Des patients aux prises avec des troubles de santé mentale à Montréal sont désormais hospitalisés dans le confort de leur foyer. La Presse a accompagné l’équipe médicale le temps d’une journée.

« Ils auraient pu me perdre si je n’avais pas eu ce suivi », confie Mathieu*, assis près de la fenêtre d’un café du Plateau Mont-Royal. Il fait partie des premiers patients à bénéficier du programme d’hospitalisation à domicile en santé mentale de Montréal, un modèle que Québec souhaite instaurer à travers la province.

C’est un mercredi après-midi d’août. L’infirmière clinicienne Janie Bouchard donne rendez-vous à Mathieu dans leur café habituel, comme c’est le cas plusieurs fois par semaine. Les autres clients du café l’ignorent, mais Mathieu est « hospitalisé » pour des troubles de santé mentale, c’est-à-dire qu’il fait l’objet d’un suivi médical serré à domicile.

Depuis le 12 juin, le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal offre l’hospitalisation à domicile en santé mentale. L’équipe regroupe une quinzaine de professionnels de la santé qui se déplacent plusieurs fois par jour à la rencontre des 14 patients qu’ils suivent, dont Mathieu. La Presse a bénéficié d’un accès privilégié au programme.

Depuis plusieurs années, l’homme dans la trentaine fait face à des pensées envahissantes, des troubles obsessifs compulsifs, des phobies et de l’anxiété. « Ça m’empêchait de fonctionner complètement. Imagine ta pire peur et imagine qu’elle est tout le temps là », dit-il.

En juin, sa situation se détériore et mener ses activités quotidiennes devient impossible. « L’alarme dans mon cerveau n’arrêtait jamais. Mes pensées roulaient en boucle. Il n’y a rien que tu peux faire pour que ça arrête », dit-il.

Épuisé, il se rend à l’hôpital Notre-Dame, où il est admis pour un séjour d’une semaine. « Je suis entré à l’hôpital en me disant : « S’ils ne me donnent pas de suivi, je vais me tuer. » »

Au bout de quelques jours, on l’informe qu’il existe un nouveau programme d’hospitalisation à domicile. « Au début, je n’étais pas sûr, parce que je suis en colocation », dit-il. Une travailleuse sociale et une infirmière lui suggèrent de se rencontrer dans un café ou dans un parc, plutôt qu’à son appartement.

Ils m’ont écouté et m’ont donné un plan de suivi. Cette rencontre m’a donné espoir. C’était un moment clé pour moi. Pour aller mieux.

Mathieu

Un modèle bientôt répandu

Le programme d’hospitalisation à domicile regroupe une quinzaine de professionnels de la santé : infirmières, agente administrative, psychiatres, travailleuses sociales.

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Depuis le 12 juin, le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal offre l’hospitalisation à domicile en santé mentale, une première à Montréal.

« Ça fait longtemps qu’on voulait ce service-là. Pour offrir une [solution de rechange] au service hospitalier traditionnel », dit Nathalie Lefrançois, cheffe d’administration de programmes, alternatives à l’hospitalisation. Le service est offert aux personnes de 18 ans et plus dont l’état mental est suffisamment instable pour que le recours aux urgences ou à l’hospitalisation soit requis.

Mais ici, il n’y a pas de chemise d’hôpital bleue ni de couvre-feu. « La personne peut recevoir des soins équivalents [à ceux qu’elle recevrait] à l’hôpital, mais en restant dans son milieu de vie », dit Mme Lefrançois.

L’hospitalisation à domicile s’étend généralement sur une période de six à huit semaines. « Le but est de mimer l’épisode hospitalier et qu’après quelqu’un d’autre prenne le relais pour le suivi à long terme », dit la psychiatre Marianne Genest.

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Marianne Genest, psychiatre, Nathalie Lefrançois, cheffe d’administration de programmes, alternatives à l’hospitalisation, et Janie Bouchard, infirmière clinicienne

Ce modèle est déjà implanté dans la Capitale-Nationale depuis 2009. Un programme distinct d’hospitalisation à domicile existe aussi depuis 2015 à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal pour les patients âgés atteints de problèmes de santé mentale. Le modèle de la Capitale-Nationale est d’ailleurs en train d’être déployé en Mauricie et dans le Centre-du-Québec, en Outaouais, à Laval, ainsi que dans l’ouest de Montréal.

« On veut continuer d’étendre ce modèle partout au Québec », a déclaré à La Presse le cabinet du ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant. L’objectif étant de rapprocher « les services en santé mentale de la communauté ». « Ceci va nous permettre non seulement d’éviter les portes tournantes, mais aussi de garder la famille plus impliquée dans les soins et services. »

« J’étais tellement rassurée »

Pendant les premières semaines, Mathieu avait des rencontres tous les jours, puis la fréquence a diminué à une par semaine. Au cours des séances, l’équipe supervise sa médication, évalue ses besoins et identifie les facteurs pouvant avoir un impact sur son état de santé mental.

« La médication et le suivi ont eu un gros effet », se réjouit-il, remarquant une baisse de l’intensité de ses symptômes depuis quelques semaines. Mathieu terminera son hospitalisation à domicile fin août et continuera son suivi externe grâce à un programme distinct.

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L’infirmière clinicienne Janie Bouchard, de l’équipe d’hospitalisation à domicile, discute avec la mère d’une patiente dans le confort de son salon.

Un des principes du programme est par ailleurs de soutenir et outiller les proches, souligne l’infirmière clinicienne Janie Bouchard. Julie* l’a vécu. Sa fille Béatrice* fait partie du programme d’hospitalisation à domicile depuis le mois de juin.

Dès le moment où l’équipe est arrivée, ça a tout changé. J’étais tellement rassurée.

Julie, dont la fille bénéficie du programme d’hospitalisation à domicile

« Ma fille était toujours d’humeur égale, avait une belle hygiène de vie, elle s’entraînait, économe, à ses affaires, elle a plein d’amis », détaille Julie, installée dans son salon. Son comportement a complètement changé cet hiver. « Du jour au lendemain, elle était volubile, son vocabulaire était différent, ses mimiques étaient différentes, on pensait qu’elle était high. On ne la reconnaissait pas. »

La famille tente de l’amener à l’hôpital, mais Béatrice refuse. « Ça a été l’enfer. Pour elle, tout allait bien », dit Julie, qui a dû obtenir une ordonnance de la cour pour la faire hospitaliser. Pendant son séjour à l’hôpital d’une semaine, Béatrice reçoit un diagnostic de trouble bipolaire. On lui propose finalement d’intégrer le programme d’hospitalisation à domicile en juin.

Au début, l’équipe venait la visiter trois fois par jour. Des réunions distinctes étaient organisées avec les parents de Béatrice, afin de leur offrir des conseils et de leur fournir des documents d’information. « Ça m’a enlevé une tonne de briques sur les épaules », dit Julie. « J’espère vraiment que ce programme va faire des petits. Je souhaite ça à tout le monde. »

* Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat des patients.

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  • 1995
    Année d’implantation du premier modèle d’hospitalisation à domicile en santé mentale, au Royaume-Uni
    Source : CIUSSS de la Capitale-Nationale