Avec 252 morts par surdose de janvier à juin au Québec, 2022 est en voie de prendre le deuxième rang des années les plus meurtrières – après 2020 – depuis le début de la crise des opioïdes. Malgré cela, le gouvernement y consacre encore des ressources inadéquates, dénoncent des intervenants.

Après un mois de mars record, il y a eu 136 autres morts liées à des surdoses accidentelles entre avril et juin, montrent les dernières données de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), publiées cette semaine.

Consultez les données de l’INSPQ

Isabelle Fortier s’explique mal le peu d’attention accordée aux surdoses par les politiciens : « Ils ne parlent nullement de la question et on est en campagne électorale ! »

PHOTO FOURNIE PAR ISABELLE FORTIER

Isabelle Fortier et sa fille, Sara-Jane, morte d’une surdose en 2019 à l’âge de 24 ans

Sa fille, Sara-Jane, est morte d’une surdose en 2019, à l’âge de 24 ans. Mme Fortier s’implique aujourd’hui au sein de Moms Stop The Harm, qui « appelle à mettre fin à la guerre ratée contre la drogue » grâce à la prévention et aux traitements basés sur la science.

Dans les 12 derniers mois, on compte 490 victimes de surdoses accidentelles aux opioïdes et autres drogues dans la province. À titre comparatif, il y a eu 347 morts sur les routes du Québec en 2021.

« En ce moment, l’organisation des services de santé et des services sociaux ne répond pas [au problème] », affirme la Dre Marie-Ève Goyer, responsable médicale des services en itinérance et en dépendance du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

« La réponse gouvernementale est insuffisante, au point d’apparaître comme absente », déplore Jean-François Mary, directeur général de l’organisme CACTUS Montréal. Dans ce contexte, « il est tristement normal de voir une situation aussi terrible se maintenir ».

Les intervenants pointent vers des drogues illicites de plus en plus contaminées par des opioïdes de synthèse puissants comme le fentanyl, le carfentanyl ou l’isotonitazène, et des benzodiazépines – un autre dépresseur – pour expliquer la multiplication des surdoses.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Jean-François Mary, directeur général de CACTUS Montréal, analyse la composition d’un échantillon de drogue.

« La situation que je vois depuis un an ou deux, c’est du jamais-vu dans ma pratique, dit la Dre Goyer. On a des décès hyper fréquents, des gens qui sont habitués à consommer qui, du jour au lendemain, tombent sur quelque chose de très puissant. »

Malgré ce lourd bilan, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a consacré seulement 15 millions de dollars aux « mesures reliées à la prévention et la réponse aux surdoses d’opioïdes » chaque année depuis 2018.

L’enveloppe – qui inclut les sommes allouées dans le réseau et aux organismes de réduction des méfaits comme CACTUS – n’a pas changé, alors que le nombre de victimes a augmenté, s’insurge M. Mary. Le MSSS affirme que « cette stabilité dans les sommes à dédier à la prévention est cruciale pour assurer la pérennité des actions ».

C’était insuffisant à l’époque, ça l’est encore plus aujourd’hui, ce qui empêche la mise en place de nouveaux services pour adresser ce problème.

Jean-François Mary, directeur général de l’organisme CACTUS Montréal

Depuis 2017, son organisme offre un service d’injections supervisées dans ses locaux montréalais. L’an dernier, il a ouvert un programme fixe d’analyse de substances, le seul du genre au Québec, selon le directeur général. Mais à ce jour, « ce programme ne dispose toujours pas de financement dédié », dit-il, de sorte qu’il ne sait pas s’il pourra continuer l’an prochain.

Changer d’approche

Pendant ce temps, « les pouvoirs publics tentent d’agir par les moyens habituels, soit par la répression policière », ce qui « ne fonctionne pas », tranche M. Mary.

En juillet, le MSSS a publié sa Stratégie nationale 2022-2025 de prévention des surdoses. La porte-parole Marjorie Larouche indique que l’un des objectifs est « de consolider et d’augmenter l’offre de service de consommation supervisée et de vérification de drogue afin de mieux couvrir les régions situées en dehors des grands centres urbains ».

Consultez la stratégie du MSSS

Mme Fortier insiste sur la nécessité d’« ouvrir le dossier de la décriminalisation » avec l’aide du gouvernement fédéral, comme en Colombie-Britannique, où la crise est encore plus grave. « Ce serait le premier pas vers une approche humaine de la consommation de drogue », dit-elle.

La Dre Goyer abonde dans le même sens et ajoute qu’il faut rendre les traitements – comme les trousses de naloxone ou l’approvisionnement en substances sécuritaires – accessibles dans toutes les régions du Québec. Il faut aussi former systématiquement les professionnels de la santé à traiter la dépendance, ce qui n’est pas le cas actuellement.

C’est vous dire comment cette population-là est victime de stigma. Si c’était n’importe quelle autre maladie comme la COVID, comme la rougeole, ça ferait longtemps que ce serait réglé.

La Dre Marie-Ève Goyer, responsable médicale des services en itinérance et en dépendance du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal

« Je dis souvent que Sara-Jane est non seulement une victime de nos politiques inefficaces et ratées en matière de drogues, mais c’est la stigmatisation qui l’a tuée, en réalité, soutient Mme Fortier. Si elle ne s’était pas sentie stigmatisée à cause de sa consommation, elle aurait pu en parler ouvertement, elle aurait pu demander de l’aide. »