Le CISSS de la Côte-Nord offre un nouveau service d’accompagnement en « sécurisation culturelle » pour les membres des Premières Nations. L’établissement de santé espère devenir un « centre d’excellence » en la matière.

(Sept-Îles) Baudouin Lalo échange quelques mots en innu-aimun avec un patient allongé sur une civière dans une chambre de l’hôpital de Sept-Îles, sur la Côte-Nord.

L’aîné hospitalisé a l’air bien. Rieur, il fait même quelques blagues.

« M. Lalo va venir prendre de vos nouvelles », lui lance Héléna Grégoire-Fontaine, conseillère-cadre à la liaison autochtone et culture organisationnelle du CISSS de la Côte-Nord. L’homme fait un signe de tête pour acquiescer, rassuré.

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Baudouin Lalo, accompagnateur en sécurisation culturelle au CISSS de la Côte-Nord, discute avec un patient originaire d’Uashat mak Mani-Utenam

Baudouin Lalo est le premier « accompagnateur en sécurisation culturelle » embauché par l’établissement de santé. Ce poste, aussi appelé « navigateur de services », a été créé par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) dans la foulée de la mort tragique de Joyce Echaquan à l’hôpital de Joliette, en septembre 2020.

« Tout ce qu’on souhaite, c’est qu’il n’y ait pas un deuxième Joyce Echaquan », confie le nouvel employé à La Presse. L’Innu originaire d’Unamen Shipu, une communauté de la Basse-Côte-Nord, a postulé parce qu’il veut justement réduire le fossé entre les membres des Premières Nations et le système de santé.

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Un patient originaire d’Uashat mak Mani-Utenam échange avec Baudouin Lalo et Héléna Grégoire-Fontaine.

« C’est celui qui fait le pont, c’est ce que ça veut dire dans notre langue », résume le grand gaillard en parlant de son poste. Il était auparavant traducteur dans le secteur juridique.

M. Lalo agira d’ailleurs à titre d’interprète sur le terrain. Il ira d’étage en étage pour s’assurer que les patients autochtones ne manquent de rien, comprennent bien les traitements offerts et les interventions à venir. L’Innu collaborera aussi avec les équipes de soins pour faciliter la prise en charge du patient.

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Héléna Grégoire-Fontaine, conseillère-cadre à la liaison autochtone et culture organisationnelle du CISSS de la Côte-Nord

« Ça prend une personne qui a la capacité d’entrer en relation, d’être rassurante, d’être à l’écoute et d’être calme », résume Mme Grégoire-Fontaine, sous le regard attentif de sa recrue.

En étant Innu, la création du lien de confiance est totalement différente. C’est comme s’il se crée d’emblée.

Héléna Grégoire-Fontaine, conseillère-cadre à la liaison autochtone et culture organisationnelle du CISSS de la Côte-Nord, à propos de Baudouin Lalo

Poursuivre dans la même voie

Le CISSS de la Côte-Nord dessert les huit communautés innues situées sur son territoire de Tadoussac à Blanc-Sablon, en plus d’offrir des services à la nation naskapie de Kawawachikamach, près de Schefferville.

Ce n’est pas d’hier que l’établissement de santé accueille des membres des Premières Nations, mais la direction souhaite maintenant aller plus loin dans sa relation avec les Autochtones. La « sécurisation culturelle » fera partie des grandes priorités organisationnelles du plan stratégique 2022-2026 qui sera déposé cet été.

« On aimerait bien devenir un centre d’excellence en sécurisation culturelle et un exemple à suivre pour les autres CISSS et CIUSSS », résume la présidente-directrice générale de l’établissement, Manon Asselin.

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Le CISSS de la Côte-Nord aimerait éventuellement pouvoir offrir une présence autochtone 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Un « comité opérationnel » a été mis en place pour guider le CISSS dans ses orientations. Huit des neuf communautés desservies par l’établissement y sont représentées. Le regroupement Mamit Innuat, qui représente les bandes plus isolées de la Basse-Côte-Nord, et le Centre d’amitié autochtone de Sept-Îles sont aussi présents.

