Un médecin de Montréal vient de se voir imposer une période de radiation de trois mois pour avoir adopté « une attitude inappropriée et irrespectueuse » envers un patient trans qui le consultait pour obtenir un traitement hormonal. Le DRaymond Brière a répété au patient qu’il était biologiquement une femme « en dépit des demandes explicites de ce dernier de le désigner en utilisant le genre masculin ».

Le Conseil de discipline reproche également au DBrière d’avoir mis fin au suivi médical du patient sans le diriger vers un confrère, comme souhaité.

Le DBrière, qui a obtenu son droit de pratique en 1980, a pratiqué la médecine familiale aux Îles-de-la-Madeleine, à Rimouski et à Kuujjuaq avant de venir à Montréal, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve. Il y suit entre 700 et 900 patients, principalement vulnérables.

Il était le médecin de famille du patient en question depuis 2018. Ce dernier le consultait environ une fois par année.

Enregistré à son insu

Le 17 mai 2022, le patient consulte le DBrière pour se faire prescrire un traitement hormonal. À l’insu de son médecin, il enregistre la consultation sur son téléphone cellulaire.

Dès le début de la rencontre, le patient indique au DBrière qu’il a commencé une transition sociale depuis un an et qu’il a changé de pronom. Il est un homme trans et veut « passer à la prochaine étape de sa transformation qui est la prise d’hormone », peut-on lire dans la décision du Conseil de discipline.

Le patient indique au DBrière s’être amplement renseigné sur le processus de transformation auprès de diverses associations s’adressant aux personnes transgenres.

Le DBrière a « peu d’expérience avec les personnes trans et n’assume le suivi médical d’aucun autre patient ayant une identité de genre différente ou non hétérosexuelle », est-il écrit. Durant la consultation, le médecin pose différentes questions à son patient. Ce dernier détaille ses intentions d’y aller doucement dans le processus de transition. Il précise aussi être suivi par un psychologue.

À un moment, le DBrière mentionne que la prise d’hormone mâle peut entraîner des comportements agressifs. Le patient répond que ces affirmations semblent basées sur des stéréotypes. Le DBrière affirme que certaines femmes prennent du gel de testostérone « pour mieux diriger un conseil d’administration et communiquer le message non verbal suivant : ‟Heille, les boys, c’est moi la patronne !” »

« Le patient réagit en soulignant […] que sa situation de personne trans se distingue des femmes qui utilisent la testostérone pour affirmer leur autorité », est-il écrit dans la décision.

À un moment, le DBrière dit « qu’il n’a jamais prescrit d’hormones à une personne qui veut ‟se transformer en monsieur” ». Il affirme qu’un collègue du CLSC suit des patients désirant une transformation de genre et propose au patient de l’y diriger, ce que ce dernier finira par accepter.

« Vous étiez une femme, chère madame »

Durant la consultation, le patient mentionne vouloir utiliser un gel de testostérone « pour favoriser une transformation lente et progressive de son corps ».

Le DBrière explique que, pour une femme, les gels peuvent être appliqués à l’aide d’une pompe. Le patient indique qu’il refuse d’utiliser une pompe. Le médecin insiste. Le patient rappelle alors au DBrière qu’il est un homme trans. Le médecin réplique qu’il est « génétiquement une femme ». Le patient réitère qu’il se considère comme un homme trans. Le DBrière répond que « si une analyse chromosomique est réalisée, il sera démontré que ses chromosomes sont porteurs des gènes XX et non XY ». Le patient répète qu’il est un homme trans. Le médecin dit : « Oui, ça, c’est dans votre cerveau. »

La tension continue de monter. Patient et médecin se reprochent tour à tour d’être « sur la défensive ». À un moment, le patient accuse le DBrière d’avoir des « opinions toutes faites ». Le DBrière s’impatiente et répond que « c’est parce que votre cercle, c’est la vérité absolue ».

Le patient reproche au médecin son comportement agressant. Le médecin, sous le coup de l’émotion, chasse le patient de son bureau en disant « ne pas avoir de leçon à recevoir d’une patiente ».

Le patient indique à nouveau qu’il est « un patient ». Malgré cette mise au point, le DBrière dit : « Une patiente jusqu’à ce jour, vous étiez une femme, chère madame. »

Le patient répétera qu’il est « un patient » et le médecin lui affirmera qu’il est « biologiquement une femme ».

Avant de partir, le patient demandera d’obtenir la référence pour une consultation avec le collègue du DBrière, ce que ce dernier refusera. Le médecin affirmera aussi ne plus vouloir l’avoir comme patient pour cause de rupture de confiance.

Pas de confiance mutuelle

Le patient a déposé une plainte au commissaire local aux plaintes du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal en alléguant que l’intimé a fait preuve de discrimination et d’agressivité. Le médecin examinateur chargé de cette enquête a conclu à « un problème au niveau de la qualité de la relation professionnelle et un manque de respect envers le patient », mais a exclu tout comportement discriminatoire. Insatisfait de cette réponse, le patient a présenté une demande d’enquête au Bureau du syndic du Collège des médecins.

Le DBrière a finalement plaidé coupable aux deux chefs d’infraction qui pesaient sur lui. Il a toutefois indiqué que « l’attitude du patient, qui se présente au rendez-vous du 17 mai 2022 en enregistrant la rencontre et en ayant une certaine méfiance à le consulter pour convenir d’un plan de traitement d’hormones masculinisantes, dénote au mieux, une problématique ou l’inexistence de la confiance mutuelle nécessaire à la relation professionnelle ».

Dans sa décision, le Conseil de discipline rappelle toutefois que « c’est au médecin qu’incombe l’obligation de chercher à établir et à maintenir avec son patient une relation de confiance mutuelle et non à ce dernier ».

Le Conseil ajoute que si un patient « estime que son identité de genre ne correspond pas au sexe figurant à son acte de naissance, il peut demander qu’on le désigne par l’identité qu’il exprime. La rencontre médicale doit alors se dérouler dans le respect de cette identité de genre ».

Selon le Conseil, l’écoute de l’enregistrement effectué par le patient permet de voir que ce dernier a eu une attitude respectueuse avec le médecin. « Rien n’indique que le patient est ‟difficile”, c’est-à-dire exigeant, tatillon, scrupuleux ou angoissé. Au contraire, il reste calme et écoute l’intimé la plupart du temps. »

Pour le Conseil, l’écoute de l’enregistrement « soulève des préoccupations au niveau des qualités personnelles » du DBrière « comme la capacité d’humilité à reconnaître ses limites, d’écoute, d’empathie, d’introspection et de conscience de ses biais cognitifs ainsi que la maîtrise des émotions ». Deux périodes de radiation de trois mois et de deux mois, à purger de façon concurrente, ont été imposées pour les deux chefs d’infraction qui pesaient sur le DBrière.