclair est du même avis. Parfois, dans un village de plus petite taille, une seule infirmière est en poste pendant plusieurs semaines consécutives, indique-t-elle. « Ce que j’ai entendu des patients et de la communauté, c’est que les gens évitent d’appeler parce qu’ils savent qu’il n’y a presque pas [de personnel] et qu’ils sont fatigués. Mais est-ce que le patient est bien placé pour décider que c’est une grosse urgence ou pas son problème », soulève-t-elle.

Les infirmières qui s’occupent des cliniques d’urgence sont des infirmières en rôle élargi. Elles peuvent évaluer, questionner et examiner des patients de façon autonome, a expliqué Dre Auclair. Si ce sont des diagnostics simples, elles vont préparer la prescription. Pour des questions plus complexes, elles font appel à un médecin.

Le manque d’infirmières est particulièrement critique dans les communautés qui sont si petites qu’il n’y a pas de médecin sur place. Elles dépendent entièrement des infirmières en rôle élargi pour assurer un service d’urgence 24/7.

« Je dirais qu’on n’est pas tout à fait sorti de cette crise-là. Pour moi, c’est la pire pénurie d’effectifs infirmiers depuis que je suis au Nord », affirme Dre Auclair qui travaille au Nunavik depuis 16 ans.

Le président du syndicat estime toutefois que la situation pour les infirmières tend à s’améliorer. Il sent « un changement au niveau de la direction » qui lui donne un peu d’espoir. Le travail doit continuer, dit-il, afin de mettre en place des équipes plus stables.

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