Le CISSS de la Côte-Nord inaugurera sous peu un salon consacré à la sécurisation culturelle où les familles, visiteurs et patients innus pourront se réunir à l’hôpital de Sept-Îles. Le modèle sera ensuite déployé dans les autres installations du CISSS, dont le territoire s’étend sur 1300 kilomètres de littoral, indique Mme Asselin.

L’hôpital de Sept-Îles embauche un interprète innu et un agent de liaison en plus de M. Lalo. Deux interprètes sont aussi situés à Baie-Comeau et un autre à Havre-Saint-Pierre. Deux autres postes d’accompagnateur en sécurisation culturelle sont également à pourvoir. Le CISSS aimerait éventuellement pouvoir offrir une présence autochtone 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

L’établissement planche également sur l’élaboration d’une formation propre à la culture innue et naskapie qui sera offerte au personnel. C’est en plus de la formation obligatoire sur les réalités autochtones ordonnée par le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, dans les semaines suivant la mort de Joyce Echaquan.

À ce jour, un peu plus du tiers des travailleurs du réseau de la santé et des services sociaux ont suivi le programme de 90 minutes. Québec avait aussi annoncé l’ajout de postes d’interprète, d’agent de liaison et de « navigateur de services » comme M. Lalo.

Ne pas oublier le personnel

Le CISSS de la Côte-Nord compte dans ses rangs une équipe de liaison avec les autochtones, dont fait partie Mme Grégoire-Fontaine. La directrice qui supervise cette unité est également issue de la communauté innue.

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Valérie Duguay, assistante infirmière-chef, et Baudouin Lalo

Mme Grégoire-Fontaine remarque qu’il y a parfois « une méfiance » des membres des Premières Nations lorsqu’ils se présentent à l’hôpital, mais aussi « une crainte » du personnel.

Quand on parle de sécurisation culturelle, c’est pour rassurer les personnes des Premières Nations, mais le personnel a également besoin d’être rassuré qu’il fait bien les choses.

Héléna Grégoire-Fontaine, conseillère-cadre à la liaison autochtone et culture organisationnelle du CISSS de la Côte-Nord

Dans la chambre que visitent Baudouin Lalo et Héléna Grégoire-Fontaine, l’infirmière sur place confie que la création de ces nouveaux postes d’accompagnateur en sécurisation culturelle est plus que bienvenue.

« Aussitôt qu’on sent qu’il y a quelque chose qui ne va pas ou qu’il semble y avoir un malentendu, on les appelle tout de suite », indique Valérie Duguay, assistante infirmière-chef. Elle se rappelle que les mois qui ont suivi la mort de Joyce Echaquan ont été « épouvantables » sur le terrain alors que le lien de confiance envers le système de santé pour les Premières Nations était plus qu’ébranlé.

« Ça a fait exploser quelque chose qui était peut-être latent, souffle-t-elle. C’est fragile, on travaille fort. »

Qu’est-ce que la sécurisation culturelle ?

La sécurisation culturelle désigne des soins qui sont offerts dans le respect de l’identité culturelle du patient, notamment. L’objectif est entre autres d’accroître le sentiment de sécurité des autochtones envers les services publics de santé. Le rapport de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics (la commission Viens) recommande au gouvernement de modifier la Loi sur la santé et les services sociaux pour y enchâsser la notion de sécurisation culturelle, et ce, en collaboration avec les autorités autochtones. Québec a reculé sur cet engagement à la fin de mars.

En savoir plus
  • 14 %
    Proportion approximative d’Autochtones parmi la population de la Côte-Nord
    Source : CISSS de la Côte-Nord
    6
    Nombre de postes de « navigateur de services » pourvus dans l’ensemble du réseau de la santé et des services sociaux. Onze postes sont en processus de dotation.
    Source : MSSS