Alors que la vente de médicaments sur l’internet explose partout au Canada, l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) prend au sérieux la confusion qu’elle crée auprès du public entre les entreprises technologiques et les services pharmaceutiques. La pharmacienne Sonia Boutin a reconnu mercredi dernier avoir contrevenu à son code de déontologie en faisant la promotion de ses services par l’intermédiaire de la plateforme en ligne Medzy, dont elle et Investissement Québec sont actionnaires.

La gestionnaire a plaidé coupable à quatre chefs d’accusation encadrés par l’article 103 du Code de déontologie des pharmaciens, qui a trait notamment à la « publicité fausse, trompeuse ou susceptible d’induire le public en erreur ». Le conseil de discipline doit encore entériner la recommandation commune des parties, soit des amendes totalisant 12 500 $.

Les plaintes retenues par l’Ordre reprochent à Mme Boutin d’avoir diffusé des publicités de ses services sur le site internet de Medzy, dans ses réseaux sociaux, dans des documents promotionnels et par l’entremise de Bonjour-santé sans indiquer clairement que les actes pharmaceutiques étaient en fait réalisés par Pharmacie Sonia Boutin inc. « Il y a un mélange des genres » qui peut être « trompeur » et « créer de la confusion » pour le public, a plaidé la syndique adjointe responsable du dossier, Karine Coupal.

IMAGE TIRÉE D’UNE CAPTURE D’ÉCRAN, LA PRESSE

Exemple de publicité de Medzy jugée non réglementaire par l’Ordre des pharmaciens du Québec

Dans les documents déposés en preuve, la mention « Pharmacie Sonia Boutin » n’apparaissait pas ou alors en petits caractères dans les communications de Medzy. « Est-ce qu’il y a un pharmacien derrière tout ça ? s’est questionnée Mme Coupal. On ne le sait pas. On peut croire que c’est Medzy qui va nous livrer les médicaments. »

Les fautes reprochées à Mme Boutin s’échelonnent de 2019 à 2022.

En audience, la syndique a souligné qu’elle n’avait pas observé de changements quant aux pratiques de Medzy durant « les mois, les années » qu’a duré l’enquête, malgré « plusieurs échanges courriel ».

C’est finalement après une conversation téléphonique en juillet dernier, moins de deux mois avant l’audience de mercredi, que Mme Boutin a apporté les correctifs exigés par l’Ordre. À propos de ce délai, la femme d’affaires a expliqué avoir eu du mal à comprendre les demandes exactes de l’Ordre, à qui elle dit avoir dû transmettre plus de 9000 documents.

Risques de récidive

Mme Boutin n’a pas d’antécédents disciplinaires, mais elle a déjà reçu un avertissement en 2016 dans un dossier d’affichage et de publicité. Elle impute cet évènement à un « manque de connaissance » alors qu’elle venait de quitter l’enseigne Jean Coutu au profit de son propre réseau indépendant de pharmacies.

Selon l’OPQ, Mme Boutin présente un risque de récidive considérable ; l’entreprise Medzy est « en pleine expansion » et la pharmacienne aurait dû avoir « une bonne connaissance du code de déontologie », ayant été membre du Barreau durant plusieurs années. « Mais j’ose croire qu’elle a cheminé et qu’elle a pris l’enquête et le processus disciplinaire au sérieux », a déclaré la syndique Karine Coupal.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La pharmacienne Sonia Boutin, fondatrice de la plateforme de télépharmacie Medzy

« J’ai l’intention de me conformer à tout moment » à l’article 103, a assuré Mme Boutin en fin d’audience, ajoutant que le cadre réglementaire de la pharmacie est confronté à des « pratiques nouvelles ».

Medzy est la principale plateforme de télépharmacie au Québec et l’une des plus importantes au Canada. L’entreprise a acheté sa concurrente POSO+ en février 2021 pour porter son nombre d’utilisateurs à 10 000.

À l’automne de la même année, Medzy a reçu 750 000 $ d’Investissement Québec dans le cadre du programme PME Impulsion. « Grâce à l’automatisation, la plateforme Medzy permet aux pharmaciens de dégager du temps et d’interagir davantage avec les patients. C’est exactement le genre d’initiative d’avenir que notre gouvernement souhaite voir naître », déclarait alors Lucie Lecours, ministre déléguée à l’Économie.

En juillet dernier, une enquête de La Presse a révélé que plusieurs services de pharmacie en ligne en Ontario et ailleurs au Canada opéraient au Québec dans un flou juridique et tournaient les coins ronds en matière de déontologie. Ces services entretiennent un flou auprès du public entre les entreprises technologiques et les professionnels de la santé qui font les actes réservés.

Lisez l’enquête « Vous payez, ils prescrivent »