Alors que le nombre de postes de résidents dans les spécialités chirurgicales a diminué de 40 % depuis six ans au Québec, des médecins craignent qu’une pénurie de chirurgiens ne finisse par toucher la province et menacer l’accès aux soins chirurgicaux.

Dans une lettre envoyée le 2 juin à la sous-ministre Lucie Opatrny et obtenue par La Presse, les docteurs Michel Carrier, Liane Feldman, Louis Lacombe et Anne Méziat-Burdin, respectivement directeurs du département de chirurgie des universités de Montréal, McGill, Laval et de Sherbrooke, parlent de leur « grande inquiétude » pour l’avenir de la chirurgie.

Depuis six ans, le nombre de postes en résidence dans les neuf spécialités chirurgicales ne cesse de diminuer au Québec (voir à la fin du texte).

Favoriser la médecine familiale

C’est le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) qui, en collaboration avec le ministère de l’Éducation, les universités et les fédérations médicales, détermine chaque année le nombre de postes en résidence dans chaque spécialité.

Depuis 2012, le MSSS a « progressivement inversé la proportion de la répartition des postes entre la médecine familiale et la médecine spécialisée afin de répondre à la pénurie de médecins de famille », explique la porte-parole Marie-Claude Lacasse. 

Cette année, 55 % des postes de résidents seront en médecine familiale et 45 % en médecine spécialisée.

Au MSSS, on dit que jusqu’à cette année, la chirurgie générale était « considérée comme une spécialité à risque de saturation, c’est-à-dire pour laquelle les opportunités de recrutement étaient limitées ». Mais « ce n’est maintenant plus le cas et le MSSS envisage d’augmenter le nombre de postes en chirurgie dès 2021-2022 », affirme Mme Lacasse.

Le MSSS dit comprendre la déception de certains étudiants ne pouvant aller en chirurgie, mais il souligne que l’objectif est « d’apparier les postes en résidence offerts avec les besoins du réseau et de la population ». « Cela peut parfois faire en sorte qu’un futur médecin doive se tourner vers son deuxième choix de spécialité », dit le MSSS.

Exode

Mais pour les chefs de département universitaire, plutôt que de se tourner vers la médecine familiale, certains étudiants choisissent d’aller se faire former à l’extérieur du Québec. En six ans, 130 étudiants de chirurgie ont quitté la province pour aller se former ailleurs. « Seront-ils intéressés à poursuivre une carrière ici après cinq à sept années de formation dans leur milieu d’accueil ? », demandent les chefs de département dans la lettre à la Dre Opatrny.

Pour la Dre Feldman, les étudiants qui veulent devenir chirurgiens ne sont pas nécessairement attirés par une carrière comme médecin de famille. « Ce sont deux métiers », dit-elle.

Actuellement, 20 % des chirurgiens ont 60 ans et plus. 

Quand ce monde va s’en aller à la retraite, ça prendra des chirurgiens pour les remplacer. On va les remplir comment ?

Le Dr Michel Carrier 

Déjà, deux hôpitaux ont dû recruter des chirurgiens cardiaques à l’étranger pour combler leurs besoins. Des candidats de France et d’Argentine ont été recrutés, car aucun candidat québécois n’était disponible.

Le Dr Serge Legault, président de l’Association québécoise de chirurgie, estime que la décision de diminuer le nombre de résidents en chirurgie est « mal avisée ». Depuis un an et demi, l’Association québécoise de chirurgie s’est engagée à avoir en tout temps un chirurgien de garde dans les 88 hôpitaux du Québec ayant une salle d’opération. « Il faut des bras pour aller là. S’il y a de moins en moins de chirurgiens qui finissent, ça m’inquiète », dit le Dr Legault.

Le Dr Carrier souligne qu’il faut en moyenne cinq ans pour former un chirurgien : « Il faut y penser tout de suite. Il nous faut cette expertise-là. Ça fait trois ans que je crie pour ça… » Le Dr Carrier estime aussi que ce n’est pas en diminuant le nombre de postes en spécialité et en « envoyant des étudiants se former ailleurs » que l’on « crée des universités fortes ».

Les neuf spécialités chirurgicales au Québec

> Chirurgie cardiaque
> Chirurgie générale
> Chirurgie générale pédiatrique
> Orthopédie
> Plastie
> Chirurgie vasculaire
> Neurochirurgie
> ORL
> Urologie