De nombreux aînés résidant en CHSLD peinent à être transférés dans un établissement près de leurs proches

Les obstacles liés aux transferts entre établissements pour les aînés au Québec persistent, ont témoigné plusieurs familles à La Presse. C’est notamment le cas de Chantal Bayard, qui tente en vain depuis trois ans de transférer sa mère dans un CHSLD de la Montérégie pour se rapprocher d’elle.

Lorsque Chantal Bayard souhaite visiter sa mère, elle doit parcourir les quelque 70 km qui séparent la municipalité de Saint-Césaire, en Montérégie, du CHSLD Jeanne-Le Ber situé dans l’est de l’île de Montréal. « Avec le trafic, ça peut me prendre jusqu’à quatre heures de déplacement aller-retour », dit Mme Bayard.

Depuis trois ans, elle multiplie les démarches, afin que sa mère soit transférée dans un CHSLD plus proche de chez elle. Commissaire aux plaintes, travailleurs sociaux, CLSC, protection du citoyen, députés ont été contactés. Sans succès.

La famille Bayard n’est pas un cas isolé. Début août, La Presse rapportait qu’un homme de 86 ans qui réside en CHSLD à Montréal vivait dans l’espoir d’être transféré dans un établissement près de ses filles, à Québec. Les responsables des deux régions se renvoyaient la balle.

Lisez l’article « CHSLD : un aîné coincé à 250 km de ses proches aidantes »

Après la publication de l’article dans La Presse, le cabinet de la ministre responsable des Aînés, Sonia Bélanger, a demandé des vérifications au réseau, et l’homme a depuis intégré un CHSLD à Québec.

« C’est ridicule »

Toute demande d’hébergement « doit être traitée sur un pied d’égalité, sans égard au territoire de provenance de la demande ou de l’usager », a indiqué à La Presse le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Il précise toutefois que « les taux d’occupation des lits en hébergement étant très élevés, des délais sont toujours possibles en fonction des priorités des situations et milieux visés ».

De son côté, le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal a dit ne pas pouvoir commenter spécifiquement le dossier de la famille Bayard. Il souligne néanmoins que plusieurs raisons peuvent expliquer les délais.

Le CHSLD d’accueil n’a peut-être pas de lit disponible qui répond aux conditions particulières de santé de la personne âgée. Peut-être qu’il y a déjà une liste d’attente pour le CHSLD ou le secteur choisi.

Carl Boisvert, des relations médias du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal

« Malgré les efforts déployés, nous sommes conscients que les délais d’admission ne sont pas toujours à la hauteur des attentes, mais nous employons tous les moyens à notre disposition pour répondre aux besoins en matière d’hébergement sur notre territoire », a pour sa part déclaré Joëlle Jetté, agente d’information aux relations avec les médias au CISSS de la Montérégie-Centre. Elle ajoute qu’il peut s’avérer plus long d’obtenir une place dans une unité pour troubles cognitifs, parce qu’on n’en retrouve pas dans tous les CHSLD.

Pour le président-directeur général du Conseil pour la protection des malades, MPaul Brunet, un délai de trois ans, comme c’est le cas de la famille Bayard, n’est pas raisonnable. « C’est ridicule, surtout quand on parle de gens âgés, lourdement handicapés et malades », déplore-t-il.

Mettre « toute sa vie de côté »

En raison de la distance qui les sépare, Chantal Bayard ne peut pas rendre visite à sa mère aussi fréquemment qu’elle le souhaiterait. « Ma mère mérite de voir sa famille beaucoup plus souvent. Elle mérite mieux que ça. Ça me fait tellement de peine », laisse-t-elle tomber, émue.

Son père, résidant aussi en Montérégie, s’ennuie profondément de sa femme.

Mon père est tellement triste. Il se retrouve tout seul. Il a passé plus de 60 ans de vie commune. Il s’ennuie.

Chantal Bayard

Deux autres familles ont également confié à La Presse être incapables de transférer leurs proches dans la région où ils vivent. Depuis le printemps, Marie* attend que sa mère soit transférée de Magog à Montréal, où elle et une de ses sœurs habitent. « Entre-temps, nous passons notre temps sur l’autoroute 10 », dit-elle.

Sa sœur, qui vit à Québec, met « toute sa vie de côté et se sacrifie ». « Elle est sans salaire depuis plus d’un an pour rester à Magog près de ma mère qui n’a plus personne, mon père étant décédé il y a un an », dit-elle.

« Nous avons de jeunes enfants et sommes épuisés de naviguer ce système, qui est un vrai calvaire administratif », confie pour sa part Claire* de Québec. Elle tente tant bien que mal de reloger son père des Bois-Francs à la Capitale-Nationale. Or, la famille se heurte à des problèmes administratifs.

Son père, atteint d’une maladie neurodégénérative, est logé dans une résidence privée pour aînés (RPA). « Mon père n’est plus autonome et devrait être placé en CHSLD », dit-elle. La famille souhaite qu’il soit transféré en CHSLD à Québec. « Plusieurs intervenants du milieu nous ont mentionné que les demandes d’hébergement interterritoriales étaient quasi impossibles. On est vraiment inquiets », dit Claire.

Avec Ariane Lacoursière, La Presse

* Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat, les familles craignant des représailles.