(Montréal) Cette journée-là de 2011, Marilou Bourassa et son conjoint rentrent à la maison, débranchent le téléphone et se coupent essentiellement du monde.

Ils sont encore sous le choc d’apprendre que le bébé qu’elle porte depuis plus de sept mois, leur premier, souffre de multiples problèmes génétiques : sa boîte crânienne est trop petite, ses ventricules cérébraux sont trop grands, la longueur des os ne correspond pas, sa fonction rénale est insuffisante, son cœur est faible…

La liste semble interminable.

« On nous annonce également que plusieurs interventions chirurgicales devront être prévues pendant les premiers jours et les premières semaines, une très forte médication, on n’est pas certains que le bébé pourra même quitter l’hôpital, à moyen terme on m’annonce un enfant qui pourrait n’avoir jamais conscience de nous, qui ne pourrait peut-être pas avaler ou avoir une posture assise… donc le cas s’annonce très lourd », a confié Mme Bourassa.

Le choc est d’autant plus brutal que tout semblait bien aller lors de la dernière échographie, à part peut-être le fait que le bébé serait probablement de très petit poids.

Il n’est quand même pas question à ce moment d’interrompre la grossesse. Le couple en vient à la conclusion que ce n’est pas la fin du monde et examine comment il pourra accueillir cet enfant « différent » dans sa vie.

Mais tout change quand les spécialistes lui annoncent que le bébé aura rapidement besoin d’une transplantation cardiaque après sa naissance.

« C’est surtout quand on a appris que le cœur était faible et que ça prendrait une transplantation cardiaque à court terme que le couperet est tombé pour nous, a dit la jeune femme. Il faut savoir que c’est extrêmement rare d’avoir accès à des organes pour des bébés naissants, d’autant plus que nous, avec le diagnostic de translocation génétique, entre un bébé sain et le nôtre qui naît déjà hypothéqué, on n’aurait jamais été choisis comme receveurs. »

La grossesse est finalement interrompue pendant le huitième mois.

Deuil périnatal

« C’est un paradoxe assez particulier de vouloir donner la vie et finalement on donne la mort. C’est extrêmement difficile et c’est d’une tristesse infinie. C’est assez brutal, c’est déchirant », a expliqué Johanne Martel, une experte du CHU Sainte-Justine à qui La Presse canadienne a parlé à l’occasion de la Journée mondiale du deuil périnatal, le 15 octobre.

À lui seul, le grand centre hospitalier pédiatrique montréalais a recensé l’an dernier 315 décès de bébés survenus entre le premier jour de conception et la fin du premier mois de vie, soit près d’un par jour.

« C’est un projet de vie, avoir un enfant, et quand ça s’arrête de façon aussi brutale, c’est vraiment un choc et un traumatisme qu’il faut être capable de reconnaître », a-t-elle ajouté.

Il est impossible de quantifier l’intensité de la peine ressentie par le couple et ses proches, poursuit Mme Martel. Il est faux de penser que le deuil d’une femme de 40 ans qui en était enfin à une première grossesse après des années de tentatives sera plus intense que celui d’une jeune femme de 22 ans qui aura d’autres occasions d’être enceinte.

« Je peux vous dire par expérience que c’est aussi difficile de perdre un bébé à dix semaines de grossesse qu’à 24, qu’à 32… la peine est immense, a prévenu Mme Martel. La meilleure chose qu’on peut faire c’est d’être présent et à l’écoute, de leur donner l’occasion d’en parler. Les parents, eux, n’en parleront pas d’emblée parce qu’ils ont peur d’embêter les gens autour d’eux avec ça. Alors si on a la gentillesse de s’avancer et de dire, “je suis désolé, je sais que t’as perdu ton petit bébé, as-tu le goût d’en parler ? ” Et là vous allez voir que ça va déferler. »

Les parents qui traversent une telle épreuve témoignent d’un courage et d’une résilience remarquables, et ils subissent une transformation que Mme Martel qualifie de « spectaculaire » : leurs valeurs changent, les priorités sont remises à la bonne place, et leur vie ne sera plus jamais la même.

« Ce dont les parents ont le plus peur, c’est qu’on oublie la naissance de cet enfant-là, a précisé Mme Martel. Si on a une pensée pour le bébé, par exemple en entendant une chanson ou un poème, il ne faut pas hésiter à le dire aux parents, parce que ça leur fait énormément plaisir de voir qu’il y a encore des gens qui pensent à leur enfant. »

L’aîné de la famille

« Il s’appelle Joa-Kim », répond Mme Bourassa quand on lui demande quel nom ils avaient choisi pour leur bébé.

Il s’appelle, au présent, et non pas il s’appelait, au passé.

Son couple a survécu à cette épreuve, et son conjoint et elle ont eu deux autres enfants « avec grand bonheur » : une petite fille qui a aujourd’hui six ans et un petit garçon qui en a trois.

Lors des funérailles de Joa-Kim, Mme Bourassa avait lu une lettre dans laquelle elle s’engageait notamment à toujours le reconnaître comme étant l’aîné de sa famille. Et dès que sa fille a été en mesure de comprendre, elle lui a parlé de Joa-Kim comme étant « une personne dont l’existence me rend une meilleure personne ».

La famille a placé dans le salon une boîte accessible aux enfants et dans laquelle on trouve les effets personnels du bébé « pour casser le tabou de ne pas parler d’un bébé mort ».

« Ça a été un bébé de lumière tout au long de cette grossesse-là, et après ça il redevient le bébé de lumière qu’on avait en soi, mais là il a migré vers le cœur », a conclu Mme Bourassa.

>> Consultez le site du CHU Sainte-Justine