« Nous avons perdu le sentiment d’appartenance et la confiance envers l’organisation », écrivent les deux infirmières démissionnaires dans une lettre coup de poing

(Québec) Une des solutions phares de la cellule de crise du gouvernement Legault pour désengorger les urgences bat de l’aile dans l’est de Montréal. Deux infirmières ont claqué la porte de la nouvelle clinique d’IPS en raison d’enjeux touchant « la qualité et la sécurité des soins ».

En novembre 2022, les urgences du Grand Montréal craquent de partout devant la recrudescence d’une vague de virus respiratoires. La situation est telle que le ministre Christian Dubé ordonne la création d’une cellule de crise pour trouver des solutions rapides.

Parmi les trois principales mesures annoncées : la création de cliniques d’infirmières praticiennes spécialisées (IPS) qui pourront prendre en charge les cas moins urgents.

Le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal lève rapidement la main, si bien que la toute première clinique d’IPS de Montréal est inaugurée en un temps record, trois semaines plus tard, au CLSC Olivier-Guimond.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de la Santé, Christian Dubé

Le ministre Christian Dubé la visite et parle d’« un petit succès ».

Or, un an plus tard, le tableau s’est assombri. Les deux seules IPS en poste à temps complet ont démissionné la semaine dernière du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, a appris La Presse.

« Nous avons été confrontées à des enjeux apportant des impacts sur la qualité et la sécurité des soins. Ces enjeux n’ayant pas été pris au sérieux sont malheureusement les raisons qui nous ont conduites à prendre la décision de quitter » l’établissement, écrivent les démissionnaires.

La missive, qui a été adressée notamment à la haute direction, a été transmise à La Presse par le Syndicat des professionnelles en soins de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, affilié à la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ). Nous avons joint les deux ex-employées, qui n’ont pas voulu nous accorder d’entrevue.

« C’est avec une immense tristesse qu’on a appris la nouvelle […] parce que quelque part, c’est un projet auquel on croit beaucoup », a expliqué le président du syndicat, Denis Cloutier.

Le CIUSSS dit aussi avoir reçu « avec regret » les démissions des deux infirmières. « Les deux postes laissés vacants par ces démissions sont actuellement en affichage et seront comblés dans les meilleurs délais », écrit Christian Merciari, adjoint au PDG de l’établissement.

« Il y a un ralentissement des activités de la clinique le temps que les postes soient pourvus », a-t-il ajouté. Cependant, les services sont toujours offerts à la population et l’équipe des IPS du CIUSSS « s’est mobilisée pour offrir des disponibilités et couvrir la période de transition ».

Ces démissions surviennent alors que les urgences sont à nouveau sous pression avec le retour de virus respiratoires et les journées de grève qui ont perturbé le réseau.

Dans l’Est, le taux d’occupation aux urgences des hôpitaux Maisonneuve-Rosemont et Santa Cabrini était de 135 % mercredi.

Dures critiques

Dans la lettre des infirmières, la critique envers l’établissement où elles ont travaillé plusieurs années est dure : « Étant dans le passé des IPS fières de travailler pour le CIUSSS [de l’Est-de-l’Île-de-Montréal], nous avons perdu le sentiment d’appartenance et la confiance envers l’organisation », écrivent-elles, ajoutant « avoir toujours cru » au projet malgré les « obstacles » des derniers mois.

Au centre de leurs griefs : le manque de matériel pour évaluer les patients, un soutien clinique « presque inexistant », la gestion « difficile » de l’équipe d’employés et « le manque de stabilité du personnel ».

Elles déplorent notamment d’avoir vu des gestionnaires, des infirmières auxiliaires, des agents administratifs et plusieurs IPS venir prêter main-forte « sporadiquement » et que « tous les infirmiers auxiliaires qui ont travaillé à la clinique » venaient d’agences privées de placement.

Il n’y a aucune stabilité de l’équipe administrative, de l’équipe infirmière et il y a un manque de matériel qui entrave l’offre de soins de qualité et complets aux usagers.

Extrait de la lettre des deux infirmières démissionnaires

Les deux IPS notent aussi un « écart entre les demandes de la gestion/ministère et la réalité du terrain ».

Par exemple, elles soulignent « l’absence de représentativité des IPS dans les réunions concernant les prises de décisions en lien avec la pratique à la clinique IPS » et « l’exigence de couvrir des heures d’ouverture défavorables » étant donné leur petit nombre.

Les infirmières écrivent en toutes lettres avoir « soumis des pistes de solutions verbales et écrites » à leurs gestionnaires « à maintes reprises ». Elles souhaitent, par leur lettre, permettre « une amélioration de la situation à la clinique IPS » et rendre « l’environnement attrayant » et « sécuritaire ».

Une « création récente »

Le CIUSSS souligne de son côté que les cliniques d’IPS « demeurent des créations récentes ». L’établissement explique que ses équipes travailleront afin « d’améliorer ce jeune modèle et d’assurer l’accès aux services ».

Depuis l’ouverture, nos gestionnaires et conseillers s’impliquent au quotidien pour régler les enjeux et améliorer le fonctionnement.

Christian Merciari, adjoint au PDG du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal

Il rappelle au passage que « la création de cette clinique est survenue dans un contexte lié aux débordements dans les salles d’urgence ». Cela a eu lieu dans un « contexte de pénurie de personnel » et la situation nécessite « toujours des ajustements ».

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Le président du syndicat des professionnelles en soins de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, Denis Cloutier.

Pour Denis Cloutier, les « priorités n’ont pas été mises à la bonne place » pour s’assurer du succès à long terme de la clinique d’IPS, qui a été « laissée un peu à elle-même », trop peu de postes ayant été créés au démarrage du projet. Le syndicat réclamait la création de quatre à six postes d’IPS à temps complet.

M. Cloutier écorche au passage les décisions du gouvernement Legault qui semblent être prises pour répondre aux crises, selon lui, comme l’an dernier avec la cellule créée par le ministre Christian Dubé. « Il arrive quoi, d’ailleurs, de cette cellule de crise ? », demande-t-il.

« C’était quoi, l’objectif ? Répondre à la pression médiatique ou réellement améliorer l’accès à la première ligne ? On dirait que c’est vraiment en réaction à ce qui se passe et qu’une couple de mois plus tard, il n’y a plus de suivi », déplore M. Cloutier.

Selon le dernier budget présenté par le ministre Eric Girard, Québec prévoit créer 23 nouvelles cliniques d’IPS d’ici cinq ans, dont 6 en 2023, pour accroître l’accès à la première ligne. La création de ces cliniques nécessitera des investissements totaux de 395 millions d’ici 2027-2028. Six cliniques d’IPS ont été créées en 2022.

En savoir plus
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    Nombre d’infirmières praticiennes spécialisées (IPS) au Québec au 31 mars 2023. Les IPS sont titulaires d’une maîtrise et d’un diplôme d’études supérieures dans une spécialité de leur choix.
    SOURCE : Ordre des infirmières et infirmiers du Québec