Il a beaucoup été question de la santé mentale des adolescents et des jeunes adultes depuis le début de la pandémie. Mis sur pied il y a deux ans, les sites Aire ouverte sont rattachés au réseau de la santé, mais se veulent une porte d’entrée pour des jeunes qui ne vont pas dans les services traditionnels. La Presse a visité celui de Montréal.

Aire ouverte n’est pas une maison de jeunes ni un organisme communautaire. Ce n’est pas non plus un CLSC, même si l’affiche sur le duplex d’Ahuntsic où sont situés ses locaux indique bel et bien qu’on est rattaché à un CIUSSS.

Qu’est-ce que c’est, alors ? C’est d’abord un constat posé il y a deux ans : les jeunes âgés de 12 à 25 ans sont mal desservis en santé mentale.

L’éducateur spécialisé Steve Cornellier illustre avec humour la difficulté qu’ont certains jeunes à aller chercher de l’aide. « Je vais à la quincaillerie et je ne veux même pas aller voir un commis pour savoir où sont les vis à Gyproc. Ce n’est pas évident d’aller chercher de l’aide, donc il ne faut pas que le mécanisme de référence soit compliqué », dit-il.

Chez Aire ouverte, c’est simple. On appelle ou on se présente à l’une des périodes sans rendez-vous. La pandémie a un peu miné la convivialité de l’endroit, mais le principe est resté. Sur place, il y a des travailleurs sociaux, un sexologue, une infirmière en santé sexuelle, un éducateur spécialisé et, bientôt peut-être, un psychologue. Il n’y a aucune liste d’attente, alors qu’elles sont souvent longues dans le réseau en santé mentale. On accompagne les jeunes pour s’assurer qu’ils ne sont pas laissés à eux-mêmes.

Le territoire couvert par Aire ouverte du CIUSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal est vaste, ainsi l’offre de service est limitée aux besoins ponctuels ou à court terme. « On ne fait pas de thérapie ici », illustre Steve Cornellier.

Par contre, un jeune qui serait placé sur une liste d’attente de sept mois pour consulter un psychologue pourrait en tout temps recourir à Aire ouverte.

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Steve Cornellier, éducateur spécialisé

Je lui dis : quand ça ne feele pas, ça urge, tu m’appelles. J’ai des leviers à l’interne pour dire : le jeune ne va vraiment pas bien, il est en priorité trois : monte ça en priorité un. On va être plus écoutés que si c’est la personne qui fait cette démarche.

Steve Cornellier, éducateur spécialisé

Il explique que pour les jeunes qui fêtent leurs 18 ans, par exemple, le passage en services « adultes » peut être brutal. Les professionnels du réseau de la santé peuvent donc se déplacer chez Aire ouverte pour faire les premiers contacts avec leurs nouveaux patients.

« Une de mes jeunes a reçu l’appel pour se présenter en clinique de psychiatrie adulte et elle a raccroché en se disant qu’elle n’était pas folle. Ça faisait quatre ans que j’allais la voir chez elle. La marche était haute entre ce service et l’aile de psychiatrie de l’hôpital. On essaie d’adoucir les services », dit M. Cornellier.

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Puisque le territoire couvert par le CIUSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal est vaste, l’offre de service de son Aire ouverte est limitée aux besoins ponctuels ou à court terme.

« J’en avais vraiment besoin »

Le confinement est venu exacerber certains problèmes déjà présents chez les jeunes, raviver des blessures, dit Émilie Giry, une travailleuse sociale. Les « mécanismes d’adaptation » habituels ont pris le bord avec le confinement.

Du début de la pandémie jusqu’au mois d’août, les jeunes n’étaient pas au rendez-vous. « Ils n’étaient nulle part », dit Steve Cornellier. Ils reviennent maintenant, au rythme d’une douzaine par semaine.

Nombre de ces jeunes ont un « passé lourd ». Ils ont par exemple été suivis par la DPJ ou en santé mentale, ont eu des problèmes de dépendance. Ils s’en sont sortis, mais retombent dans leurs « patterns », explique l’éducateur spécialisé.

Il cite l’exemple d’une jeune femme de 24 ans qui poursuit des études doctorales. Ancienne toxicomane, elle s’est tournée vers Aire ouverte après avoir rechuté. « Je parle d’elle parce que sa situation m’a marqué. Elle va mieux, mais c’est assez fidèle à ce qu’on voit. Des jeunes qui sont hantés par des problèmes qu’ils avaient réglés », constate Steve Cornellier.

L’anxiété de performance est souvent au cœur des consultations.

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Émilie Giry, travailleuse sociale

On voit beaucoup de jeunes qui ne trouvent plus de sens à ce qu’ils font, qui sont déprimés, veulent réussir leur pandémie et revenir comme avant alors qu’on n’est pas du tout dans un contexte qui permet d’avoir le même type de performance qu’avant. Ils ont aussi un sentiment de tristesse constant et de déprime qui ne part pas.

Émilie Giry, travailleuse sociale

Lors de la visite de La Presse, Yasmine sortait d’une rencontre avec sa travailleuse sociale. Elle fréquente Aire ouverte depuis quelques mois, un service qu’elle a découvert par l’entremise de la travailleuse sociale de sa mère.

« J’en avais vraiment besoin. J’avais besoin de parler. Des fois, les amis, ça ne t’aide pas vraiment », dit la jeune femme de 23 ans. Elle vit de l’anxiété depuis plusieurs années, veut « gérer les problèmes à la maison et avoir une vie sociale, éventuellement ».

« Tu ne sais plus si tes problèmes sont causés par la COVID, ou s’ils étaient là avant », dit Yasmine, qui parle elle aussi de la pression de « réussir son confinement ».

Le ressac en santé mentale qui pourrait être causé par la pandémie n’inquiète pas tant la travailleuse sociale Émilie Giry, à condition que le sujet, redevenu d’actualité, ne soit pas que la « saveur du mois ». « Ça n’allait déjà pas bien, peut-être que ça va permettre de créer de nouvelles ressources, de sensibiliser les gens à aller chercher de l’aide avant d’être rendus trop loin. J’ai espoir que ça se transpose de cette façon-là », dit Mme Giry.

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Chez Aire ouverte, les jeunes peuvent rencontrer des travailleurs sociaux, un sexologue, une infirmière en santé sexuelle, un éducateur spécialisé et, bientôt peut-être, un psychologue, sans liste d’attente.

D’autres sites « en développement »

Il y a actuellement trois sites Aire ouverte qui accueillent des jeunes, soit celui du quartier Ahuntsic, un à Laval et un autre à Sept-Îles. Au lancement du projet en 2018, le ministre de la Santé Gaétan Barrette qualifiait ces endroits de « supercliniques de jeunes » et estimait que « rapidement », il y aurait de 60 à 80 de ces cliniques dans tout le Québec. Au ministère de la Santé, on indique que quatre projets se sont depuis ajoutés au Saguenay–Lac-Saint-Jean, en Estrie, en Gaspésie et en Montérégie-Centre, mais qu’en raison de la pandémie, le « déploiement » est ralenti, mais toujours « en développement ». À terme, indique la porte-parole du ministère de la Santé, Marie-Claude Lacasse, on souhaite voir apparaître des sites Aire ouverte dans l’ensemble des régions du Québec.