Interventions chirurgicales, greffes, chimiothérapie : au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), des opérations ont dû être reportées parce que des patients n’avaient pas les moyens de payer leurs soins dentaires obligatoires avant leurs interventions.

« C’est révoltant. Ça nous met dans des situations très difficiles », dénonce le DMatthieu Schmittbuhl, chef du département de médecine dentaire du CHUM.

Afin de réduire les risques de complications, les patients en attente de greffe, d’intervention chirurgicale cardiaque et les patients en oncologie qui auront à recevoir de la chimiothérapie doivent systématiquement suivre des soins buccodentaires préventifs, incluant des nettoyages et des extractions dentaires.

« Le bilan dentaire et la mise en état de la bouche sont indispensables, sinon ça peut entraîner des conséquences très graves pour le patient », explique le DSchmittbuhl.

Récemment, un patient immunosupprimé du CHUM a été hospitalisé aux soins intensifs pour une pneumonie et une péricardite, une inflammation de la membrane qui enveloppe le cœur. Ces complications étaient très probablement liées à une infection d’origine dentaire.

À l’heure actuelle, seuls les patients adultes atteints d’un cancer de la tête et du cou nécessitant des soins buccodentaires sont couverts par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). Tous les autres ne le sont pas, au grand désarroi du DSchmittbuhl.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Le Dr Matthieu Schmittbuhl, chef du département de médecine dentaire du CHUM

Ce ne sont pas des soins de confort, ce sont des soins requis de base.

Le Dr Matthieu Schmittbuhl, chef du département de médecine dentaire du CHUM

Chaque semaine, le spécialiste rencontre des patients qui ne sont pas en mesure de payer ces frais. « Parfois, dans l’urgence d’une situation, on fait des soins pro bono, mais on ne peut pas le faire tout le temps. C’est insupportable de discuter d’argent avec quelqu’un qui attend une greffe. Ça n’a pas de sens éthiquement », déplore-t-il.

En attente de financement

En janvier, une équipe de spécialistes du CHUM a demandé au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) de mettre en place un programme de prise en charge buccodentaire pour ces patients non assurés. Le Ministère n’a pas donné suite à leur demande.

« Sur le plan médical, éthique et déontologique, il me semble que c’est un minimum qu’on assure ces soins-là alors que tout le reste est couvert », juge le DSchmittbuhl.

Selon leurs estimations, ce programme pourrait concerner environ 200 patients par année, soit un budget annuel de 100 000 $. « C’est un budget très modeste. C’est une goutte d’eau dans l’océan du budget de la santé et on n’est pas capable de l’obtenir », dit-il.

Le DSchmittbuhl soutient que reporter des opérations faute de prise en charge buccodentaire est bien plus coûteux pour le système de santé. En effet, le coût annuel d’une dialyse pour un patient en attente de greffe rénale est de 100 000 $ alors que le coût d’une transplantation rénale est de 66 000 $ la première année et de 23 000 $ pour les suivantes.

Retarder une greffe ou une chirurgie cardiaque ou maintenir un patient aux soins intensifs, ça entraîne des surcoûts effrayants pour le système de santé.

Le Dr  Matthieu Schmittbuhl

Depuis plusieurs années, l’Ordre des dentistes du Québec demande que les soins buccodentaires médicalement requis soient couverts par le régime public. « L’Ordre croit que le fait de diviser les soins de santé entre ceux qui relèvent du domaine de la médecine et ceux qui relèvent du domaine de la dentisterie cause des situations tout à fait inacceptables au strict point de vue humain », a déclaré le directeur des affaires publiques et des communications, André Lavoie.

La Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) juge également que ces soins requis avant une intervention chirurgicale devraient être couverts par la RAMQ. « Certains traitements exigent des examens préopératoires et une bonne santé buccodentaire, et les patients québécois devraient pouvoir recevoir ces soins buccodentaires sans payer de coûts », a déclaré la porte-parole de la FMSQ, Sacha Lubin.

De son côté, le MSSS soutient que ce dossier est actuellement en analyse. « Un comité pour baliser un programme de soins buccodentaires médicalement requis […] a été mis en place, mais la pandémie a retardé la finalisation des travaux », a déclaré la porte-parole, Marjorie Larouche.